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AVANT-PROPOS

II. Le régime présidentiel

8. Approche théorique. Le régime présidentiel est décrit par la doctrine presque exclusivement à partir de l’exemple des Etats-Unis d’Amérique et par opposition au régime parlementaire43. Le gouvernement y est dominé par un homme, qui est le président, issu d’une élection

populaire, et qui est aussi le chef de l’Etat. Le président n’a de comptes à rendre qu’à ses commettants, c’est-à-dire au corps électoral.

Le parlement est également issu d’une élection populaire, conçue, il est vrai, d’une autre manière. Il ne peut contraindre le président à la démission (si ce n’est, aux Etats-Unis, par l’effet d’une procédure très lourde [l’impeachment], qui n’a encore jamais été utilisée avec succès).

Inversement, le parlement américain n’a rien à craindre du président, qui ne peut abréger son mandat en prononçant sa dissolution.

Les deux pouvoirs sont là, face à face, également invulnérables44.

Il y a donc confrontation des deux autorités (…) qui sont dotées toutes deux d’une large légitimité démocratique et sont contraintes à coopérer, parfois sous l’arbitrage du pouvoir judiciaire45.

Voilà pour la théorie et maintenant examinons une concrétisation du régime présidentiel. 9. Le régime présidentiel des Etats-Unis d’Amérique. Cet Etat à structure fédérative46 existe depuis le 1er janvier 1789, date de l'entrée en force de sa constitution, la plus ancienne des constitutions écrites en vigueur aujourd'hui47 et, aussi, une des plus rigides!

La procédure de révision de cette constitution est décrite à l’art. V comme suit : "Le Congrès, toutes les fois que les deux tiers des membres des deux chambres le jugeront nécessaire, proposera des amendements à cette constitution ou bien, si les législatures des deux tiers des Etats en font la demande, il réunira une convention pour proposer des amendements ; ces amendements, dans un cas comme dans l’autre, seront validés à tous égards et en tout point, comme partie intégrante de cette constitution, quand ils auront été ratifiés par les législatures des trois quarts des Etats, ou par les trois quarts des conventions réunies à cet effet dans chacun des Etats, selon que l’un ou l’autre mode de ratification aura été proposé par le Congrès"48. Ce même article stipule aussi qu’aucun Etat "ne pourra être privé, sans son consentement, de l’égalité de suffrage au Sénat".

On ne trouve aucun instrument de démocratie directe au niveau de l'Etat central (l'Union). Les Etats-Unis d'Amérique comprennent actuellement cinquante Etats fédérés49. Ces derniers ont toutes les compétences que la constitution fédérale n'attribue pas à l'Union50.

43 Burdeau, Hamon,Troper, 1999 p. 105. 44 Aubert, 1967a p. 399 no 1059. 45

Mahon ("Le principe de la séparation des pouvoirs") in Thürer, Aubert, Müller, 2001 p. 1018 no 16.

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Les auteurs de la constitution des Etats-Unis peuvent être considérés comme "les inventeurs du fédéralisme moderne" (Lauvaux, 1998 p. 217). 47 Lauvaux, 1998 p. 217. 48 Art. V. 49

En plus de ces cinquante Etats fédérés, mentionnons le district fédéral de Columbia, sur le territoire duquel se trouve la capitale de l'Union, et divers territoires et possessions.

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Pour ce qui est des autorités centrales, la constitution instaure un Congrès bicaméral, un président et une Cour suprême51, ces trois pouvoirs étant strictement séparés.

Nous allons examiner le Congrès, le président et les rapports entre ces deux organes.

10. Le Congrès. Le Congrès comprend le Sénat, émanant des Etats fédérés, et la Chambre des représentants, qui représente l’équivalent de notre Conseil national – en fait, nos pères

fondateurs, en 1848, après avoir longtemps hésité, n’ont fait que reprendre le bicamérisme inventé outre-Atlantique environ soixante ans auparavant.

