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Responsabilité de la banque pour l’octroi de crédits excessifs 80

Paragraphe 1 : Les risques du crédit

B- Responsabilité de la banque pour l’octroi de crédits excessifs 80

59. Un crédit accordé excessivement peut ruiner un particulier comme il peut entrainer

une aggravation du passif de l’entreprise ou retarder artificiellement sa cessation de paiement, en induisant en erreur les créanciers sur la bonne santé financière de celle-ci. Or, si le soutien de la banque à une entreprise dont la situation est irrémédiablement compromise est interdit, en revanche le dispositif juridique mis en place n’évoque point la mise en œuvre de la responsabilité de la banque dans ce cadre, à l’égard de l’entreprise ou à l’égard de ses créanciers81.

60. En effet la responsabilité du banquier en France pour l’octroi du crédit excessif est

fondée sur le manquement de celui-ci à son devoir de mise en garde, un devoir qui lui a été imposé par la jurisprudence.

A ce titre, une première période a été caractérisée par une discordance jurisprudentielle entre la chambre commerciale et la première chambre civile. La première s’oppose au principe de l’obligation de conseil et avance que l’emprunteur est pleinement responsable de ses actes à travers plusieursarrêts82 invoquant en outre le devoir de non immixtion du banquier dans les affaires de son client. La seconde a soutenu fermement ce fondement en retenant la responsabilité du banquier qui manque à son devoir de mise en garde : celui-ci est tenu à l’égard de l’emprunteur à un devoir de conseil83. Cette contrariété de jurisprudence a été suivie par une jonction des décisions des deux chambres à travers le fameux arrêt du 12 juillet 200584, complété par deux autres arrêts85 par lesquels la chambre civile a procédé à une différenciation entre l’emprunteur averti et l’emprunteur profane constituant un champ de responsabilité réservé à chaque cas de figure, position corroborée par la chambre commerciale86 qui a enfin admis l’existence du devoir de mise en garde du banquier en faveur des emprunteurs profanes .

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- D. LEGEAIS, « Responsabilité du banquier en matière de crédit », RD banc. fin., avril 2010, p.4.

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-le principe de la responsabilité de la banque vis-à-vis des créanciers de l’entreprise en difficulté a été pris en compte une première fois dès la fin du 19éme siècle par la cour de cassation, affirmé par la chambre civile de la haute juridiction en 1876, Ibid.,p.50.

82-Cass. Com., 18 février 1997, n° 94-18073 ; Cass. Com., 11 mai 1999, n° 96-16088 ; Cass. Com., 26 mars 2002, n°99-13810.

83-Cass. Civ., 18 juin 1994, n° 92-16142 ; Cass. Civ., 27 juin 1995, n° 92-19212 ; Cass. Civ., 18 juin 2004, n° 02-12185.

84-Cass.Civ., 12 juillet 2005, n° 03-10921.

85

- Cass. Civ., 2 novembre 2005, n° 03-17 .443 ; Cass. Civ., 21 février 2006, n° 02-19.066.

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Il convient de rappeler que cette genèse jurisprudentielle a été confortée par une disposition de la loi n°2010-737, du premier juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation87 en vertu de laquelle le prêteur doit fournir à l’emprunteur des explications qui lui permettent de déterminer si le contrat est adapté à ses besoins et à sa situation financière, à partir des informations sur les caractéristiques essentielles du crédit proposé et sur les conséquences du crédit sur sa situation financière. Deux devoirs du banquier en découlent, celui d’explication et celui de vérification de la solvabilité88 de l’emprunteur.

61. Cependant le législateur Marocain était moins limpide, et n’a répondu qu’évasivement

à la réglementation des devoirs du banquier dont le manquement est source de responsabilité, hormis quelques dispositions relatives aux obligations du banquier, qui peuvent être d’ordre informationnel89, ou qui relèvent de la vigilance90, ou de la discrétion reposant sur le secret professionnel. De surcroit le législateur, en matière de consommation, n’a pas abordé cette question, il s’est contenté d’édicter des obligations d’information à l’égard des fournisseurs sur les produits qu’ ls proposent, épargnant de cette façon les prestataires de service et notamment les établissements de crédit de cette obligation ; ils sont seulement soumis à un devoir qui concerne la publicité et l’offre préalable de crédit au consommateur qui doivent être conformes aux dispositions de la loi de protection des consommateurs91 . On peut dire d’ores et déjà que notre jurisprudence reste muette quant à l’extension des devoirs du banquier.

