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dans l'enseignement

Chapitre 2: Savoirs et représentations représentations

2. Les représentations sociales

Même si elles portent sur des aspects différents, les recherches traitant des représentations autant dans le domaine de l'enseignement que sur une langue en tant que telle ont cependant un point commun: elles partent en effet de l'idée que les représentations dont elles traitent, même si elles sont exprimées par un individu ou un groupe d'individus particuliers, sont de nature sociale. Ainsi, qu'ils figurent dans des ouvrages de sciences de l'éducation ou de linguistique appliquée, ces travaux font toutes une référence théorique et méthodologique plus ou moins assumée vers le champ d'étude des représentations sociales, cher aux psychologues sociaux, et qui sera aussi pris comme ancrage ici, et ce sans prétendre s'y rattacher intégralement. Il convient donc de clarifier plusieurs éléments à ce propos:

2.1 La notion de "représentation"

La théorie des représentations sociales a été prise comme base dans des recherches dépassant parfois de loin le champ de la psychologie sociale. Or, les propos de la majorité de ces travaux – l'examen de ce que les gens pensent d'un objet se basent parfois sur des terminologies bien diverses;

l'exemple des recherche se concentrant ainsi sur les langues en est un bon exemple. Que l'on parle de représentations linguistiques, de représentations des langues, de linguistique populaire,

d'imaginaire linguistique, ou de normes subjectives, les subtilités sont nombreuses et portent parfois à confusion quant à l'objet d'étude, et ce même si les concepts utilisés sont souvent très clairement définis dans les travaux. Il en résulte que "certains auteurs restent ainsi méfiants à l'égard de la notion de représentation, trop usitée, invoquée de manière différente à l'intérieur des champs disciplinaires voisins mais décalés, qui qui brouillent la transparence définitoire attachée à la notion"

(Moore 2001: 9).

Malgré cela, c'est bien le terme de représentation qui sera utilisé ici, suivant la définition de Jodelet:

Représenter ou se représenter correspond à un acte de pensée par lequel un sujet se rapporte à un objet.

Celui-ci peut être aussi bien une personne, une chose, un événement matériel, psychique ou social, un phénomène naturel, une idée, une théorie, etc. ; il peut être aussi bien réel qu'imaginaire, ou mythique, mais il est toujours requis. (1989: 54, c'est moi qui souligne)

Il n'est pas essentiel de spécifier de façon trop approfondie les nuances que nous comprenons entre représentations, images, conceptions ou même croyances ou visions; comme le note très bien Petitjean, les différentes définitions de ces termes mènent effectivement à une "famille synonymique composite" (2009: 15) dans laquelle il n'est pas aisé de se repérer. Le concept de représentation est cependant le plus pertinent pour cinq raisons:

 Tout d'abord, par son étymologie, le mot "représentation" paraît être celui qui se rapproche le plus de ce qui est traité dans ce travail. Il ne s'agit en effet pas seulement d'examiner des imaginaires (qui pourraient rester dans l'esprit de chacun) ou des normes (qui

sous-tendraient une forme d'inflexibilité) mais réellement des re-présentations, soit les

différentes façons dont des individus, par exemple les enseignants, peuvent présenter plus loin un objet (on voit aussi le latin res) dont ils sont ainsi vecteurs.

 Ensuite, ce choix montre que la langue est en réalité comme tout autre objet de

représentation et se soumet de facto aux mêmes contraintes d'analyse et d'explicitation.

Autant dans sa nature que dans le lien qu'elle entretient avec la société, elle est considérée

au même titre que d'autres éléments que l'on peut se représenter comme la maladie mentale, la politique ou même la profession de plombier.

 De plus, et on aurait pu commencer par là, c'est le terme utilisé dans les recherches sur les représentations en psychologie sociale; il porte donc avec lui toute une culture de recherche qu'il est intéressant d'emprunter pour ce qui touche à ce sujet.

 Il permet également, comme nous le verrons dans quelques paragraphes, de laisser la porte ouverte aux différentes dimensions des représentations – descriptive et évaluative, nous y viendrons dans quelques instants – sans se restreindre par des termes tels que "attitude" ou

"image" à l'une ou l'autre de ces dernières

 Enfin, et c'est un présupposé important de ce travail qui a été mentionné plus haut, en partant de l'idée que la représentation comme étant sociale on ne peut pas négliger que toute représentation a une part – plus ou moins importante, cela reste à définir – qui est collectivement définie.

