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L’AUGMENTATION DU NOMBRE DES MEMBRES DU CONSEIL FEDERAL

Ce chapitre débutera par un historique : d’abord, la période constituante (I.1), puis la fin du dix-neuvième siècle (I.2), la première initiative socialiste de 1899 (I.3), la seconde lancée en 1939 (I.4) et, ensuite, les événements des années 1960 et 1970 (I.5), ainsi que ceux des années 1990 (I.6).

En fin de chapitre viendra un inventaire des avantages et des inconvénients d’une augmentation du nombre de conseillers fédéraux (II).

I. Historique

1. La période constituante

229. Nombre de membres du Conseil fédéral. On le sait, la Commission de révision du Pacte fédéral de 1815 voulait un Conseil fédéral de cinq membres.

Elle s'inspirait vraisemblablement du Projet Rossi du 15 décembre 1832 (voir no 108) et du Projet de la Diète du 15 mai 1833 (voir no 109)1229.

Unanime sur ce point, la commission est désavouée par la Diète du 15 mai 1848 qui décide, sur la proposition du canton d'Argovie, soutenu par le canton de Thurgovie, de porter le nombre de conseillers fédéraux à sept1230. La motivation de la Diète consiste notamment à permettre aux petits et moyens cantons d'être représentés à tour de rôle au Conseil fédéral1231. Le canton de Schwyz fait un pas de plus et propose un Conseil fédéral de neuf membres mais la Diète rejette cette idée1232. Avant de passer aux deux initiatives socialistes demandant un Conseil fédéral de neuf membres, examinons très brièvement la période intermédiaire. 2. La fin du dix-neuvième siècle

230. Les révisions totales de 1872 et de 1874 et le message de 1894. Lors des travaux constitutionnels de 1870/1872 et de 1873/1874, la question de savoir s'il faut modifier le nombre de ministres n'est même pas soulevée. L'article 83 de la constitution de 1848 devient donc sans changement matériel l'article 95 de la constitution de 1874.

Dans son Message de 1894 concernant son organisation et son mode de procéder, le Conseil fédéral voit trois inconvénients majeurs à une éventuelle augmentation du nombre de ses membres. D'abord, il faudrait réviser la Constitution; ensuite, cette augmentation risquerait de porter atteinte au "lien intime et ferme"1233 qui unit le Conseil fédéral et, enfin, une

"augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral deviendrait une pomme de discorde entre les races qui composent notre peuple"1234.

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Au sujet de cette supposition, voir FF 1940 613 (il s'agit du Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'augmentation du nombre de membres du Conseil fédéral et sur son élection par le peuple du 3 mai 1940). 1230 Dürsteler, 1911 p. 245. 1231 FF 1940 613. 1232 FF 1940 613. 1233 FF 1894 II 917. 1234 FF 1894 II 917.

162 3. La première initiative socialiste et les événements contemporains de la première guerre mondiale

231. L’initiative socialiste de 1899. En 1899, 56 031 citoyens déposent une initiative

populaire demandant simultanément l'augmentation du nombre de conseillers fédéraux de sept à neuf et l'élection des magistrats par le peuple1235. Nous avons déjà présenté la genèse, le contenu et le sort de cette initiative lorsque nous traitions de l'élection des magistrats par le peuple et nous n’y reviendrons donc pas, sauf à rappeler qu’elle a été balayée (nos 206-209). Relevons cependant que l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux est dictée par la volonté des minorités politiques d'être représentées au sein du gouvernement fédéral.

Ces minorités sont constituées surtout par les socialistes et les catholiques-conservateurs; ces derniers sont réconciliés depuis longtemps avec l'Etat fédéral. Ils désirent lutter contre l'hégémonie radicale. Par ailleurs, il est étonnant que l'initiative réserve deux sièges sur neuf pour la minorité romande et n'évoque pas la minorité italophone.

Par la suite, en 1909, en 1912 et en 1913, le Conseil fédéral juge toujours inutile d'augmenter le nombre de ses membres1236; en 1913, les Chambres suivent l'avis du Conseil fédéral parce qu'elles ne veulent pas lier la question de l'organisation de l'administration avec celle du nombre de magistrats.

