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L’expédient de manœuvres dilatoires et frauduleuses

122. Si les législations s’améliorent avec l’évolution de la société, elles peuvent être

lacunaires, dans leur domaine d’application ou celui de leur interprétation, et des pratiques peuvent se développer de manière à laisser apparaitre des lacunes dans certaines dispositions législatives ou réglementaires. De surcroît, l’évolution des normes légales et jurisprudentielles a conduit à des changements sur le comportement de quelques certains débiteurs. En l’occurrence, un débiteur peut de nos jours mettre tout en œuvre pour se mettre à l’abri de toute exécution forcée, ou au moins la retarder, à travers des séries de montages propres à un débiteur récalcitrant et de mauvaise foi, qui se livre délibérément à des manœuvres qui risquent d’entraver l’exécution. Il s’agit de manœuvres de nature à retarder le cours de la justice (1), et des manœuvres frauduleuses de nature à entraver l’exécution forcée(2).

176 -« Maroc : la justice en chantier », article publié sur Jeune Afrique, disponible sur :http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2543p020-026.xml0/

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- Rapport sur l’observation des Normes et codes. « Insolvabilité et droits des créanciers », rapport établi par la banque mondiale à partir des informations fournies par les autorités Marocaines. Septembre 2006. p.1 et 10.

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-P.ANCEL (sous la direction de), « L’évolution du contentieux de l’impayé : éviction ou déplacement du rôle du juge ? », CERCRID, juin 2009, (Université Jean Monnet SAINT-ETIENNE). p.92.

75 A- Les manœuvres dilatoires du débiteur

123. Le débiteur, de mauvaise foi, ou parfois même les avocats de ce dernier, connaissant

certaines carences procédurales et défectuosités du système judiciaire au Maroc, adoptent des stratégies qui visent à gagner le maximum de temps afin de retarder la procédure ou l’exécution, par obstination, ou pour placer l’argent ailleurs, ou dans quelque but quel que soit le temps en matière d’impayé étant toujours bénéfique au débiteur, et le créancier doit chercher une protection auprès du juge contre ces manœuvres, qui peuvent intervenir à tout stade de la procédure, devant les juges de fond, en référé, avant l’obtention du titre exécutoire ou postérieurement.

124. Si le juge de fond, ne peut aller outre les prescriptions procédurales en la matière, et

interdire au débiteur condamné devant le tribunal de première instance à s’acquitter auprès du créancier, de faire appel au jugement rendu, il est soumis à des exigences de célérité, sans pour autant enfreindre les droits de la défense du débiteur qui lui sont conférés par la loi. Le débiteur connaissant le caractère incontestable du bien-fondé de la créance interjette appel, voie de recours suspensive d’exécution, et sait pertinemment que l’exercice de l’appel lui procurera plus de temps, et même l’arrêt le condamnant devant la cour d’appel ayant force de chose jugée ne sera qu’une étape de la procédure contentieuse.

Une fois la décision exécutoire, le créancier peut se retrouver face à de sérieuses difficultés d’exécution : notamment s’il s’agit d’un débiteur qui exerce son activité sous la forme d’une société, il peut procéder aisément, avant que la décision de justice ne soit rendue, au changement de sa dénomination sociale, voire de son siège social, et, dès lors, l’exécution s’avèrera difficile pour l’huissier de justice qui dispose de peu de prérogatives pour relocaliser le siège ou la nouvelle dénomination de l’entreprise qui fait l’objet de l’exécution179 ; et s’il y procède, le débiteur aura gagné un temps considérable avant de s’exécuter. A ce titre, le législateur marocain, dans le code de procédure civile, a procédé à la protection de la partie gagnante dans le procès contre ces procédés dilatoires. L’article 436 du même code dispose :

« En cas de survenance d'un obstacle de fait ou de droit soulevé par les parties dans le but d'arrêter ou de suspendre l'exécution de la décision, le président est saisi de la difficulté, soit par la partie poursuivante, soit par la partie poursuivie, soit par l'agent chargé de la notification ou de l'exécution de la décision judiciaire. Il apprécie si les prétendues difficultés ne constituent pas un moyen dilatoire pour porter atteinte à la chose jugée, auquel cas il ordonne qu'il soit passé outre. Si la difficulté lui apparaît sérieuse, il peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution jusqu'à la solution à intervenir ».

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125. Il convient de signaler que si les manœuvres relatives au changement de

dénomination ou de siège social interviennent préalablement à l’action en justice, celle-ci est frappée d’irrecevabilité pour vice de forme, et ce, même dans le cadre d’une requête aux fins d'injonction de payer au regard de l’article 157 du même code. Dans le même contexte, dans ce genre de requête, le débiteur dispose de huit jours pour interjeter appel, mais le tribunal peut considérer que l'appel formé par le débiteur a eu un but purement dilatoire, et, dès lors, le tribunal doit prononcer contre celui-ci une amende civile qui ne peut être inférieure à 10 % du montant de la créance, ni supérieure à 25 % de ce montant au profit du Trésor en vertu de l’article 164 du code de procédure civile180.

