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La propension de l’individu au contentieux

Paragraphe 2 : La propension de l’individu au contentieux et les lacunes législatives

A- La propension de l’individu au contentieux

68. L’intérêt général et social peut parfois placer le débiteur dans une position assez

confortable et le favoriser au détriment d’un créancier et de son droit de recouvrer entièrement sa créance. Nul ne peut nier l’incidence de l’évolution législative(1) sur la hausse de l’impayé, cause non négligeable de l’accroissement de l’impayé, les législations à caractère humain servant de tremplin pour quelques débiteurs de mauvaise foi pour se soustraire à honorer leurs engagements contractuels. De surcroit les mutations psychologiques et socio-culturelles(2) qu’a connu le Maroc ont normalisé l’impayé en dépit des restrictions islamiques et morales qui en interdisent l’acte.

1- L’évolution législative

69. Autrefois, le pouvoir du créancier de contraindre son débiteur était exorbitant dans les

droits de l’antiquité, allant jusqu’à donner la mort à son débiteur en cas d’impayé ou le vendre si sa famille ne parvient pas à honorer sa dette98mais au cours du temps, ces pouvoirs conférés aux créanciers qualifiés d’inhumains se restreindront au profit du débiteur, qui dans un passé assez proche encourait une peine d’emprisonnement s’il n’arrivait pas de s’acquitter auprès de son créancier. Cet adoucissement des mesures prises à son encontre et l’affaiblissement du pouvoir de contrainte mis à la disposition du créancier sont à l’origine de plusieurs interventions législatives.

70. En effet le Maroc, et pour se conformer au pacte international relatif aux droits civils et

politiques99, a procédé à la ratification du dit pacte qui dispose dans son article 11 que « Nul ne peut être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle ». Toutefois la jurisprudence restait désunie quant à la primauté des conventions internationales sur le droit interne100, un principe qui trouve ses sources dans la constitution, et une grande partie des tribunaux Marocains continuaient à appliquer la contrainte par corps au sens du dahir du 20 février 1961 relatif à l’exercice de la contrainte

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- E.PERROU, L’impayé, Tome 438, LGDJ, collection : Bibliothèque de droit privé, 2005, p.3 et s.

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-ce pacte a été conclu à New York le 16 décembre 1966.

100-la cour de cassation a approuvé la primauté de cette disposition internationale, à ce titre la cour a cassé un arrêt de la cour d’appel qui a appliqué la contrainte par corps pour une dette contractuelle résultante d’un contrat de bail, arrêt 3515 du 26/09/2001, V., F.ELBACHA, « la contrainte par corps et le recouvrement des dettes civiles », l’économiste, n°1626 du 20 octobre 2003.

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par corps et dont la mise en œuvre est prescrite par le code de la procédure pénale, et incarcéraient les débiteurs qui faisaient défaut à leurs obligations contractuelles, mesure jugée archaïque jusqu’à l’adoption par le législateur Marocain de la loi n° 30-06 promulguée par le dahir n° 1-06-169 du 22 novembre 2006 modifiant le dahir précité. A cet égard le législateur abandonne l’application de cette mesure draconienne contre les débiteurs qui arrivent à justifier leur insolvabilité, et contre d’autres débiteurs dont la situation est particulière101. En revanche la contrainte par corps reste applicable contre les débiteurs qui ne parviennent pas à justifier leur insolvabilité en matière de dettes civiles et commerciales. De même pour les débiteurs de l’Etat en matière de créances publiques102.

Au demeurant, les préoccupations du législateur d’ordre social et humanitaire ont passé outre le souci du créancier de recouvrer sa créance. Le délai de grâce en a été la consécration en faveur d’un débiteur malheureux et de bonne foi. Il s’est agi de la prise en considération de sa situation, d’une humanisation103 à l’égard du débiteur surendetté, dont la situation requiert une intervention du juge et mérite d’être analysée méticuleusement par ce dernier.

71. Les législateurs Marocains et Français ont procédé à travers le dahir des obligations et

contrats et le code civil respectivement à conférer au juge le pouvoir d’accorder des délais de grâce aux débiteurs de bonne foi. De cette manière la loi Française est plus explicite au sens des articles 1244-1, 1244-2, et 1244-3, en vertu desquels le juge, et compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, dispose de la faculté de reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans une limite maximale de deux années ; il peut toutefois par décision spéciale et motivée réduire les intérêts ou arrêter leur cours, cette mesure ayant pour effet de suspendre les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier.

