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102. La mise en œuvre du recouvrement amiable par une société de recouvrement non

réglementée peut entrainer à l’évidence des abus à l’encontre du débiteur, des méthodes parfois musclées, et qui se sont systématisées du fait de leur caractère récurent. Pourtant ces comportements éveillent de forts soupçons sur leur caractère pénalement condamnable. Certes, les appels téléphoniques répétés et continuels constituent le premier excès de ces sociétés à l’égard des débiteurs, postérieurement à maintes relances par des lettres pour le moins comminatoires, employant un vocabulaire juridique poussé, voire menaçant, et ne respectant aucunement le formalisme requis dans ce genre de situation. En outre, ces cabinets, en cas d’indifférence du débiteur, peuvent se montrer plus menaçants en se rendant à son domicile ou à son lieu de travail, pour le soumettre à davantage de pression. L’ensemble de ces agissements frauduleux constitue une atteinte à la vie privée d’autrui, et à défaut d’une disposition particulière qui pénalise spécifiquement ces actes dans le code pénal marocain143, cela peut être qualifié comme étant une vraie menace ou un chantage exercé sur la personne du débiteur (1).

De surcroît, ces cabinets occultent leur vraie activité dans les lettres envoyées et à travers les appels téléphoniques, pour créer un amalgame fallacieux et une confusion quant à leur activité et à leurs prérogatives au regard d’un débiteur, qui se méprend et leur accorde crédit, et n’agit pas en justice contre ces cabinets pour usurpation de qualité vis-à-vis d’autres fonctions réglementées(2).

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-Dahir n° 1-59-413 du 26 novembre1962 portant approbation du texte du code pénal, B.O n° 2640 bis du 5 juin 1963.

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1- Les menaces et chantages à l’encontre du débiteur

103. N’en déplaise au créancier, les lettres de relances envoyées par les cabinets de

recouvrement sont considérées comme comminatoires et créent une réelle menace contre le débiteur, utilisées comme un véritable tremplin par ces sociétés à des fins purement commerciales.

Il apparait dans de nombreuses lettres de relances destinées aux débiteurs, qui nous ont été envoyées ou transmises par les sociétés avec qui nous avons pris contact144, que celles-ci sont revêtues d’un caractère dissuasif, et, en l’occurrence, ces cabinets se servent d’un langage menaçant pour provoquer le paiement : ainsi des lettres qui annoncent des poursuites judiciaires à l’encontre du débiteur si le paiement n’intervient pas sous huitaine, ou des lettres qui annoncent le cours des intérêts à partir du non règlement par le débiteur au-delà d’une date butoir145 ; il s’agit encore de lettres cherchant à dissuader le débiteur en énonçant des frais et des intérêts supplémentaires en cas de retard ou en cas de poursuite devant le tribunal compétent. De plus, ces cabinets peuvent aller jusqu’à faire allusion à une éventuelle détention du débiteur s’il s’agit d’un chèque non réglé par ce dernier à échéance, étant donné que l’émission de chèque sans provision est pénalisée par le droit marocain contrairement au droit français, aux termes de l’article 543 du code pénal, sous condition que la mauvaise foi soit un élément constitutif de l’infraction146.

104. Malheureusement, le législateur marocain n’a pas mis la lumière sur ce moyen de

recouvrement comminatoire qui exerce une véritable pression sur le débiteur sans que cela puisse apporter un résultat efficace, d’autant plus que le débiteur se peut se sentir incommodé par ce procédé, et peut se montrer plus obstiné. N’ayant consacré aucun texte qui incrimine cette pratique devenue très répandue dans le milieu de ces sociétés, en dépit de la licéité du but poursuivi, celui de recouvrement d’une créance à l’amiable, cette pratique inadmissible ne cesse de gagner du terrain au préjudice d’un débiteur qui demeure encerclé par ces chasseurs de dettes. Curieusement le législateur français à la différence d’autres législateurs147est également resté muet sur cette question et n’y a pas répondu.

144-annexe 7.

145

-annexe 7.

146

-l’article 543 du code pénal Marocain stipule : « Est puni des peines édictées à l'alinéa premier de l'article 540, sans que l'amende puisse être inférieure au montant du chèque ou de l'insuffisance, quiconque de mauvaise foi :

Soit émis un chèque sans provision préalable et disponible ou avec une provision inférieure au montant du chèque, soit retiré, après l'émission, tout ou partie de la provision, soit fait défense au tiré de payer.

147

-le législateur Italien puni au sens de l’article 392 et 393 du code pénal quiconque qui se fait abusivement justice lui-même avec violence ou menace en exerçant son droit qu’il revendique, tandis qu’il avait la possibilité de le demander devant la justice.