A notre connaissance, les deux textes précités demeurent les deux dispositions ayant vocation à protéger la partie gagnante dans le procès contre ces procédés dilatoires, et, malgré cela, ces dispositions demeurent insuffisantes pour protéger efficacement le créancier contre les pratiques dilatoires du débiteur de mauvaise foi qui cherche inlassablement et en permanence des pratiques licites, voire illicites en vue de retarder le cours de la justice.

B- Les manœuvres frauduleuses du débiteur

126. Au fil du temps, le législateur marocain a veillé à apporter une protection aux biens du

débiteur, à travers notamment des biens dits insaisissables181, en raison de l’importance du bien pour la personne saisie, ou du fait de la nécessité impérieuse du bien pour la personne ce qui justifie son insaisissabilité. Il convient de souligner, du reste, qu’en France des parties de plus en plus importantes du patrimoine du débiteur deviennent insaisissables. La LME, a étendu le domaine de la déclaration d’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel. Par ailleurs, le législateur marocain a négligé en quelque sorte le cas des débiteurs insusceptibles de recouvrement ou d’exécution, pour cause d’absence de possession d’un bien susceptible d’exécution, particulièrement ceux qui organisent sciemment leur insolvabilité et qui s’efforcent par tous les moyens de mettre l’intégralité ou une partie de leurs biens à l’abri de toute exécution forcée..

En effet, la législation Française offre au créancier la possibilité d’intenter une action appelée

paulienne à l’encontre de son débiteur. Cette action qui a connu un essor notable en

France182permet au créancier de voir déclarer l’inopposabilité à son égard d’un acte passé frauduleusement par son débiteur. L’acte frauduleux source d’aliénation au profit d’un tiers

180

- l’article prévoit : « Si la cour estime que l'appel a eu un but purement dilatoire, elle doit prononcer contre le débiteur une amende civile qui ne peut être inférieure à 10 % du montant de la créance, ni supérieure à 25 % de ce montant au profit du Trésor ».

181-les biens insaisissables sont prévus en droit Marocain par les articles 458 et 488 du code de procédure civile.

182

- L. CAMENSULI-FEUILLARD, « l’insolvabilité, condition de l’action paulienne et notion évolutive », Dr. et

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est considéré comme n’ayant jamais quitté le patrimoine du débiteur, et pourrait éventuellement faire l’objet d’une saisie par le créancier qui a intenté l’ action. Le créancier doit par ailleurs justifier de l’antériorité de la créance par rapport à l’acte attaqué, et invoquer en outre le préjudice qui en résulte, qui réside dans l’appauvrissement du débiteur qui a créé ou aggravé ainsi son insolvabilité.

A l’évidence, on constate une véritable avancée dans cette procédure en France du point de vue de la recevabilité de l’action paulienne : même si le débiteur n’est pas insolvable, du moment que l’acte frauduleux a eu pour effet de rendre inefficace, voire impossible l’exercice du droit dont il dispose, il suffit de prouver que l’acte frauduleux a porté préjudice à ce droit183. Nonobstant, l’action paulienne reste dépendante d’un acte d’appauvrissement du débiteur et de l’insolvabilité qui en résulte, deux conditions qui demeurent étroitement liées en droit Français. Cette avancée peut être constatée également au niveau de l’assouplissement des exigences probatoires qui pèsent sur le créancier, qui peut démontrer l’insolvabilité de son débiteur par tous moyens.

127. Inversement, et de manière regrettable, le législateur marocain ne prévoit aucun

texte qui se penche sur cette action, et sa mise en œuvre demeure difficile compte tenu de l’absence de texte législatif. De même les conditions requises par cette action et les exigences probatoires mises à la charge du créancier la rendent très délicate. Il est vrai que cette procédure est très controversée pour la confusion créée entre des notions qui se ressemblent, par exemple l’insolvabilité du débiteur et son appauvrissement. Hormis les dispositions relatives à la nullité de la période suspecte dans le cadre des procédures collectives184, les créanciers n’ont pas assez de protection contre ces pratiques illicites du débiteur. Il semble en pratique plus facile pour un débiteur de s’appauvrir et d’organiser son insolvabilité pour mettre ses biens à l’abri de toute exécution forcée, que pour un créancier d’engager une telle procédure et d’apporter les moyens de preuves nécessaires à cet effet. Force est de constater que ces procédés constituent un sérieux obstacle au recouvrement forcé, et une intervention législative s’avère nécessaire à l’instar de la législation Française de l’article 1167 du code civil, en vertu duquel les créanciers peuvent attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits. On ne peut pas négliger pour autant le rôle que doit endosser la jurisprudence en la matière, en procédant à l’assouplissement des conditions de mise en œuvre de cette procédure. Il faut aussi conférer plus de pouvoir aux juges de fond pour déceler tous les actes frauduleux des débiteurs de mauvaise foi qui souhaitent se soustraire à leurs engagements.

183

- L. CAMENSULI-FEUILLARD, « l’insolvabilité, condition de l’action paulienne et notion évolutive », Dr. et

procédures, novembre/décembre 2007, n°6. p 321.

184

-l’article 680 du code de commerce prévoit : « Le jugement d’ouverture de la procédure fixe la date de cessation des paiements. Dans tous les cas, cette date ne peut être antérieure de plus de 18 mois à celle de l’ouverture de la procédure.

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Paragraphe 3 : le handicap de certains actes et mesures juridiques du recouvrement

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