Pour des raisons de lisibilité, nous utiliserons cependant parfois certains des synonymes évoqués plus haut; il faudra cependant toujours les comprendre comme se référant aux représentations avec les caractéristiques que nous venons d'évoquer.

2.2 Le champ des représentations sociales

Ce cadre définitoire correspond bien au concept tel qu'évoqué par Denise Jodelet, psychologue sociale ayant contribué à l'évolution de ce champ de recherche. Voyant les représentations comme

"une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social" (1989: 53), mais loin de les considérer cependant comme des connaissances au sens brut du terme (elle soulève elle aussi par là la barrière parfois floue entre connaissances et représentations), la définition que donne Jodelet de la représentation correspond tout à fait à l'idée qui sera suivie, surtout si on se souvient de

restitution d'un savoir:

Il n'y a pas de représentation sans objet […] la représentation mentale, comme la représentation picturale, théâtrale ou politique, donne à voir cet objet, en tient lieu, est à sa place; elle le rend présent lorsqu'il est absent. Elle est donc le représentant mental de l'objet qu'elle restitue symboliquement. (1989: 54, c'est moi qui souligne)

D'ailleurs, elle souligne que "cette forme de connaissance est distinguée, entre autres, de la connaissance scientifique" (1989: 53), notamment par deux facteurs: Tout d'abord ce sont des processus interprétatifs qui ont un impact autant sur le rapport que nous entretenons avec le monde et la société qui nous entoure qu'avec les autres processus ("diffusion et assimilation des

connaissances, développement individuel et collectif, définition des identités"…) De plus, ce sont des processus cognitifs, qui ont donc un caractère mental mais qui régissent les relations sociales entre individus, en ce sens qu'ils contribuent à une cohésion d'idées et à un mode de pensées marquant la vie collective.

Ce lien fort avec les relations sociales occupe d'ailleurs une grande place dans le domaine de la psychologie sociale; la plupart des théoriciens dans ce champ se penchent en effet souvent aussi sur la façon dont ces représentations forment, modèlent, contraignent ou modifient les relations dans un groupe social donné, et sur leur impact dans la relation entre différents groupes sociaux. Comme l'avait en effet déjà noté Moscovici, précurseur de Jodelet et un des premiers psychologues sociaux cité sur le sujet, la représentation sociale a en effet "pour fonction l'élaboration des comportements et la communication entre individus" (1961: 26)

Ce n'est pas sur l'aspect des dynamiques sociales entourant les représentations que nous nous attacherons (rendons aux psychologues sociaux ce qui leur appartient), même si nous utiliserons le terme de représentation sociale puisqu'il porte l'hypothèse qu'il existe une forme de pensée permettant la restitution figurative d'un objet qui est collectivement partagée. Ainsi, la discussion tournera plutôt autour de la nature des représentations circulant autour de la Langue ou des langues comme objets d'enseignement, et des composantes partagées de ces représentations, plutôt que sur la façon dont ces dernières régulent les relations interpersonnelles.

Seule une petite partie de tous les enjeux tant méthodologiques qu'épistémologiques ayant cours dans le domaine des représentations telles qu'étudiées en psychologie sociale (et qui sont très bien évoqués dans Orfali 2000) sera donc abordée ici. Trois caractéristiques des représentations, issues de précédentes recherches ou discussions, certaines plus consensuelles que d'autres, seront cependant prises en compte dans cette thèse: la structure des représentations, les dimensions (descriptive et évaluative) de ces dernières, et la dynamique entre le social et l'individuel.