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105. Par ailleurs, les appels téléphoniques sont considérés comme une suite inévitable de

ces cabinets dans le cas où le débiteur s’abstient de régler ou ne donne aucune suite favorable aux relances agressives qui lui ont été envoyées par le mandataire au recouvrement. Ces cabinets durcissent davantage leurs moyens d’intimidation et accentuent la pression pour obtenir gain de cause et pour cela ils choisissent généralement les appels téléphoniques, après avoir obtenu les coordonnées du débiteur auprès du créancier, ou par le biais des annuaires destinés à cet effet.

Quant à l’incrimination de cet acte délictueux, il convient de souligner que le législateur français, y a pourvu dans la loi n°2003-239 du 18 mars 2003148, qui a modifié les dispositions de l’article 222-16 du code pénal, inflige une sanction de prison et une forte amende contre les auteurs d’appels téléphoniques malintentionnés ou d’agression sonore, sous réserve qu’ils soient fréquents et répétés, et de nature à troubler la tranquillité du débiteur. Le législateur marocain, en revanche, , reste encore muet de son côté sur une éventuelle pénalisation de cet acte délictueux.

Parallèlement à ces appels téléphoniques, le débiteur peut subir une autre pression à travers des visites domiciliaires ou des visites sur son lieu du travail par un agent mandaté à cet effet, toujours sous prétexte d’un recouvrement amiable. Cet acte constitue une atteinte à la liberté individuelle du débiteur, compte tenu du principe de l’inviolabilité du domicile garantie par le législateur marocain au sens de l’article 441 du code pénal. Ainsi un débiteur a pu déclarer au cours d’un entretien149 avoir subi maintes visites à domicile et sur son lieu de travail par un agent représentant un cabinet de recouvrement de créances. En l’espèce , l’ensemble des éléments de cette infraction est clairement constitué, le but poursuivi par le mandataire au recouvrement n’étant pas de s’introduire au domicile du débiteur, mais d’exercer une pression en portant atteinte à sa liberté individuelle. Cependant cet acte peut avoir une autre qualification juridique.

106. Relativement à la qualification juridique de l’ensemble de ces actes à caractère

délictueux cités ci-dessus, d’abord, les appels téléphoniques et les lettres comminatoires peuvent constituer une violence si le débiteur arrive à prouver qu’il a subi une atteinte physique ou psychique, ce qui est toutefois difficilement démontrable sauf par des appels téléphoniques réitérés ou des lettres agressives. Quant à l’atteinte à son intégrité psychique, elle demeure tributaire d’une expertise médicale pointue pour pouvoir prouver ce préjudice. Cependant, cela peut aussi être qualifié comme un chantage.

148

-- art. 49 JORF 19 mars 2003, cette loi est relative à la sécurité intérieure.

149-celui-ci déclare lors de l’entretien avoir contracté un commerçant pour l’achat de produits mobiliers, ce dernier est conventionné avec un établissement de crédit qui offre des facilités de paiement à ses clients, moyennant des prélèvent mensuels, pour insuffisance de provision, l’établissement de crédit a mandaté une société pour recouvrer la créance.

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En effet, le chantage en droit marocain est prévu par l’article 538 du code pénal150 dans une section destinée aux vols et extorsions : il s’agit de l’emploi de procédés illégaux pour obtenir de la victime une contrepartie, le recouvrement de la créance en l’occurrence, et la société de recouvrement se sert de la menace pour arriver à cette fin.

En pratique, les mandataires menacent le débiteur pour obtenir soit le paiement, soit un engagement du débiteur ou un écrit par lequel il s’engage à s’acquitter, avec des conditions précises. En l’espèce la menace peut être ici écrite ou verbale, via les lettres de relances ou les appels téléphoniques. Quant aux révélations ou aux imputations diffamatoires qui peuvent caractériser cette infraction, les cabinets peuvent se servir de leur bases de données pour savoir si le débiteur a eu un autre impayé, et s’il a déjà fait objet d’un fichage, et, si c’est le cas, cet élément peut être troublant pour le débiteur surtout s’il s’agit d’un professionnel, et la révélation de ces impayés réitérés peut lui porter gravement atteinte et détruire sa réputation. Dans ce cas, le débiteur cèdera inconditionnellement au chantage du mandataire et procédera au paiement.

D’ autre part, le mandataire peut exercer un chantage sur le débiteur en le menaçant, par les chèques dont il dispose à titre de garantie, pour obtenir le paiement ou un engagement écrit , ou pour obtenir encore d’autres chèques. Cet acte n’est pas non plus impuni, puisque l’article 544 du même code, punit toute personne qui accepte un chèque à la condition qu'il ne soit pas encaissé immédiatement mais conservé à titre de garantie .

Toutefois, n’est pas considéré comme un chantage en France le fait pour le créancier ou son mandataire de réclamer une créance exigible en menaçant le débiteur de recourir à la voie judiciaire151.

