• Aucun résultat trouvé

LA REELECTION ET LA REVOCATION DES CONSEILLERS FEDERAUX PAR LE CORPS ELECTORAL

Dans ce chapitre, nous aborderons brièvement la réélection des conseillers fédéraux par le peuple (I) et la révocation du Conseil fédéral par le corps électoral (II).

Remarquons d’emblée que la révocation du Conseil fédéral par une fraction du corps électoral représente une procédure de droit positif et qu’il ne s’agit pas d’une tentative de réformer le Conseil fédéral.

I. La réélection des conseillers fédéraux par le peuple

221. Introduction. Par une telle réélection, nos conseillers fédéraux continueraient à être élus par le parlement, mais se verraient réélus par les citoyens.

Cette idée étant presque fantaisiste et n’ayant eu que peu de succès, nous allons l’aborder uniquement au travers de l’initiative parlementaire de James Schwarzenbach.

222. L’initiative de James Schwarzenbach. Ce conseiller national, membre du groupe parlementaire des républicains, dépose le 13 décembre 1971 une initiative parlementaire1200 demandant que chaque conseiller fédéral en charge soit soumis à une confirmation par le corps électoral.

La réélection par le peuple aurait lieu en même temps que le renouvellement du Conseil national et le magistrat qui n'obtiendrait pas la majorité absolue devrait quitter ses fonctions à la fin de l'année. Il ne serait plus rééligible pendant deux législatures. Les sièges vacants à la suite de non-confirmation seraient repourvus par l'Assemblée fédérale lors du renouvellement intégral du Conseil fédéral.

Selon James Schwarzenbach, la population suisse est déçue du Conseil fédéral qui "a pris un caractère nettement autoritaire"1201 depuis le régime des pleins pouvoirs en vigueur durant la seconde guerre mondiale.

"L'exécutif tend à exercer seul le pouvoir"1202, notamment dans le domaine de la politique étrangère.

"Il s'agit de surmonter l'actuelle crise de confiance en renforçant, d'une part, les liens qui existent entre le peuple et le gouvernement et, d'autre part, le contrôle exercé par le peuple et par le parlement sur le gouvernement"1203.

James Schwarzenbach voit comme autre avantage un renforcement de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté populaire.

Il admet que le principe de la collégialité en serait affecté, mais constate que le système départemental y porte déjà atteinte.

Pour lui, il ne doit plus exister de "conseillers fédéraux à vie"1204.

1200

Résumé des délibérations de l'Assemblée fédérale, initiative Schwarzenbach du 13 décembre 1971, Conseil national, p. 11, session d'hiver 1971. Le 22 mars 1972, James Schwarzenbach procède à un remaniement du texte sans conséquence pour nous (FF 1974 II 1303).

1201 FF 1974 II 1303. 1202 FF 1974 II 1303. 1203 FF 1974 II 1304. 1204 FF 1974 II 1305.

158 La commission du Conseil national chargée de l'examen préliminaire de l'initiative

parlementaire Schwarzenbach a commandé deux expertises. La première traite de l'histoire des tentatives d'introduire l'élection populaire du Conseil fédéral; nous nous en sommes largement inspiré dans le chapitre précédent. La seconde, rédigée par les professeurs Hans Huber, Christian Dominicé et Otto K. Kaufmann ainsi que par Eduard Zellweger, docteur en droit et ancien conseiller aux Etats, approfondit cette question sous l'angle juridique et politique. Relatons ici l'essentiel de son contenu qui foisonne d’arguments militant contre la réélection des conseillers fédéraux par le peuple.

223. Les inconvénients de la réélection des conseillers fédéraux selon ces experts. Le collège gouvernemental fédéral ne manque pas de légitimité, même s'il est élu par les deux conseils législatifs réunis et non pas par les citoyens. La démocratie représentative génère aussi une certaine légitimité, en l'occurrence une combinaison des principes démocratique et

fédéraliste1205. Les magistrats ayant de l'humour, de la répartie ou une apparence télégénique risqueraient bien d'être plus populaires que d'autres qui ne posséderaient pas ces qualités, mais qui, peut-être, se révéleraient être des magistrats de valeur1206; les chambres connaissent mieux les conseillers fédéraux que le peuple.