2.2.1 Les représentations sont structurées

En premier lieu, les représentations sociales sont structurées. Elles ne sont pas une simple collection d'informations ou de croyances mobilisées à égale force, mais sont constituées d'éléments de nature et d'importance diverses. Moscovici le premier, dans son étude de référence au sujet de la

psychanalyse, évoquait que toute représentation pouvait s'analyser selon trois dimensions (1961, mais également bien résumés dans Herzlich 1972: 310ff): l'attitude ("l'orientation, positive ou négative, vis-à-vis de l'objet de la représentation"), l'information ("la somme des connaissances possédées à propos d'un objet social, à sa quantité et à sa qualité") et le champ de représentation ("l'idée d'une organisation du contenu: il y a champ de représentation là où il y a unité hiérarchisée des éléments").

Les travaux d'Abric (notamment 1989, 1994a), Flament (1994) ou Guimelli (1994) ont par ailleurs souligné le fait que les représentations s'articulent autour d'éléments centraux, immuables qui constituent le "noyau central" de la représentation: "un sous-ensemble de la représentation, composé d'un ou de quelques éléments, dont l'absence déstructurerait ou donnerait une signification radicalement différente à la représentation dans son ensemble. Il est par ailleurs l'élément le plus stable de la représentation, celui qui résiste le plus au changement" (Abric 1989:

215). Le reste des informations pertinentes s'organise ensuite en éléments dits périphériques, moins incontestables et ressortant dans les discours selon l'un ou l'autre des contextes d'évocation, mais ne jouant pas un rôle aussi déterminant. Nous allons nous aussi partir du principe qu'il y a une structure dans les représentations et que certains aspects peuvent émerger comme étant plus centraux. Nous verrons même que certains éléments de représentation peuvent d'avérer stéréotypés, soit

potentiellement permettre à eux seuls une généralisation des caractéristiques de l'objet, suivant la définition de Moscovici qui voit en la stéréotypie "un état de simplification des dimensions des stimuli […] le degré de généralité d'une opinion" (1961: 33).

2.2.2 Les représentations s'articulent autour de plusieurs dimensions

Moliner (1994, 1996) s'est également penché sur la structure des représentations, en postulant que les représentations s'articulent autour de deux axes: le premier distinguant les éléments centraux des éléments périphériques, et l'autre distinguant la dimension descriptive de la dimension évaluative. Ceci suggère donc, en deuxième lieu, qu'en plus d'être structurée, une représentation sert autant à transmettre une vision restitutive, descriptive, de l'objet qu'à expliciter le rapport

qu'on entretient avec ce dernier et l'attitude avec laquelle on l'aborde. Ce modèle bidimensionnel, que Moliner base sur son concept de cognition mais qui rejoint d'une certaine façon les idées de Moscovici et d'Abric, permet ainsi de considérer ces deux pôles (descriptif et évaluatif) comme faisant partie intégrante du processus représentationnel, ce que nous ferons également.

Il convient cependant de préciser ici qu'alors que Jodelet précisait que tout objet peut être objet de représentation, pour Moliner (1996, voir aussi Moliner & Tafani 1997) ces deux dimensions n'ont pas de part égale et absolue dans chaque représentation; Même si représentations et attitudes (selon les termes qu'il utilise pour distinguer le processus descriptif du processus évaluatif) se distinguent, ils ne sont pas forcément proportionnels ni bilatéraux: Alors que toute représentation (dans le sens global du terme) et toute attitude se base sur une description, pas toutes les descriptions ne donnent lieu à une évaluation:

[La catégorisation de Moscovici en information, champ de représentation et attitudes] suggère que les attitudes s'expriment par rapport à l'objet de représentation. On comprend bien [son] exemple lorsqu'il décrit les réponses de personnes favorables ou défavorables à la psychanalyse. Mais quel sens y a-t-il à être favorable ou défavorable à l'intelligence, à la maladie mentale ou à l'économie? Ce sont là des objets de représentation pour lesquels la dimension attitudinelle ne nous paraît pas pertinente. (1996: 53) Sans prétendre que l'examen de la dimension évaluative n'est pas adéquat, il soulève là une

discussion intéressante autour des éléments constitutifs de la représentation et de la pertinence des schémas d'analyse: on ne peut pas en effet partir du principe que tous les objets peuvent réellement se soumettre à une évaluation – certains sont en effet trop abstraits ou finalement présents sous tellement de formes différentes qu'il est difficile de déterminer face à eux une seule attitude. Nous verrons dans notre cas qu'en ce qui concerne l'objet abstrait de Langue, même s'il est intéressant de voir comment cet objet est décrit, il est difficile de s'imaginer avoir une attitude favorable ou

défavorable face à la Langue; les différentes langues, elles, donnent régulièrement lieu à des évaluations.

