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dans l'enseignement

Chapitre 4: Finalités, objectifs de référence objectifs de référence

2. Hors de l'enseignement scolaire des langues

Si on reprend brièvement les questions qui guident ce chapitre (pourquoi apprend-on une langue? et quelle est la représentation de la Langue suivant cette finalité?) par un angle historique, on se rend compte que les besoins dictant les finalités d'un enseignement ont toujours été, sinon socialement définis, au moins influencés par le contexte socio-culturel. L'enseignement en auto-didacte ou préceptoral, même s'il n'était pas aussi institutionnalisé qu'aujourd'hui, mais proposé par des enseignants privés, s'est en effet toujours inscrit dans une réalité qui a guidé ses intentions, ce qui n'est pas sans nous rappeler que l'enseignement s'inscrit dans un cadre social précis.

L'exemple des manières de langage qui a servi de base à l'ouvrage de Caxton en 1483 en est un bon exemple, puisqu'il illustre comment l'essor des négoces internationaux a fait émerger l'attrait des langues étrangères chez les apprenants, ces derniers ayant compris que

"even a smattering of your client's mother tongue works wonders in business" (Howatt 2004: 12). La Tres bonne doctrine pour apprendre briefment fransoys et engloys le mentionne d'ailleurs explicitement : "Qui ceste liure vouldra aprendre / Bien pourra entreprendre / Marchandises dun pays a lauter / Et cognoistre maintes denrees / Que lui seroient bon achetes" (1483: 3-4, Image 16).

Cette œuvre a donc un objectif avoué: donner aux apprenants des outils linguistiques pour comprendre et influencer de potentiels partenaires commerciaux. La vision de la Langue est donc ici clairement celle d'un outil ayant pour fonction principale de faciliter l'interaction et la

négociation. La structure, l'appartenance socio-culturelle ou le lien entre langue, réalité et pensée

Image 16: Extrait de la Tres bonne doctrine (Caxton 1483: 3-4)

que nous avions déjà évoqués dans les théories linguistiques sont à ce moment tout à fait secondaires.

C'est un autre cas de figure que l'on rencontre lorsqu'on examine par exemple les œuvres des maîtres de langues étrangères qui exerçaient à l'époque des migrations religieuses en Europe, que Howatt (2004) nomme les "refugee teachers". Les exodes massifs dus aux guerres de religion, autant dans la seconde moitié du XVIe siècle qu'après la révocation de l'Edit de Nantes en 1685, ayant en effet amené de nouveaux besoins linguistiques dans les régions d'accueil, comme par exemple en Grande-Bretagne, la langue étrangère n'y était plus seulement un outil permettant d'améliorer le marchandage, mais était devenue un moyen d'intégration sociale, comme le note Jacques Bellot, qui fait des tracas des réfugiés ne maîtrisant pas une langue l'entame de ses Dialogues familiers "L'expérience m'aiant iadis appris quel ennuy apporte à ceux qui sont reffugiez en païs estranger, quãd ils ne peuvent

entendre le language du lieu auqueil ilz sont exillez & quãd ilz ne peuvent se faire entendre aux habitãs de la contrée en laquelle ilz se sont retirez" (1585: 3, Image 17). Comme le note Howatt, "The two small English manuals that Jacques Bellot wrote for the French-speaking refugees in the 1580s reflect these priorities of basic literacy [for the craftsmen who needed them to maintain their status]

and everyday conversation [corresponding to the social needs of their wives] quite closely" (2004:

20).

Cette vision d'une langue permettant d'évoluer dans une société est également très présente chez Guy Miège, qui évoque dans sa Nouvelle Méthode pour apprendre l'anglois près de 100 ans après Bellot que:

Je ne pense pas qu'il soit fort nécessaire de faire voir l'Usage [de la langue Angloise] aux Etrangers qui résident en Angleterre, dans leurs différentes Veuës. Ceux qui ne la parlent pas savent assez l'inconvénient qu'il y a, & la figure qu'on y fait, quand on l'ignore. (1683: 4, c'est moi qui souligne)