Après le décès, en 1913, du conseiller fédéral Louis Perrier, la Suisse romande n'a plus qu'un représentant au gouvernement fédéral, Camille Decoppet. Une motion est alors déposée visant à passer de sept à neuf ministres, mais la guerre faisant rage, le Conseil fédéral ne peut publier son message que le 6 août 1917. Dans ce dernier, il se montre favorable, cette fois, à une augmentation du nombre de ses membres. Le Conseil des Etats est saisi, en 1917 encore, d’une proposition de la majorité de sa commission, qui suggère d'accepter le passage à neuf conseillers fédéraux1237. En fin de compte, le Conseil des Etats décide d'entrer en matière par 23 voix contre 151238. Lorsque le Conseil national s'en occupe, les 18 et 19 mars 19181239, la situation a changé : il y a deux conseillers fédéraux romands (Camille Decoppet et Gustave Ador).

Ainsi, bien que la majorité de la commission du Conseil national veuille entrer en matière, le plénum rejette cette idée par 72 voix contre 531240. Le 3 avril 1919, le Conseil des Etats revient sur sa décision par 22 contre 14 et décide la non-entrée en matière1241.

Passons à la seconde initiative socialiste. 4. La seconde initiative socialiste

232. Le lancement de l’initiative socialiste de 1939. En 1939, 157 081 citoyens déposent une initiative populaire dont l'objectif consiste à augmenter à neuf le nombre de magistrats et à faire élire le Conseil fédéral par le peuple1242. Nous avons analysé les causes du lancement et le texte de cette initiative lorsque nous avons traité de l'élection du Conseil fédéral par le peuple (nos 210-213).

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Ce faisant, l'initiative violait le principe de l'unité de la matière.

1236 FF 1909 IV 347, FF 1912 IV 63 et FF 1913 II 1. 1237 BO CE 1917 267. 1238 BO CE 1917 335. 1239 BO CN 1918 1. 1240 BO CN 1918 40. 1241 BO CE 1919 199. 1242

233. Généralités du Message du Conseil fédéral. Dans son Message du 3 mai 1940 au sujet de l'initiative1243, le Conseil fédéral estime que du point de vue de la protection des minorités linguistiques, l'idée de passer de sept à neuf conseillers fédéraux se justifie. Rappelons que l'initiative veut qu'au moins trois membres du gouvernement sur neuf proviennent des régions de langue française, italienne ou rhéto-romane et qu'au minimum cinq magistrats soient Suisses alémaniques. Le Conseil fédéral constate qu'à s'en tenir purement aux chiffres, cinq sièges sur sept devraient revenir à la Suisse allemande - la minorité latine comptabilisant en 1940 vingt-huit pour cent de la population suisse. Mais, continue le Conseil fédéral,

l'expérience montre qu'il ne faut pas se livrer à un calcul purement arithmétique et que la présence de trois latins est judicieuse. "Cela permet d'assurer aussi un siège à la population de langue italienne, deux étant réservés à la Suisse romande. Et l'on met ainsi fin aux

nombreuses oscillations du passé. Cependant, si les conseillers fédéraux restent au nombre de sept, cela n'est pas toujours possible sans que la représentation de quatre membres laissée à la population de langue allemande puisse être parfois ressentie comme une injustice. (...) Si, en revanche, il y a neuf sièges à répartir, il est possible de prendre en considération les désirs des minorités de langue sans demander à la population de langue allemande un trop grand

sacrifice. Lorsqu'on a égard aux minorités de langue, l'augmentation du nombre de conseillers fédéraux apparaîtrait désirable"1244.

Le Conseil fédéral admet aussi que l'exigence de l'initiative d'assurer une équitable

représentation des minorités politiques est légitime et qu'il serait plus facile avec un Conseil fédéral de neuf membres d'octroyer un siège au parti socialiste1245.

Par contre, le Conseil fédéral estime qu'augmenter ses effectifs à neuf "menace son unité et sa cohésion et affaiblit sa force de décision"1246. "Plus le nombre des membres est élevé, plus est grand le danger de voir se constituer des groupes au sein du Conseil fédéral lui-même et se former une majorité et une minorité, voire plusieurs petites fractions"1247.

Le message relève aussi que dans les cantons, le nombre de magistrats a eu tendance à diminuer, passant de neuf, onze, douze, treize et quinze membres en 1840 à cinq ou sept en 1940 - sauf à Berne et Appenzell Rhodes-Intérieures où ils sont neuf et à Nidwald où ils sont onze.