Si le devoir de mise en garde est d’une importance capitale pour la mise en cause de la banque en matière de crédit excessif, il n’est soulevé ni par notre jurisprudence ni par notre législation92 et, à notre sens, ce devoir de mise en garde au Maroc (1) relève de l’éthique, de la morale, et donc tire sa source de la déontologie de la profession. De nos jours son appréciation est encore rude, mais une fois le manquement à ce devoir constaté, l’action en responsabilité de la banque peut être mise en œuvre (2).

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-J.O. 2 juillet 2010, p. 12001.

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-F. CREDOT ET T.SAMIN. « L’obligation de mise en garde, est-elle compatible avec le concept de crédit responsable ? RD banc. Fin., novembre-décembre 2010, n°6, p.82.

89

-article 116 de la loi bancaire, Dahir n° 1-05-178 du (14 février 2006) portant promulgation de la loi n° 34-03 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés.

90- Circulaire du gouverneur de Bank Al-Maghrib n° 41/G/2007 du 2 août 2007 relative à l’obligation de vigilance incombant aux établissements de crédit.

91- Dahir n° 1-11-03 du 18 février 2011 portant promulgation de la loi n°31-08 relative à la protection du consommateur, B.O. n° 5932 du 7 avril 2011.

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40 1- Le devoir de mise en garde

62. Vu l’explosion qu’a connu le crédit et la publicité incitative des banques, il fallait que le

banquier ait plus d’engagement à l’égard de ses clients. Un crédit n’est jamais accordé par empathie ou par altruisme, et non plus pour que le banquier puisse bénéficier d’une quelconque commission qu’il pourrait en tirer. Aucun facteur extérieur ne doit influer sur la décision de celui-ci, qui doit analyser scrupuleusement dossier par dossier, étant donné que le crédit n’est pas un droit et relève du pouvoir appréciatif du banquier qui peut s’abstenir d’allouer un crédit sans qu’il ait aucunement l’ obligation de motiver son refus. En effet, le banquier qui accorde un crédit connait la situation du bénéficiaire autant que ce dernier. Certes le bénéficiaire agit en connaissance de cause et notamment de l’état de ses ressources, patrimoines,et de ses capacités financières. Toutefois il ne peut pas être l’unique responsable de ses actes ou de son propre dommage, le banquier se trouvant dans une position confortable pour juger de l’utilité du crédit et de son adéquation avec les principales ressources du demandeur de crédit. En la circonstance un devoir lui est imposé, celui du conseil, qui ne substitue pas le devoir de mise en garde93 auquel il est tenu pour toute nature de crédit y compris ceux qui font partie d’une réglementation particulière(crédit à la consommation). A ce titre le banquier doit avoir une certaine éthique, et doit faire preuve d’une attitude consciencieuse pour accorder un crédit responsable Ce devoir déontologique passe par l’appréciation en amont de plusieurs critères déterminants pour le banquier pour l’attribution du crédit, et qui tiennent compte en premier lieu de l’identification du bénéficiaire dans le cadre de son devoir de mise en garde. En l’espèce la chambre mixte de la cour de cassation dans un arrêt rendu le 29 juin 200794, admet qu’un agriculteur empruntant pour les besoins de son exploitation n’était pas forcément un emprunteur averti. Peut-on en effet qualifier un professionnel qui souscrit un crédit pour les besoins de son exploitation de bénéficiaire averti du seul fait qu’il est un professionnel ? Il s’agit de savoir, à l’exemple de la jurisprudence Française, si l’emprunteur est profane ou non, l’emprunteur profane étant l’individu incapable de mesurer seul les conséquences de l’acceptation du prêt qu’il sollicite95.

63. En second lieu, le professionnel doit prendre en compte le critère matériel, qui repose

essentiellement sur les capacités financières de l’emprunteur et les risques de l’endettement origine de l’octroi du crédit. Cela consiste pour le banquier à mesurer les risques qui peuvent

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-R.ROUTIER, Obligations et responsabilités du banquier, 3ème éd., Dalloz, 2011/2012, p.825.

94- Cass. Ch. Mixte., 29 juin 2007, n° 05-21.104, bulletin 2007, ch. Mixte, n°7; D. LEGEAIS, « Devoir de mise en garde envers l'emprunteur et la caution non avertis », RTD. Com. 2007, p. 579 ; P. JOURDAIN, « Le devoir de mise en garde du banquier dispensateur d’un crédit excessif », RTD. CIV., décembre 2007, p.779 ; G. PIETTE, « cautionnement commercial », rép. Com. Dalloz., n°70, janvier 2012.

