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CHAPITRE III : LA REPUBLIQUE HELVETIQUE (1798-1803)

I. Les autorités confédérales

59. Introduction. Nous retrouvons certaines institutions passées, telle la Diète ou le Vorort, mais la grande originalité de l'Acte de médiation est la création d'un Landammann de la Suisse : pour la première fois, la tâche de représenter la Confédération suisse à l'intérieur et à l'extérieur est attribuée à une seule personne.

60. La Diète. C'est dans le canton directeur (Vorort) que s'assemble la Diète. Le canton directeur passe d'une année à l'autre de Fribourg, à Berne, puis à Soleure, Bâle, Zurich et Lucerne357. Aubert constate que les cantons directeurs sont d'anciens cantons urbains, trois catholiques et trois protestants358.

Chaque canton envoie un député à la Diète359. Dans la plupart des cas, les députés votent selon des instructions de leur canton et les six cantons les plus peuplés (Zurich, Berne, Vaud, Saint-Gall, Argovie et les Grisons) ont deux voix, tandis que les treize autres n'en ont

qu'une360.

La Diète est présidée par le Landammann de la Suisse361.

La majorité simple y est suffisante pour prendre des décisions contraignantes pour les

cantons, ce qui constitue une nouveauté. Mais, en fait, il arrive souvent que les cantons qui se sont opposés à une décision ne la suivent pas. Ainsi, les décisions de la Diète ne se

distinguent pas vraiment des concordats362.

La Diète s'assemble ordinairement le premier lundi du mois de juin et sa session ne peut excéder la durée d'un mois363.

61. Le Landammann de la Suisse. Répétons que si ce personnage est bien à la tête de la Confédération, cette dernière n'est qu'un protectorat de la France364.

357

Art. 13 et 14 du XXème chapitre de l'Acte de médiation du 19 février 1803.

358

Aubert, 1967a p. 12 no 23.

359

Art. 25 du XXème chapitre de l'Acte de médiation du 19 février 1803.

360

Art. 26, 28 et 36.

361

Art. 29.

362

Frei Daniel ("Mediation") in Helbling Hanno, Vogt Emil et alt., Handbuch der Schweizer Geschichte, 1980 p. 845.

363

Art. 29.

364

46 Il est l'avoyer ou le bourgmestre du canton directeur365.

Il préside la Diète et vote en tant que représentant instruit (!) du canton directeur366, ce qui ne manque pas de provoquer des conflits d'intérêts367. Il peut convoquer une Diète

extraordinaire368 et a un pouvoir de contrôle pas très bien défini sur les cantons369.

Pendant la Médiation, le Landammann de la Suisse est en fait seulement un intermédiaire entre les cantons et Napoléon Bonaparte370.

Une autre faiblesse du Landammann, et plus généralement des autorités confédérales, découle du peu de ressources financières à leur disposition. C'est d'ailleurs le canton directeur qui paie le traitement du Landammann.

Hunziker conclut que par la suite, à aucun moment, les Suisses ne veulent réintroduire un magistrat unique à la tête de notre pays371. Le Landammann de la Suisse constitue une production typique de la Médiation dépendant du statut de protectorat. Relevons néanmoins que certains auteurs, comme Schollenberger ou Beeler, préconiseront un Landammann pour la Suisse (no 287) en s'inspirant du modèle imposé par Bonaparte.

Examinons maintenant comment le pouvoir est exercé dans les cantons. II . Les autorités cantonales

62. Introduction. Dans ses dix-neuf premières parties, l'Acte de médiation a consacré trois prototypes de constitutions372; naturellement, on trouve des variations au sein de chacun des trois ensembles, mais ce classement paraît assez pertinent et réel. Tout d'abord, mentionnons les constitutions à Landsgemeinde (Appenzell [les deux Rhodes], Glaris, Schwyz, Unterwald, Uri et Zoug), qui sont les plus simples et les plus courtes373.

Puis, les constitutions des autres anciens cantons : Bâle, Berne, Fribourg, Lucerne, Schaffhouse, Soleure et Zurich.

Enfin, les constitutions des cinq cantons restants : Argovie, Saint-Gall, Tessin, Thurgovie et Vaud; il s'agit de cinq nouveaux cantons374, le sixième, les Grisons, ayant un système particulier.

On peut discerner dans tous les cantons un amalgame de caractéristiques de l'ancien régime avec des éléments de la nouvelle culture politique, sauf dans les cantons à Landsgemeinde qui reprirent, à peu de choses près, les institutions antérieures à 1798 en se bornant à les

codifier375.