Effectivement, constatent ces quatre éminents juristes, tous les conseillers d'Etat sont élus par les citoyens, mais avec le système proposé, les électeurs se borneraient à éventuellement démettre un conseiller fédéral sans avoir le choix de son successeur. Il serait aussi superflu d'introduire un nouveau droit populaire alors que les citoyens suisses sont déjà assez souvent sollicités1207. Cela ne ferait pas non plus baisser l'abstentionnisme, car pour les experts les causes du taux faible de participation sont plus profondes. Ceux-ci ne croient pas non plus en un éventuel renforcement de la confiance des citoyens dans leur gouvernement. Le

fédéralisme en pâtirait aussi puisque l'élection de confirmation dépendrait seulement du peuple et pas du tout des cantons; le poids des grands cantons risquerait de se renforcer1208. Lors des élections de confirmation, les conseillers fédéraux joueraient le rôle de leader ou d'hypothèque, par rapport aux candidats aux conseils législatifs, de leur parti. Les partis politiques n'ayant pas de conseillers fédéraux seraient prétérités.

La réélection des conseillers fédéraux par le peuple toucherait l'ensemble du système politique suisse dont les éléments sont dans un rapport d'interdépendance1209. L'élection et la réélection des magistrats dépendant de deux autorités séparées, les tensions entre le peuple et les

chambres s'accroîtraient, cela surtout lorsque l'Assemblée fédérale chambres réunies désignerait un conseiller fédéral impopulaire à la place d'un ministre révoqué1210. Quand l'Assemblée fédérale choisit ou confirme des conseillers fédéraux, elle prend

largement en compte les besoins d'équilibre; cela ne serait plus toujours le cas avec le système préconisé1211.

La relation de confiance entre l'exécutif et le parlement serait donc rompue sans donner plus de droit à l'opposition; la formule magique serait compromise1212. Les ministères ingrats se verraient délaissés1213.

Cela bloquerait aussi la prise de décision pendant la campagne électorale. Cette dernière prendrait une dimension démesurée et serait très onéreuse pour les partis et le pays1214.

1205

Huber Hans, Dominicé Christian et al., 1973 p. 13.

1206 Ibidem p. 16. 1207 Ibidem p. 17. 1208 Ibidem p. 22. 1209 Ibidem p. 23. 1210 Ibidem p. 25. 1211 Ibidem p. 27. 1212 Ibidem p. 29. 1213 Ibidem p. 36.

La politique étrangère étant définie par l'ensemble du Conseil fédéral et aussi par le parlement, les élections de confirmation pourraient être favorables à un certain

isolationnisme1215 qui est contraire à l'interdépendance des Etats, à la solidarité internationale et à la sécurité du pays. Pour finir, les auteurs doutent que les secrets d'Etat puissent être sauvegardés.

224. Conclusions. Nous ne percevons dans une telle réforme que deux avantages, d'ailleurs utopiques : celui de la démocratie pure et celui du regain d'intérêt éventuel de la population pour la politique.

Les arguments développés par les experts nous paraissant dirimants et ceux de James

Schwarzenbach se révélant illusoires, nous repoussons catégoriquement cette idée de réforme. Remarquons pour finir que notre droit positif connaît un moyen indirect à disposition de la population qui permet à une fraction du corps électoral de révoquer l’Assemblée fédérale et le Conseil fédéral.

Examinons ce moyen de plus près.

II . La révocation du Conseil fédéral par le corps électoral

225. Mise au point. Ici, il ne s’agit pas d’une tentative de réforme du Conseil fédéral – comme dans le reste de cette troisième partie de notre exposé - mais d’une procédure existante

permettant à une fraction du corps électoral de dissoudre l’Assemblée fédérale et de mettre fin à la période administrative du Conseil fédéral.