Le législateur Marocain, quant à lui, s’est montré laconique par rapport à cette question, et a autorisé le juge à n’accorder le délai de grâce que s’il est prévu légalement ou conventionnellement au regard de l’article 128 du dahir des obligations et des contrats. Cependant c’est une procédure qui se présente assez exceptionnellement.

101

-ainsi l’article 635 de la loi n° 22-01 relative au code de procédure pénale prévoit que la contrainte ne peut pas s’appliquer aux personnes âgées de moins de 18 ans ou plus de 60 ans, ne peut être appliquée également sur débiteur au profit de son conjoint, ses ascendants, descendants, frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces et alliés au même degré, ainsi que pour une exécution simultanée contre le mari et l’épouse, même pour des dettes différentes, ni contre une femme enceinte ou une femme allaitante pendant les deux années suivant son accouchement.

102-aux termes des dispositions de la loi n°15-97 formant code de recouvrement des créances publiques, la contrainte par corps est appliquée contre les débiteurs dont la dette est supérieur ou égal à 8000 Dh, et après non aboutissement des voies d’exécution sur les biens du redevable.

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N’en déplaise au créancier, cela reste une mesure à caractère humain qui joue en faveur du débiteur, mais qui, néanmoins, rompt à certains moments l’équilibre contractuel par l’intervention d’un tiers, le juge en l’occurrence, de même qu’elle peut mettre en péril la viabilité économique eu égard aux dommages pécuniaires que cela pourrait provoquer au créancier.

72. Le législateur Marocain, a procédé en outre à la mise en place d’une législation spéciale

pour le traitement des entreprises en difficulté, introduite dans le cinquième livre de la loi n°15-95 formant code de commerce. Il s’est largement inspiré de la loi Française n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, ayant comme principal objectif de préserver l’emploi et l’entreprise débitrice.

En effet, à travers cette approche innovante, il a voulu mettre fin au principe de la faillite qui diabolisait les entreprises, et dédramatiser un impayé qui était tant condamné. Cet état d’impayé n’est plus perçu comme auparavant, et le désintéressement des créanciers n’est plus une priorité absolue. Dans le cas présent, cette procédure demeure un privilège manifeste pour le débiteur défaillant qui, au lieu d’être sanctionné, trouve le soutien du législateur qui met tout en œuvre pour sauvegarder l’entreprise et l’emploi.

Par ailleurs, Il convient de souligner que la France dispose de davantage de dispositifs qui relèvent d’un caractère social, dont le plus important, et qui a fait l’objet de maintes réformes substantielles, est celui relatif à la prévention et au règlement de difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, appelé loi Neiertz. A cela s’ajoute la mesure instaurée par le législateur à travers la loi de modernisation de l’économie du 4 aout 2008, dont les principaux apports étant l’insaisissabilité des biens104. Outre la résidence principale de l’entrepreneur qui pouvait être déclarée insaisissable par ce dernier, le législateur a voulu en étendre son champ d’application, pour porter sur tout bien foncier bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel, tout en fixant les modalités et les conditions de déclaration du bien.

73. Force est de constater que des finalités économiques et sociales étaient derrière ces

interventions législatives récurrentes, en vue de prendre en compte la situation du débiteur, qui demeure toujours la partie la plus faible, et lui apporter, à ce titre, la protection nécessaire. Cependant cette évolution législative nous laisse à penser que l’impayé n’ était pas à l’abri, et, à l’inverse, la hausse de l’impayé peut être attribuée par ricochet à cette évolution législative, et, ipso facto, on se trouve face à un débiteur prédisposé à être assigné en justice pour confronter un impayé

104

- L.LAUVERGNAT, « De l’abolition du droit des créanciers professionnels : la loi du 4 aout 2008. Réflexions sur l’extension du domaine de la déclaration d’insaisissabilité et la généralisation du recours à la fiducie », Dr. et

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2- Les mutations psychologiques et socio-culturelles