Kölz constate que les constitutions cantonales sont lacunaires et équivoques, laissant donc beaucoup de possibilités d'interprétations, ce dont profitent les forces contre-révolutionnaires et "semi-restauratives"376.

63. Les cantons à Landsgemeinde. Le retour à l'ancien régime est le plus marqué dans les cantons à Landsgemeinde (voir aussi annexe III). Certaines constitutions renvoient purement

365

Art. 13, 14 et 16 du XXème chapitre de l'Acte de médiation du 19 février 1803.

366

En 1803, le Landammann de la Suisse est le Fribourgeois D'Affry et, en 1813, le Zurichois De Reinhard incarne la dernière personne à assumer cette charge (Aubert, 1975 p. 15 no 10).

367

Hunziker, 1942 p. 31-32.

368

Art. 30 no 3.

369

Frei Daniel ("Mediation") in Helbling Hanno, Vogt Emil et alt., Handbuch der Schweizer Geschichte, p. 846.

370

Aubert, 1967a p. 12 no 23.

371

Hunziker, 1942 p. 30.

372

C'est la doctrine qui a classé ces constitutions cantonales en trois catégories. Au sein de celles-ci, nous avons choisi l'ordre alphabétique qui est celui de l'Acte de médiation (Appenzell, Argovie, Bâle etc.).

373

Kölz, 1992a p. 145.

374

En fait, durant l'ancien régime, Saint-Gall était à la fois un allié et un pays sujet.

375

Aubert, 1975 p. 14 no 9.

376

et simplement aux règles fondamentales de l'ancien régime sans même retranscrire ces normes.

Tous les citoyens originaires du canton et ayant plus de vingt ans peuvent participer aux

Landsgemeinden, mais les ressortissants d'autres cantons en sont exclus, sauf à Schwyz où les

confédérés jouissent des droits civiques377.

Appenzell et Unterwald ont une Landsgemeinde pour chacune de leurs composantes; Glaris aussi, une pour les catholiques et une pour les protestants et Uri a une Landsgemeinde pour la vallée d'Urseren et une seconde pour le reste du canton.

L'exécutif est formé du Landammann et de quelques autres personnes. A vrai dire, Unterwald- le-Haut et Unterwald-le-Bas ont chacun deux Landammänner, les Rhodes-Intérieures et les Rhodes-Extérieures Appenzelloises sont présidées toutes les deux par un Landammann, Glaris offrant la particularité d'avoir deux assemblées mais un seul Landammann.

Les Landsgemeinden sont relativement faibles face au Landammann et à son gouvernement, car elles n'ont pas l'initiative des lois.

Souvent, les familles déchues de leurs droits et de leurs privilèges par l'arrivée des Français reviennent au pouvoir, sauf dans le canton de Glaris où Niklaus Friedrich Heer, personnage politique connu sous l'Helvétique, est élu au gouvernement et entreprend plusieurs

réformes378.

64. Les anciens cantons sans Landsgemeinde. Dans les anciens cantons urbains de Bâle, Berne, Fribourg, Lucerne, Schaffhouse, Soleure et Zurich, les autorités sont formées par un Grand conseil, un Petit conseil (voir aussi annexe IV) et des tribunaux.

A côté des Grands et Petits conseils, nous trouvons une hiérarchie de tribunaux composés parfois de membres d'un des conseils. Kölz en conclut que le principe de la séparation des pouvoirs qui a prévalu sous l'Helvétique n'est que très imparfaitement reçu dans l'Acte de médiation379.

Le Grand conseil est composé au minimum de 54 membres (Schaffhouse) et au maximum de 195 (Berne, Zurich). Un cens prévaut pour la capacité civique passive et active380. Les systèmes électoraux dans ces cantons favorisent les chefs-lieux par rapport aux campagnes381 et les grands conseillers sont élus en partie directement et en partie indirectement.

Ainsi, bien que l'art. 3 du chapitre 20 de l'Acte de médiation supprime les "privilèges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles"382, l'injustice règne et, souvent, les familles au pouvoir sous l'ancien régime se retrouvent dans les autorités. D'ailleurs, le Grand conseil n'a pas beaucoup de pouvoir car il ne dispose pas de l'initiative des lois et, souvent aussi, il ne siège que quatre semaines par an.

Mais les grands conseillers siègent à vie sous réserve du "grabeau", institution qui permet à un comité de notables de soumettre à réélection un ou plusieurs députés. Dans tous les cantons considérés, une commission de 15 membres exerce le grabeau, tous les deux ans, à l'encontre des membres du Grand conseil (les membres du législatif qui font aussi partie du Petit conseil sont immunisés). Cela s'effectuait par une procédure secrète et le Petit conseil avait une très grande influence sur le comité de notables383.