Ces actes ont pour effet d’annihiler la liberté d’agir du débiteur en l’obligeant à exécuter un acte qu’il n’aurait pas accompli dans d’autres circonstances152. Cependant l’infraction doit être suffisamment caractérisée, et les menaces doivent porter atteinte à la position du débiteur, et à l’évidence, il faut qu’il y ait une contrepartie réelle qui résulte de l’ensemble des menaces.

Quant aux moyens de preuves, le débiteur peut apporter la preuve à travers les lettres comminatoires qui lui ont été envoyées par le cabinet, ou invoquer les appels téléphoniques menaçants à son encontre.

150- Quiconque au moyen de la menace, écrite ou verbale, de révélations ou d'imputations diffamatoires, extorque soit la remise de fonds ou valeurs, soit la signature ou remise des écrits prévus à l'article précédent, est coupable de chantage et puni de l'emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 200 à 2.000 dirhams.

151

-Cass. Crim., n°84-90.787, 12/03/1985, bull. crim., n°110.

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107. A propos des visites domiciliaires et des visites au lieu du travail du débiteur, cet acte

ne peut pas être qualifié comme une violation domiciliaire du moment que le mandataire ne s’introduit pas avec violence ni à l’aide d’un moyen illégal quelconque, et dans la mesure où il décline son identité ou sa profession. Cependant cet acte peut être qualifié également de chantage, si le mandataire se sert directement des menaces révélatrices ou autres pour obtenir le paiement auprès du débiteur.

Ces actes ne doivent plus rester impunis, et les débiteurs doivent penser à actionner en justice pour que le ministère public puisse engager des poursuites contre les abus de ces sociétés de recouvrement, qui ne se contentent pas seulement des procédés comminatoires pour obtenir satisfaction, mais qui se servent parfois de prérogatives qui ne sont pas les leurs, pour dissuader le débiteur et exploiter son ignorance.

2- L’usurpation

108. De nos jours, les sociétés de recouvrement au Maroc continuent à abuser de cette

activité, sans pour autant être poursuivies en justice, étant considéré que les débiteurs sont protégés pénalement contre ce genre de pratique.

En effet, ces cabinets profitent de la déréglementation pour faire croire aux débiteurs qu’ils disposent de pouvoirs qui, en réalité, sortent de leurs compétences. C’est ainsi qu’ils ne font aucune mention dans leurs lettres de relance de l’exercice d’une activité de recouvrement amiable, puisque dans la généralité de ces lettres, ils indiquent dans l’en-tête leur dénomination sociale non loin de leur activité, celle de « cabinet juridique », ou « cabinet de conseil juridique », avec une signature du service de recouvrement amiable, faisant croire au débiteur dissuadé à l'avance par le contenu de la lettre qu’il disposent d’un autre service de recouvrement judiciaire et que ce sont eux qui peuvent engager une procédure exécutoire à son encontre.

109. Outre cet abus, ces cabinets visent dans leurs lettres ou relances téléphoniques à

créer une ressemblance avec les huissiers de justice ou encore les avocats Ainsi ils utilisent dans leurs lettres de relances des formules identiques à celles utilisées par un huissier de justice dans le cadre d’une procédure de saisie, mission dont l’huissier de justice a le monopole ou encore, ils se présentent comme un cabinet juridique capable d’entamer un recouvrement judiciaire devant le tribunal compétent et font paraitre parfois dans ces lettres la mention de « recouvrement judiciaire » sachant que seuls les avocats disposent de cette prérogative, puisque cela relève de leur monopole, et cet acte constitue une immixtion dans les compétences des avocats ayant fait l’objet d’une formation pour plaider devant une juridiction.

L’ensemble de ces actes peut être qualifié comme une usurpation et une immixtion dans des professions légalement réglementées de nature à créer une confusion dans l’esprit du public, sans que ces cabinets remplissent les conditions exigées pour l’exercice de ces

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professions. En l’espèce, le code pénal marocain incrimine ces actes en vertu de l’article 380 qui dispose :

« Quiconque, sans titre, s'immisce dans des fonctions publiques, civiles ou militaires ou accomplit un acte d'une de ces fonctions, est puni de l'emprisonnement d'un à cinq ans à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave ». De même et l’article 381153, qui incrimine aussi l’usurpation et l’immixtion dans une profession légalement réglementée. Quant aux moyens de preuve mis à la disposition du débiteur, on peut les trouver à travers les lettres envoyées par la société de recouvrement., Il serait, autrement, délicat pour le débiteur de démontrer cette infraction uniquement en établissant des visites domiciliaires ou au lieu du travail, ou encore des appels téléphoniques.

A cet égard, même les organisations professionnelles représentant les avocats et les huissiers de justice sont appelées à se mobiliser pour dénoncer les actes délictueux intolérables et condamnables de ces sociétés de recouvrement de créances.

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