Le Sénat est "composé de deux sénateurs pour chaque Etat"52, donc actuellement de cent sénateurs. Depuis 1913, ils sont élus au suffrage universel direct (scrutin majoritaire uninominal à un tour) et le Sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans53.

Depuis 1929, la Chambre des représentants se compose de quatre cent trente-cinq membres, à côté desquels siègent cinq délégués qui représentent le district fédéral et les territoires

associés. Ces cinq personnes participent aux séances plénières sans droit de vote mais peuvent voter dans les commissions54. Les représentants sont répartis entre les Etats au pro rata de la population; l'Etat du Vermont, qui est parmi les moins peuplés, a un représentant et l'Etat le plus fort du point de vue démographique, la Californie, en a cinquante-trois. Dans leur Etat, les représentants sont élus pour deux ans, au suffrage universel direct au scrutin majoritaire uninominal à un tour55.

En matière législative, les deux Chambres sont sur un pied de stricte égalité l'une envers l'autre56. Mais le bicamérisme n'est pas parfait : le Sénat a le pouvoir d'autoriser la ratification des traités, à la majorité des deux tiers des sénateurs présents57, et la faculté d'approuver, à la majorité simple, un grand nombre de nominations faites par le président; ainsi le Sénat

accepte ou refuse le choix des juges à la Cour suprême, des ambassadeurs58, etc.; Pactet relève que cette approbation est parfois refusée59.

11. Le président. Il est, dans les faits, élu directement par l'ensemble du corps électoral, selon un procédé original et complexe, qui comporte deux phases : la préparation de l'élection et l'élection proprement dite.

La préparation de l'élection a lieu dès le mois de février de chaque année bissextile et dure jusqu'à l'été; à ce moment-là, les deux grands partis, à savoir le parti républicain et le parti démocrate désignent chacun un candidat à la présidence et un second à la vice-présidence qui, le cas échéant et si nécessaire, remplacera le président.

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Ce tribunal est composé de neuf membres, dont un président, le Chief Justice (Pactet, 2001 p. 238). Ces neuf magistrats sont nommés par le président des Etats-Unis avec l'aval du Sénat (voir ci-dessous) et sont inamovibles sous réserve de la très lourde procédure d'Impeachment (voir ci-dessous).

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Art. I, section III.

53 Pactet, 2001 p. 233. 54 Lauvaux, 1998 p. 249. 55 Pactet, 2001 p. 231. 56 Pactet, 2001 p. 233. 57 Pactet, 2001 p. 233-234. 58 Pactet, 2001 p. 234. 59 Pactet, 2001 p. 234.

10 La date-clé dans le mécanisme de l'élection proprement dite est le scrutin du mardi suivant le premier lundi de novembre de la même année. A cette date, les électeurs élisent les grands électeurs. Ces derniers s'engagent à voter, lors du scrutin définitif, qui a lieu en décembre, soit pour le candidat républicain, soit pour le candidat démocrate. Le mandat des grands électeurs est devenu impératif, en vertu de ce qui constitue une véritable "coutume constitutionnelle"60. L'élection des grands électeurs a lieu selon le scrutin majoritaire plurinominal à un tour. Le nombre des grands électeurs dans chaque Etat correspond au nombre des représentants et des sénateurs dont l’Etat en question dispose au Congrès; étant donné que la Chambre des

Représentants comprend 435 membres, et le Sénat 100 et que le district fédéral de Columbia s'est vu octroyer trois mandats, le total des grands électeurs est de 538.

Ainsi, par exemple en Californie, celui des deux grands partis qui a le plus de voix obtient le total des 55 grands électeurs qui sont attribués à cet Etat.

Le président a un mandat de quatre ans et il est rééligible une fois. Selon le XXIIème amendement, si le vice-président est appelé à la fonction exécutive suprême durant les deux dernières années du mandat de quatre ans, il peut encore être président durant huit ans au maximum. Donc, personne ne peut être président pendant plus de dix ans.