377

Kölz, 1992a p. 145.

378

Frei Daniel ("Mediation") in Helbling Hanno, Vogt Emil et alt., Handbuch der Schweizer Geschichte, 1980 p. 853. 379 Kölz, 1992a p. 147. 380 Kölz, 1992a p. 146. 381 Kölz, 1992a p. 146. 382 Acte de médiation, 1803 p. 278. 383

48 Par ailleurs, le Grand conseil élit les membres du Petit conseil qui incarne l'exécutif et a plus de pouvoir que le législatif.

Il est composé de 15 membres au minimum par canton (Fribourg, Lucerne, Schaffhouse) et Berne, qui a le gouvernement le plus grand, en compte 27.

Les petits conseillers proviennent obligatoirement du Grand conseil et restent membres de celui-ci. Ils exercent leur magistrature pendant six ans (en fait, ils sont renouvelés par tiers tous les deux ans) et sont indéfiniment rééligibles.

Deux bourgmestres ou avoyers, selon les cantons, choisis par le Grand conseil au sein du Petit conseil, président les deux384 conseils à la fois, pendant une année, et cela à tour de rôle. Le canton de Berne possède un organe supplémentaire, le Conseil d'Etat qui a pour objectif d'assurer la sécurité intérieure et extérieure. Cependant, dans ce domaine, il ne fait que de préparer les débats des deux autres conseils. Il est formé de 6 membres : l'avoyer en charge - qui le préside -, un trésorier et quatre petits conseillers.

Les gouvernements dans les cantons dont il est question sont tous composés d'une manière collégiale, mais leur fonctionnement n'est pas réglé dans l'Acte de médiation.

Toutes ces dispositions et les ambitions des patriarcats conduisent à une suprématie de l'exécutif - notamment dans le canton de Zurich385.

65. Les nouveaux cantons. Les institutions dans les nouveaux cantons ne sont pas très

différentes de celles des anciens cantons sans Landsgemeinde (voir aussi annexe V). Nous ne mentionnerons que les dissemblances par rapport à ces autres cantons.

Relevons que dans les nouveaux cantons l'influence de l'Helvétique est plus sensible. La séparation des pouvoirs y semble être mieux conservée, l'institution du grabeau y a disparu, et seule la capacité civique passive y est conditionnée par un cens386.

Le nombre de grands conseillers s'échelonne entre 100 (Thurgovie) et 180 (Vaud), le Petit conseil possédant invariablement 9 membres. Celui-ci nomme chaque mois son nouveau président.

Par ailleurs, dans les cantons de Saint-Gall, du Tessin et de Thurgovie, les petits conseillers, qui restent membres du Grand conseil, doivent se retirer lorsque ce dernier délibère de leur gestion ou de leurs comptes.

Dans ces cantons, le Petit conseil est aussi composé d'une façon collégiale et son fonctionnement n'est pas non plus réglé dans l'Acte de médiation.

66. Les Grisons. Le canton des Grisons constitue un cas particulier pendant la Médiation387. Sous l’ancien régime, il avait été une démocratie à structure fédérale388.

Il est formé de trois ligues389 qui sont divisées en districts (Hochgerichte) et il n'y a plus de "parties sujettes"390. Ces districts doivent ratifier à la majorité les lois qui sont proposées par le Grand conseil391.

384

Dans le canton de Berne, l'avoyer en charge présidait aussi le Conseil d'Etat.

385

Kölz, 1992a p. 147.

386

Kölz, 1992a p. 146.

387

Frei Daniel ("Mediation") in Helbling Hanno, Vogt Emil et alt., Handbuch der Schweizer Geschichte, 1980 p. 852.

388

Kölz, 1992a p. 12.

389

Article 1 du chapitre VII de l'Acte de médiation.

390

Article 5 du chapitre VII de l'Acte de médiation.

391

Ce dernier, un Petit conseil et des tribunaux incarnent les autorités cantonales. Le Grand conseil est "composé de 63 représentants nommés par chaque district, dans la même proportion que par le passé, et choisis dans toutes les parties du district, sans égard à tout privilège qui aurait pu être contraire"392.

En plus de l’élaboration des lois, il se "prononce sur les difficultés qui peuvent s'élever entre les communes; il veille aux intérêts communs; il répartit, quand il y a lieu, les contributions entre les districts; il délibère les demandes de diètes helvétiques extraordinaires393; il nomme des députés à toutes les diètes tant ordinaires qu'extraordinaires"394 et leur donne des

instructions. Il assure l'exécution des décrets de la diète helvétique395.