Le Conseil fédéral trouve que la cohésion est beaucoup plus importante pour lui que pour les Conseils d'Etat, du fait qu'il représente non seulement "un gouvernement au sens étroit, mais exerce encore les fonctions de chef de l'Etat"1248.

De plus, neuf magistrats occasionneraient plus de frais administratifs et il faudrait engager des fonctionnaires supplémentaires. Enfin, les luttes politiques au sein du Conseil fédéral

ralentiraient le processus législatif, la mise au point des ordonnances et la prise de décision. Le Conseil fédéral estime dans ses conclusions que le passage à neuf conseillers fédéraux entraînerait un affaiblissement de la cohésion du gouvernement, un accroissement du nombre des fonctionnaires et une augmentation des coûts.

234. L’opinion du Conseil fédéral quant à l’inscription dans notre charte fondamentale d’une

disposition relative à la représentation des minorités. Considérant le passage à neuf membres

comme bénéfique pour les minorités linguistiques et politiques, le Conseil fédéral s'oppose

1243 FF 1940 611-642. 1244 FF 1940 617-618. 1245 FF 1940 618. 1246 FF 1940 624. 1247 FF 1940 625. 1248 FF 1940 625.

164 néanmoins à l'inscription dans la Constitution d'une disposition relative à la représentation des minorités.

Selon lui, l'expérience prouve qu'il n'est pas nécessaire d'introduire dans notre charte fondamentale une clause garantissant un minimum de magistrats alémaniques et latins. Cela créerait "des situations embarrassantes et des dilemmes dont les conséquences seraient très nuisibles pour l'ensemble de l'institution"1249. Cette nécessité "pourrait, par exemple, avoir pour effet d'exclure indéfiniment des forces éminentes du Conseil fédéral"1250.

Si le Conseil fédéral a une opinion défavorable à la présence d'une clause expresse dans notre constitution garantissant aux minorités linguistiques un quorum en son sein, il s'oppose avec encore beaucoup plus de véhémence à une disposition semblable pour les partis politiques (ou les tendances politiques pour reprendre la lettre de l'initiative populaire).

Cette intransigeance est due à plusieurs raisons.

Bien que favorable à l'intégration de tous les grands partis "prêts à collaborer loyalement à la direction de l'Etat"1251, le Conseil fédéral estime que le saut serait trop grand d'en ancrer le principe dans la constitution, saut qui reviendrait à donner à des partis et à des coalitions "dont on ignore le programme une traite en blanc"1252.

Le Conseil fédéral constate aussi que "l'application de la disposition envisagée serait du reste extrêmement difficile. Qu'est-ce qu'une tendance politique? (...). Qu'arrivera-t-il si un parti retire sa confiance à son représentant? Et si un grand parti ne veut pas en avoir? Faut-il néanmoins lui en donner un? Quelle garantie y a-t-il contre une violation du principe?"1253 Le Conseil fédéral juge encore plus critiquable "la conséquence nécessaire de la

proportionnelle, qui ferait de chaque conseiller fédéral le représentant d'un parti"1254, ce qui pourrait miner la cohésion de notre exécutif.

Par ailleurs, le Conseil fédéral estime qu'une augmentation du nombre de ses membres est préférable à une délégation de pouvoir à des secrétaires d'Etat, par exemple.

235. Conclusions au sujet de la seconde initiative socialiste. Le Conseil fédéral se prononce donc contre l'initiative, mais MM. Baumann et Obrecht sont favorables à une augmentation du nombre de conseillers fédéraux.

Pour la réaction des chambres et le résultat du référendum du peuple et des cantons, voir nos 212-213.

Comme nous l’avons relaté, l'enjeu de cette initiative est moins une extension des droits populaires ou une amélioration du principe de la séparation des pouvoirs que la participation des socialistes au Conseil fédéral1255.

L'augmentation à neuf conseillers fédéraux soulève plus de discussion que l'élection par le peuple (voir au no 213 d’autres éléments de conclusion).

1249 FF 1940 630. 1250 FF 1940 630. 1251 FF 1940 631. 1252 FF 1940 631. 1253 FF 1940 632. 1254 FF 1940 632. 1255 Gschwend, 1973 p. 24.

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