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-T.FAVARION, « les contours jurisprudentiels du devoir de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur non averti ? », RD banc. fin., Mai-juin 2010, n°3, p.23.

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découler de l’opération, le banquier étant tenu en l’occurrence, en fonction des documents produits par l’emprunteur, de déterminer l’adéquation du crédit avec les ressources et autres éléments mis à sa disposition. Le cas échéant il peut se contenter seulement des informations fournies oralement par celui-ci, qui doit avoir un comportement irréprochable quant à la communication des informations relatives à lui-même et relatives à la détermination de sa situation financière .

Il convient de souligner que ni en France ni au Maroc il n’existe d’arrêt de la cour de cassation ou de la cour suprême qui interprète le contenu réel et exact du devoir de mise en garde. Néanmoins, si l’on admet les critères d’appréciation précités, ce devoir impose au banquier d’alerter l’emprunteur sur le caractère excessif du prêt qu’il demande eu égard à ses capacités financières et aux différents risques liés à l’endettement occasionné par l’encours bancaire. En d’autres termes, ce devoir qui relève en quelque sorte de l’information, va au-delà de la simple information passive, et doit revêtir un caractère actif de sorte que l’emprunteur puisse être suffisamment mis en garde, en vue d’en décider. L’évaluation du caractère averti du bénéficiaire se fait surtout par rapport à l’opération de crédit : on peut être averti pour un type d’opération de crédit et non-averti pour un autre type. Plus l’opération est complexe et plus il est facile de retenir le critère de bénéficiaire non-averti.

Cependant, en cas de manquement du banquier à son devoir de mise en garde, sa responsabilité peut être engagée aux termes du droit commun96.

2- La mise en œuvre de la responsabilité du banquier pour manquement à son de devoir de mise en garde

64. Le tribunal compétent en la matière est le tribunal de commerce ou le tribunal de

première instance selon le type de l’emprunteur, particulier ou professionnel, ou la nature du contrat du crédit, à savoir commercial ou mixte.

Par ailleurs, en France, la cour de cassation met la charge de la preuve sur le banquier, qui doit en effet prouver qu’il a procédé à l’alerte de son client par tous les moyens qui lui sont possible. En revanche nous en sommes encore loin au Maroc. L’emprunteur qui a souscrit un crédit et qui estime que le professionnel a manqué à son devoir de mise en garde et lui a accordé un crédit inadapté à ses ressources, peut, sur ce fondement, aux termes des dispositions du droit commun, engager une action en responsabilité à l’encontre du banquier. Il doit en outre démontrer la faute du banquier, un préjudice résultant de la faute, et un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi.

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- L-J. LAISNEY, « Nouvelles incertitudes sur la responsabilité du banquier pour soutien abusif », RLDA., n°48,avril 2010, p.60 et s.

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Par la force des choses, le fait générateur de responsabilité prend la forme d’une faute du banquier matérialisée par une violation d’un devoir de nature juridique qui s’impose à lui. Donc la faute, en la matière, s’appuie fondamentalement sur les devoirs qui incombent au banquier et sur leur manquement, et il appartient à l’emprunteur de le déceler.

Il convient de rappeler que les banques en France établissent la preuve de ce devoir par un engagement daté et signé par l’emprunteur dans lequel il affirme qu’il a été suffisamment averti, ou également par une clause contractuelle insérée au contrat du crédit et ayant le même objet.

65. Quant au préjudice subi par l’emprunteur, occasionné à ce titre par le manquement du

banquier à son devoir de mise en garde, c’est celui d’une perte de chance, la jurisprudence Française acquiesçante au fait que le manquement du banquier au devoir de mise en garde constitue une faute qui fait perdre une chance de renoncer à souscrire le prêt97.

66. Enfin, il faut que le lien de causalité soit établi entre la faute du banquier et le préjudice

subi par l’emprunteur, et il revient ensuite au juge et à son pouvoir souverain d’appréciation de fixer des dommages et intérêts au profit de l’emprunteur qui peuvent éventuellement lui servir pour compenser le reste du montant de l’emprunt qu‘il doit.

D’emblée, on peut dire que la responsabilité du banquier au Maroc demeure encore primitive, et un effort en la matière serait bien accueilli. Les juges du fond doivent en outre s’investir davantage au premier chef en faveur de la reconnaissance du devoir encore inexistant de mise garde s’imposant au banquier, en second lieu commencer à retenir la responsabilité du banquier à un moment où le contexte le requiert.

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