Le Petit conseil est composé de trois membres, "nommés chacun dans leur ligue par les représentants des communes, et choisis entre tous les citoyens de la ligue, nonobstant tout ancien privilège qui pourrait avoir été contraire"396.

Il est chargé de l'exécution de tous les actes émanant du Grand conseil et transmet à ce dernier les demandes des communes ou districts exigeant une décision397.

Frei constate que les trois ligues et les 26 districts prétendent à une autonomie pratiquement sans limite398. Ainsi, le gouvernement cantonal a presque dû recourir à la force pour imposer l'adoption du calendrier grégorien par quelques districts399.

Balzer constate que si la Médiation représente un retour en arrière pour la Suisse, il n'en va pas de même pour le canton des Grisons. Pendant cette période, ce canton fait plus de progrès que durant les trois siècles précédents et des réformes sont entreprises dans tous les domaines. Enfin, les activités menées à chef par le Petit conseil prouvent qu'une centralisation même modérée est bénéfique pour tout le canton400.

III. Conclusions

67. Bilan. Kölz considère l'ambiance politique de la Médiation comme semi-restaurative et constate que dans 13 cantons des forces politiques déjà aux affaires sous l'ancien régime reviennent au pouvoir401.

Selon lui, la Médiation est à considérer comme relativement positive pour notre pays, malgré son caractère de diktat402, mais ne devrait pas être vue comme un modèle ayant eu une influence ultérieure403. Son relatif succès vient plutôt de sa structure de confédération d'Etats qui permet aux diverses composantes linguistiques, confessionnelles, culturelles et

économiques de coexister404.

392

Article 6 du chapitre VII de l'Acte de médiation.

393

Effectivement, un canton peut, lui également, suggéré une diète extraordinaire (Article 30 du chapitre XX de l'Acte de médiation).

394

Article 6 du chapitre VII de l'Acte de médiation.

395

Article 6 du chapitre VII de l'Acte de médiation.

396

Article 7 du chapitre VII de l'Acte de médiation.

397

Article 7 du chapitre VII de l'Acte de médiation.

398

Frei Daniel ("Mediation") in Helbling Hanno, Vogt Emil et alt. Handbuch der Schweizer Geschichte, 1980 p. 852. 399 Ibidem. 400 Balzer, 1918 p. 116-117. 401 Kölz, 1992a p. 148. 402 Kölz, 1992a p. 153. 403 Ibidem. 404 Ibidem.

50 En ce qui concerne notre sujet, retenons, outre la figure originale du Landammann de la Suisse, l’existence d’exécutifs cantonaux composés d’égaux comme sous l’ancien régime et dans les constitutions révolutionnaires françaises de 1793 et 1795.

CHAPITRE V : L’ASSEMBLEE FEDERALE ET LA LONGUE DIETE (1813-1815)

Soudain, après dix ans d'une relative tranquillité, la situation en Suisse se dégrade à nouveau.

Le 18 octobre 1813, date charnière, le médiateur perd la bataille de Leipzig et la domination française vole en éclat.

Une chose est claire : le système politico-juridique mis sur pied par Napoléon Bonaparte ne survivra pas à ses défaites, mais les Suisses sont divisés quant au choix de leur futur régime constitutionnel.

Dans ce chapitre, nous étudierons, après l’introduction (I), l’élaboration du projet de Pacte du 4 février 1814 (II), la création de la Longue Diète et le projet de Pacte du 28 mai 1814 (III) ainsi que la genèse du Pacte fédéral du 7 août 1815 (IV) ; cependant le contenu et l’application de ce dernier pacte seront étudiés dans le prochain chapitre.

La dernière subdivision du chapitre V sera consacrée à une brève synthèse (V).

I. Introduction

68. Généralités. Comme nous venons de le relever, les cantons suisses hésitent : Berne, Fribourg et Soleure ne songent qu’à restaurer l’ancien régime tandis que les nouveaux cantons, soutenus par Zurich, Bâle et Schaffhouse, ne veulent absolument pas redevenir des baillages405.

On peut parler d'une véritable bataille entre les anciens, appuyés par l'Autriche et Metternich, et les modernes qui trouvent comme allié le tsar Alexandre.

Dès lors, l'histoire est simple : les modernes, toujours sur la défensive, accumulent les concessions avec comme unique préoccupation l'égalité entre cantons.

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