Là aussi, on voit que ce n'est qu'un aspect de l'objet linguistique – son lien avec la société et l'image que l'on renvoie à cette dernière lorsqu'on en maîtrise la langue – qui est mis en avant. Le contenu de la Méthode de Miège offre d'ailleurs aux apprenants non seulement des phrases permettant d'évoluer en société mais également certains faits sur l'Angleterre, les coutumes, les fêtes et le mode de vie de la communauté dans laquelle ils souhaitent s'insérer, ce qui augure de certaines des idées mises en avant par Humboldt près de 100 ans plus tard et que nous avons décrites en page 68. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Image 17: Extrait des Dialogues Familiers (Bellot 1585: 3)

L'interaction n'a cependant pas ainsi par exemple chez Meidinger, qui explique dans l'introduction de sa Praktische Französische Grammatik wodurch man diese Sprache auf eine ganz neue und sehr leichte Art in kurzer Zeit

gründlich erlernen kann que "l'apprentissage de la langue française par les règles est, comme chacun sait, le chemin le plus court et le plus sûr que l'on puisse emprunter. […] Je connais différentes personnes qui ont appris le français pendant huit, dix, douze ans et qui, malgré toute leur application, parlent avec beaucoup de fautes, et en font encore plus en écrivant"41 (1799: iii, ma traduction, Image 18). Par cela, il ne présente pas la finalité de l'apprentissage du français comme se situant dans l'échange ou la vie en société, ou du moins indirectement; l'important n'est pas de parler, mais de parler et d'écrire juste. Cette importance de la norme – que l'on trouvait déjà chez Donatius – présente donc la Langue sous son aspect plus systématique, laissant de côté la dimension interactive au profit d'une finalité axée sur le respect des règles grammaticales.

On pourrait trouver encore de nombreux exemples qui montrent à quel point la simple assignation d'un but à l'enseignement/apprentissage d'une langue est une prise de position représentationnelle en soi. Le XIXe siècle – puisque nous nous en approchons par le dernier exemple – a cependant ceci de particulier qu'il marque l'entrée des langues dans les cursus scolaires officiels. Nous nous pencherons d'ici quelques paragraphes sur les documents scolaires officiels.

Avant de se plonger dans les cadres institutionnels, il est cependant intéressant de se pencher très brièvement sur les finalités de l'enseignement "alternatif", i.e. non scolaire, que l'on peut trouver aujourd'hui. Les langues étrangères font en effet partie de la plupart des programmes éducatifs nationaux, mais cela ne signifie pas qu'il n'existe plus aucun enseignement de type privé. Que l'on parle de cours particuliers ou d'institutions telles que les cours du soir, ceux du Goethe Institut, les offres du Cambridge English Language Teaching ou des écoles de langue privées locales, les "cours de langue" sont fréquents et proposent une palette impressionnante d'enseignements. Ce qui est intéressant ici est que ces cours ont en général des buts divers: conversation, cours par niveaux (débutant, intermédiaire, avancé), cours de langue permettant une "orientation professionnelle spécifique: commerciale, bancaire, juridique, médicale, littéraire, publicitaire ou autre" (Varadi 2015), cours calqués sur des certificats existants… En réalité, on se rend compte que ces offres visent pour la plupart (ou du moins utilisent comme argument marketing) l'adéquation parfaite aux

besoins des apprenants. La plus-value de ces enseignements, telle que proposée, serait même parfois de "réaliser [ses] rêves"… (Berlitz 2015), un but bien ambitieux!

41 Comme on le lit dans l'exemple: "Die Französische Sprache durch Regeln zu erlernen ist, wie jedem Kenner bekannt, der kürzeste und sicherste Weg den man nur einschlagen kann. […] Ich kenne verschiedene Personen, die acht, zehn, bis zwölf Jahre Französisch gelernt haben, und mit all ihrem Fleisse, sehr fehlerhaft sprechen, und noch fehlerhafter schreiben"

Image 18: Extrait de la Praktische Französische Grammatik (Meidinger 1799:

iii)

Image 19: page d'accueil de www.berlitz.ch en français

Bien entendu, nous n'avons pas le temps ici de nous attarder sur la multitude des enseignements privés proposés, puisque c'est surtout l'enseignement scolaire qui nous intéresse. Il n'en reste pas moins intéressant de constater que, d'un point de vue représentationnel, la Langue y est souvent présentée comme un objet d'enseignement majoritairement utile. Nous allons cependant voir que cette utilité est malgré tout souvent rationalisée.