74. il est vrai que le débiteur français en cas de défaillance ou de survenance d’un incident

de paiement de sa part pour une quelconque cause, préfère accepter de son créancier un rééchelonnement ou un accord contractuel même s’il est durement exécutable, ou qu’il le contraint à faire davantage de sacrifices, plutôt que d’ être assigné en justice par son créancier et de se retrouver devant une procédure d’exécution sur ses biens105. De plus, il peut bénéficier de délais de grâce accordés par le juge au sens de l’article 1244-1 du code civil, de même, il peut demander l’ouverture à son profit d’une procédure de traitement de surendettement qui pourrait le décharger d’une partie de sa créance, voire de sa totalité. De même pour le créancier qui préfère que son plan de rééchelonnement ou la proposition faite par ses soins ou par une tierce personne soit acceptée plutôt que de se heurter à d’éventuels aléas et difficultés de la justice.

A l’inverse, la personnalité marocaine est imbue de fondements religieux, proprement dit islamiques, et s’efforce d’exécuter les prescriptions qui lui sont imposées par le Saint « Coran » et la «sunna106 ». A ce propos le Coran impose d’écrire la dette lors de

l’engagement, et de la rembourser à son échéance107, et c’est donc un devoir religieux avant tout qui constitue un frein à l’égard de l’impayé, auquel s’ajoutent d’autres considérations socio-culturelles et coutumières qui proscrivent fermement l’impayé ou le non remboursement d’un prêt, du fait qu’il déshonore l’individu, et le discrédite ce qui est moralement inacceptable.

75. Au fil du temps, des mutations d’ordre socioculturel et psychologiques se sont opérées

pour affecter vraisemblablement ces fondements, avec pour conséquence la banalisation de la défaillance108, et la normalisation de l’action en justice, ligne de conduite impropre à la culture Marocaine109.

105

-« La prise en charge de l’impayé contractuel en matière civile et commerciale », CEDCACE et CRIJE, janvier 2010, sous la direction de B.THULIER, L.SINOPOLI et F.LEPLAT, p.99.

106

- la sunna est la deuxième source de l’islam après le livre divin, elle recueillie tout l'enseignement du

prophète « Mohamed » avec ses dires, ses actes, ses délaissements de certains actes, ses désapprobations... .

107

-ainsi le verset 282 de Surat al bakara dit : « O les croyants! Quand vous contractez une dette à échéance déterminée, mettez-la en écrit; et qu’un scribe l’écrive, entre vous, en toute justice…. » Et dans le verset suivant : « que celui à qui on a confié quelque chose la restitue; et qu’il craigne Allah son Seigneur…. », En l’occurrence la chose confiée ici c’est la dette qui doit impérativement être restituée. V., J. LMHALI ET J.LYAUTI, Tafssir aljalalayn, Edit. dar el Jil, 1995, p.49.

108

-M. ROUGER, « Banalisation de la défaillance de paiement (excusabilité du débiteur, doctrine Frech Start) », in La prévention de la défaillance de paiement, Actes du 2ème congrès Sanguinetti 1998, J. Bastin (sous la direction) Larcier, Bruxelles,2000. p.105 et s.

109

-dans un temps jadis, les Marocains soumettaient leurs différents et litiges à une personne réputée de sa piété et connaissance pour trancher les litiges dans une tribu ou agglomération, il existe encore des juges d’arrondissement et les juges communaux qui peuvent être de simples citoyens, ils sont choisis au sein et par

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A fortiori, des raisons d’ordre psychologique sont au cœur du caractère récalcitrant du débiteur qui refuse d’acquitter sa dette. D’une part, l’interaction du développement psychologique de l’individu avec son environnement social, tel est l’effet du « facteur psycho social » affectant la personnalité du débiteur souvent imprégnée d’ « attributs psychiques » propres à son environnement, générant ainsi telle ou telle attitude qui ne cesse de s’ancrer graduellement jusqu’au stade d’acquisition. En l’occurrence, le caractère récalcitrant (l'obstination à ne pas payer) est un caractère psychologiquement acquis, sans oublier également son influence sur les retards de paiement que nous détaillerons plus loin110. On ne peut nullement faire abstraction de ces changements psychologiques et socioculturels dans l’analyse de cette hausse de l’impayé. Or cela peut être un élément non négligeable de cet accroissement, de même pour le recours excessif à la justice pour des affaires d’impayé, ce qui peut expliquer sans aucun doute cette propension et cette prédisposition, à la fois du créancier et du débiteur, à s’y accoutumer.

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