Ajoutons encore que le président prend ses fonctions le 20 janvier suivant la réunion décisive des grands électeurs.

Le président est le chef de l'exécutif fédéral mais, en fait, "il est bien davantage que cela car, élu par l'ensemble de la nation, il est le principal titulaire du pouvoir politique"61.

Le président des Etats-Unis d'Amérique assume les pouvoirs de chef de l'Etat et ceux de chef de gouvernement62. Il est le chef des armées bien que le Congrès ait la compétence de lever les troupes, d’accorder les crédits militaires nécessaires, de déclarer la guerre et d'utiliser les forces armées lors de conflits internationaux63. Il peut conclure les traités, mais leur

ratification dépend du Sénat et c'est au Congrès qu'il appartient de réglementer le commerce avec les Etats étrangers64. Il a d'importantes compétences de nominations, mais les

nominations les plus importantes doivent être approuvées par le Sénat65. Enfin, le président dispose d'un droit de veto comme nous le verrons ci-dessous.

En plus du président et du vice-président, nous trouvons les ministres (secrétaires d’Etat) chargés de diriger les différents départements de l'administration – qui, en 1995, comprend 3 000 000 d'agents, des conseillers personnels et "de nombreux et importants organismes"66. Le président détient "la plénitude du pouvoir gouvernemental et il en dispose seul, sans partage avec les membres de son équipe. Ceux-ci ne constituent pas, on le sait, un organe collégial. Chacun d'eux ne relève que du président qui l'a nommé et peut le révoquer. Sans doute le président peut-il réunir les ministres et leur demander leur avis mais en cas de désaccord c'est sa volonté qui prévaut, quand bien même il serait seul de son avis"67. 60 Pactet, 2001 p. 226. 61 Pactet, 2001 p. 229. 62 Pactet, 2001 p. 230. 63 Pactet, 2001 p. 230. 64 Pactet, 2001 p. 230. 65 Pactet, 2001 p. 230. 66 Pactet, 2001 p. 229. 67 Pactet, 2001 p. 230.

12. Les relations entre le Congrès et le président. Le président n'a pas l'initiative des lois68, mais peut opposer son veto aux lois votées par le Congrès. Ce dernier ne peut passer outre le veto présidentiel que si chacune de ses deux chambres revote le texte de la loi à la majorité des deux tiers; soulignons que le Congrès ne peut rien faire face aux vetos présidentiels intervenant dans les dix jours précédant l'ajournement du parlement69.

Le chef de l'Etat ne peut dissoudre ni la Chambre des représentants ni le Sénat. Inversement, le Congrès ne peut mettre en cause la responsabilité politique du Président ni celle de ses ministres bien qu'une procédure de destitution, l'impeachment, soit consacrée par la

Constitution américaine. Mais il s'agit d'une procédure spéciale de caractère pénal, pour délit contre l'Etat, et non pas d'une responsabilité politique - à l'inverse de ce qui s'est passé au Royaume-Uni où une procédure assez semblable s'est transformée en système de

responsabilité politique dans la première moitié du dix-neuvième siècle.

Si le Président commet un acte de trahison, de concussion ou un autre crime ou délit grave, la Chambre des Représentants décide à la majorité simple de la mise en accusation, c’est-à-dire de la question de savoir si le Président doit être jugé et, si sa décision est positive, le Sénat peut le relever de ses fonctions à la majorité qualifiée des deux tiers des voix de ses membres. Cette procédure n'a été mise en oeuvre, jusqu'ici, que trois fois, mais elle n'a jamais abouti.

- Le premier cas d'une tentative d'impeachment remonte au temps des séquelles de la guerre de sécession. Andrew Johnson, vice-président républicain, devenu président suite à

l'assassinat d'Abraham Lincoln, en 1865, est un anti-ségrégationiste modéré ; il vient lui- même du sud et s’oppose à ce que le nord impose d’une façon trop drastique la

reconstruction aux Etats sécessionnistes du sud. Un litige survient à l'occasion du licenciement d'un ministre par Andrew Johnson. C'est alors que la Chambre des

Représentants déclenche pour la première fois, en 1868, la procédure d'impeachment prévue par la Constitution de 1787. La Chambre du peuple décide la mise en accusation par 128 contre 47, mais le Sénat manque d'une voix la majorité des deux tiers requise pour destituer le Président (35 contre 19). Une décision opposée aurait pu entraîner le régime américain vers le parlementarisme70.