2.2.3 Les représentations sont un processus dynamique entre groupe social et individu

Le dernier point qui paraît essentiel à soulever ici est que, même si la majorité des auteurs

s'accordent sur le fait qu'il est plus intéressant dans l'étude des fonctionnements sociaux d'examiner le caractère social de ces représentations, il est impossible de se séparer totalement de l'individu et du groupe dans lequel il évolue.

Le premier aspect, que nous avons déjà évoqué, est que les représentations ont une part

collectivement partagée. Cela étant, chaque individu étant membre du groupe social, il contribue par son discours à faire émerger ou évoluer des représentations sociales. Ces dernières, même si on postule souvent leur existence presque indépendante, ne se concrétisent en effet que par le discours et les échanges sociaux: "la communication sociale, sous ses aspects interindividuels, institutionnels et médiatiques apparaît, elle, comme condition de possibilité et de détermination des

représentations et de la pensée sociale". (Jodelet 1989: 64). Ainsi, chaque individu d'un groupe social va-t-il, par ses propres propos et son discours, contribuer aux représentations de ce groupe, tout en s'en inspirant lui-même, l'interprétant dans sa propre réalité pour lui donner une structure – ce processus dynamique (voir Abric 1994b, Py 2000) marque d'ailleurs pour de nombreux

psychologues sociaux la force de la cohésion d'un groupe donné, et suggère que les représentations ne sont pas fixes mais dépendantes du contexte dans lequel elles existent, ce qui les rend également évolutives dans le temps. Ce n'est cependant pas sur cet aspect diachronique que nous nous

concentrerons, même si nous verrons même au contraire que certains traits de représentation au

sujet de l'objet linguistique résistent au temps. C'est surtout ce que Petitjean nomme le "continuum fondamental entre l'individuel et le social" (2009: 19) qui nous intéressera. Les enseignants ont d'ailleurs une position particulière à cet égard, puisqu'ils sont justement investis d'un rôle de transmission qui leur confère une place de choix dans la création, la propagation ou la remise en question de représentations chez leurs élèves.

Moliner (1996: 55) notamment relève à ce sujet que les cognitions (terme qu'il utilise comme combinaison des deux dimensions de la représentation) ne se construisent effectivement pas uniquement par ces contacts sociaux, mais plutôt par trois sources: les communications auxquelles l'individu est exposé ("j'ai entendu, on m'a dit"), sociales dans leur essence, mais aussi les

expériences et observations du sujet ("j'ai fait, j'ai vu"), plus individuelles, et les croyances élaborées ("je pense, je crois"). Ce postulat rappelle en effet que les représentations ont un caractère

socialement construit (qui est effectivement le plus intéressant à examiner si on parle de processus sociaux) mais que cette pensée commune n'est pas un substitut direct à la pensée individuelle puisque comme le note Perrefort, "une part importante de la formation des représentations […]

trouve sa source dans la trajectoire personnelle de chacun – destin individuel, milieu familial, social, différentes instances de socialisation parcourues" (1997: 51) ou, comme nous le postulerons ici – dans les trajectoires de construction des savoirs disciplinaires. La représentation d'un individu peut donc adhérer à la représentation socialement partagée à plus ou moins forte mesure. Elle peut se l'approprier totalement ou s'en distancer également en fonction des parcours propres de l'individu.

En d'autres termes, comme le rappelle Jodelet, il y a dans l'examen des représentations sociales "une perpétuelle tension entre le pôle psychologique et le pôle social" (1989: 58, voir aussi Abric 1994b).

Nous aurons l'occasion de voir dans les chapitres 6 et 7 si les différents parcours de construction des savoirs tels que nous les avons identifiés, qui sont donc individuels, s'équilibrent avec des aspects plus partagés des représentations. Nous reviendrons ensuite dans le chapitre 8 sur cette dualité, notamment par les notions de Représentations sociales d'usage et de référence de Py (2004).

3. La dimension sociale des contenus