226. Concept. Le droit de révocation consiste dans la faculté laissée à une fraction du corps électoral de proposer à ce dernier la dissolution du parlement ou la révocation du

gouvernement (ou, encore, d'une autre autorité) avec, comme conséquence, l'organisation de nouvelles élections1216. Il constitue un droit politique et "s'inscrit dans les fondements même de la logique de la démocratie"1217. Ce droit est revendiqué en premier lieu par Jean-Jacques Rousseau1218 et est consacré pendant la révolution française, notamment dans la Constitution girondine1219.

227. Présence du droit de révocation aux Etats-Unis, en Allemagne et en Suisse.

Actuellement, il existe, notamment, dans plusieurs Etats des Etats-Unis d'Amérique (où on l'appelle "recall"), dans quelques Länder de la République fédérale d'Allemagne et, aussi, dans au moins six cantons suisses, à savoir Berne1220, Lucerne1221, Soleure1222,

Schaffhouse1223, Thurgovie1224 et le Tessin1225. Excepté Lucerne, le droit de révocation

1214

Ibidem p. 38.

1215

Ibidem p. 39. Cette affirmation date de 1973!

1216 Corti, 1992 p. 17. 1217 Corti, 1992 p. 17. 1218 Kölz, 1998 p. 190. 1219 Kölz, 1998 p. 190. 1220 Art. 57. 1221 Art. 44. 1222 Art. 28. 1223 Art. 26. 1224 Art. 25. 1225 Art. 44.

160 prévaut dans tous ces cantons à l'encontre de l'exécutif; au Tessin, uniquement par rapport à ce dernier.

A notre connaissance, une procédure de révocation n'a abouti ni au XXème ni au XXIème siècle dans aucun de ces cantons1226.

228. La révocation de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral par le corps électoral. Au plan fédéral, il existe un droit "indirect" de révocation à l’encontre des chambres et du Conseil fédéral, cela pour autant que le peuple, lors d’un référendum préalable, approuve une

initiative tendant à la révision totale de notre constitution. Dans ce cas, le souverain procède obligatoirement à la réélection du Conseil national et du Conseil des Etats, qui, eux,

ensemble, devront renouveler le Conseil fédéral1227.

En 1866, après l’échec des révisions de la constitution du 12 septembre 1848, des membres de l’association radicale "Helvetia" essaient de réunir 50 000 signatures pour déclencher une révision de la constitution et pour révoquer l’Assemblée fédérale et le Conseil fédéral, mais ne réunissent que 26 000 signatures1228.

En 1935, le peuple refuse une initiative populaire tendant à la révision totale de la constitution d’inspiration frontiste - fasciste - lors d’un référendum préalable. L’acceptation par le peuple d’une telle proposition aurait entraîné la révocation de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral (voir nos 288-292 où nous relaterons cette initiative plus dans les détails).

S'il est indéniable qu'il accroît les droits du corps électoral, le droit de révocation à l'encontre des autorités risquerait de paralyser le système politique s’il était utilisé trop souvent : les ministres auraient peur de prendre des décisions impopulaires et agiraient dans le seul but de n'être pas révoqués.

Si le peuple n’a jamais désiré révoquer le Conseil fédéral, c’est qu’il considérait ce moyen comme une ultima ratio et qu’il avait assez d’autres moyens à disposition pour influer sur la politique fédérale (les autres droits populaires).

Passons à une autre tentative de réformer la composition de notre gouvernement qui consisterait à augmenter le nombre des ministres.

1226

Kölz, 1998.

1227

Voir l’article 193 alinéa 1, 2 et 3 de la constitution du 18 avril 1999, l’article 120 de la constitution du 29 mai 1874 et l’article 113 de la constitution du 12 septembre 1848.

1228

CHAPITRE III : L’AUGMENTATION DU NOMBRE DES MEMBRES DU CONSEIL

Outline

Documents relatifs