- Il a fallu attendre plus d'un siècle pour que cette procédure soit sur le point d’être à nouveau mise en oeuvre. Après l’affaire du "Watergate" - il s'agit de l'intrusion de militants

républicains dans l’immeuble du Watergate, siège du parti démocrate lors de la campagne présidentielle de 1972 -, le président Richard Nixon, républicain, est mis en accusation par la commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants, en juillet 1974, pour abus de pouvoir et obstruction à la justice due, notamment, à un refus de comparaître. Lâché par ses amis politiques, Richard Nixon est acculé à la démission le 9 août 1974 avant que la Chambre des représentants n’approuve les conclusions de sa propre commission71.

- Enfin, en septembre 1998, le procureur Starr remet au Congrès un rapport décrivant divers chefs d'accusation possibles - mensonge, obstruction à la justice, etc. - à l'encontre du

président Bill Clinton et liés à divers développements judiciaires prenant leur source indirecte dans la vie privée du chef de l'Etat. En octobre de la même année, la Chambre des

68 Pactet, 2001 p. 236. 69 Pactet, 2001 p. 236. 70 Voir Lauvaux, 1998 p. 201ss. no 65. 71 Voir Lauvaux, 1998 p. 286ss. no 90.

12 représentants décide l'ouverture d'une enquête et, en décembre, vote la mise en accusation du Président pour entrave à la justice et parjure. Au début de l'année suivante, le Sénat se trouve dans l'impossibilité d'obtenir la majorité nécessaire des deux tiers et abandonne72. Cet

épisode n'a finalement servi qu'à discréditer le président.

Les rapports entre le chef de l'Etat, le Sénat et la Chambre des représentants dépendent bien sûr de leur couleur politique, mais Pactet relève que, dans toutes les hypothèses, le système peut fonctionner73. Même s'il est confronté à des majorités réservées ou hostiles, le président garde "son rôle d'élément moteur et dirigeant"74. Cependant, le Congrès incarne avant tout un contre-pouvoir très efficace et exerce un contrôle très actif et diversifié par ses commissions et, notamment, ses commissions d'enquête. Enfin, et c'est un élément relativement récent et favorisant l'équilibre entre le législatif et l'exécutif, chaque membre du Congrès dispose d'une équipe d'experts étoffée et qualifiée qui permet aux sénateurs et aux représentants d'exercer un contrôle efficace.

13. Conclusions. Le parlement et le gouvernement sont indépendants l'un de l'autre ou, autrement dit, les pouvoirs sont fortement séparés, au moins en théorie. Le législatif et l'exécutif jouissent chacun d'une grande légitimité démocratique.

Les deux pouvoirs sont donc "invulnérables"75 l'un par rapport à l'autre. Outre le cloisonnement des pouvoirs, le président est aussi freiné par la structure fédérale.

Etant donné la taille et la complexité de l'administration fédérale, la grande partie aussi bien de la préparation que de l'exécution des décisions échappe au président. Parfois, des pans entiers de l'administration deviennent de véritables Etats dans l'Etat comme le complexe militaro-industriel qui joue un rôle décisif, ce qui a été le cas par exemple pendant la guerre du Vietnam, et qui échappe à l'emprise présidentielle.

Voilà achevée notre brève esquisse du régime parlementaire et du régime présidentiel. Avant de présenter les particularités de notre système politique, précisons qu’il existe entre le régime présidentiel et le régime parlementaire le régime mixte qui combine des éléments de ces deux systèmes, comme la République de Weimar ou la Vème République française.

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