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Résultats empiriques –

2. Profil des participants

3.1 Productions globales

Ayant procédé à un premier "nettoyage" des données (pour supprimer les aspects grammaticaux tels que le nombre (singulier/pluriel) ou les déterminants, et ce sans modifier la valeur sémantique des concepts, voir page 162, et Annexe 1 pour le détail), ce sont finalement 861 concepts différents qui ont été proposés, sur les 2197 éléments écrits au total par les participants. Ces derniers ont en effet cité entre 4 et 47 termes différents (μ = 13.7, σ = 11) – cette différence étant déjà intéressante en soi puisqu'elle révèle d'un côté une richesse (relative) des représentations, ou d'un autre une assiduité plus ou moins forte à la tâche de réflexion. Le détail des concepts produits figure en annexe (page 407)

3.1.1 Dictionnaire tous participants confondus

L'élaboration du dictionnaire complet a permis tout d'abord de mettre en évidence les termes les plus fréquemment cités. Une liste complète avec occurrences de tous les termes évoquées se trouve en annexe. Le premier constat est celui que 593 termes n'ont été cités qu'une seule fois, ce qui est un premier indice que les représentations ont un volet très personnel et que chaque enseignant aura une conception finalement (en tout cas partiellement) individuelle de ce qu'est la Langue.

Cependant, plusieurs concepts ont également été évoqués très fréquemment. Voici ceux qui ont été évoqués par plus de 10% des participants:

Rg Concept Occurences %

Tableau 6: Concepts évoqués par plus de 10% des participants

Dès le départ, il était déjà possible d'observer plusieurs éléments-clés dans ces représentations, qui ne sont pas sans nous rappeler certains éléments parfois centraux à des théories linguistiques ou didactiques, et qui montrent donc par la même occasion que les représentations des enseignants prennent – du moins en partie – leur source dans des conceptions également fortement présentes dans leur milieu professionnel au sens large.

 L'idée de "communication", par exemple, est un concept qui est évoqué par plus de 60% des participants; si on le combine avec celui de "communiquer", on obtient même près un taux d'évocation de près de 80%! Ceci offre un écho retentissant à la démarche communicative entamée il y a quelques décennies, comme nous l'avons déjà perçu dans les manuels et les outils tels que le CECR, visant à orienter l'enseignement des langues vers une didactique plus influencée par les aspects communicationnels. Par la même occasion, ceci résonne donc également avec ce que proposait Hymes (voir page 77):" A model of language must design it with a face toward communicative conduct and social life" (1972: 278), et d'une façon plus large, avec plusieurs finalités et approches didactiques qui en ont découlé.

 Cette importance du lien entre la Langue et son contexte d'utilisation est également renforcée lorsqu'on constate que le deuxième terme le plus fréquemment cité est celui de

"culture". Comme nous l'avons également vu à travers de nombreux plans d'études ou manuels, il semble en effet que pour les enseignants, "language is [among other things] a system of signs that is seen as having itself a cultural value. Speakers identify themselves and others through their use of language; they view their language as a symbol of their social identity […]. Language symbolizes cultural reality" (Kramsch 1998:3, c'est moi qui souligne).

 Nous avons déjà plusieurs fois mis en évidence l'équilibre délicat entre les composantes écrites et orales de la Langue au niveau représentationnel. On se souviendra par exemple des tensions ayant mené à la réforme du début du XXe siècle et à l'importance de la prononciation (ou au contraire, sa mise au second plan) dans certains plans d'étude ou manuels. On voit en effet que les résultats de ma recherche montrent que la dimension orale de la Langue ("parler" - 28%) semble être plus facilement évoquée que l'écrit ("écrire"

- 14%). Même si à ce stade des analyses, il ne s'agit de discussions qu'autour de deux termes, nous aurons l'occasion de voir plus tard que les distinctions sont en réalité plus subtiles.

Ces trois notions citées les plus fréquemment semblent bien constituer le cœur des représentations évoquées; on pourrait en effet considérer qu'il s'agit là du "noyau central" évoqué par Abric (1994a,

1994b). En effet, 83% des participants ont cité au moins l'un de ces trois termes, et 38% en ont même cité deux ou trois, ce qui montre que ces éléments de représentation sont les plus partagés parmi les participants.

 Les deux termes cités ensuite, soit "grammaire" et "vocabulaire", ne sont pas loin derrière ce trio de tête et sont aussi particulièrement intéressants. On y note en effet d'une part une référence incontestable aux aspects formels et lexicaux de la Langue, mais ils évoquent également une forme de parité que l'on retrouve souvent dans le cadre scolaire (on se souviendra par exemple de l'association de ces deux aspects qui est faite dans le programme du Collège de Genève). Nous y reviendrons.

 L'apparition de la "littérature" dans les concepts les plus fréquemment cités (même si c'est moins fréquemment que "parler" et que "culture"!) nous rappelle quant à elle la place prépondérante qui lui est accordée autant au niveau universitaire que gymnasial, et qui se retrouve ainsi dans les représentations des enseignants. On pourrait légitimement se demander quelle est la part parmi ces derniers qui sont imprégnés à cet égard de ce que préconise leur programme d'enseignement, ou si on n'a pas plutôt à faire, comme on l'évoquait, à une association qui émerge principalement du parcours personnel (et donc universitaire) des participants.

Si on observe attentivement cette liste, on peut néanmoins remarquer que plusieurs termes sont lexicalement proches, voir morphologiquement liés. Comme expliqué, il a été décidé pour la présente discussion de ne pas regrouper ces termes par un regroupement morphologique. Un bref aperçu (disponible dans l'Annexe 3, voir page 412) montre d'ailleurs que les conclusions sont

identiques. C'est surtout par la phase de classification en champs lexicaux (à laquelle nous arriverons d'ici quelques paragraphes) que l'analyse se poursuivra.

3.1.1.1 Indice de similarité de Jaccard, occurrences conditionnelles

Afin d'approfondir l'examen des occurrences et de chercher à tisser quelques liens entre les différentes propositions des participants, il est intéressant – comme présenté dans la description méthodologique – de rechercher quels termes pouvaient être décrit comme étant liés, en me basant sur l'analyse des cooccurrences de deux termes. Le calcul de ces cooccurrences (voir page 162) a permis de déterminer, pour chaque paire de deux termes dans le dictionnaire, le nombre de fois où ces deux termes sont cités par la même personne.

Le premier axe d'analyse était celui de la proximité entre les termes, c'est-à-dire le fait que deux concepts sont statistiquement proches puisqu'ils apparaissent souvent ensemble,

proportionnellement à leur fréquence. Ceci m'a été possible à l'aide de l'indice de Jaccard qui se base sur le nombre d'occurrences et de cooccurrences de deux termes. Même s'il n'est pas question ici de présenter l'entier des 370 230 (!) correspondances possibles56, il est intéressant de relever quelles sont les plus fréquentes:

56 Afin d'éviter des chiffres trop élevés liés aux concepts cités par un seul participant, ce ne sont que les 170 termes évoqués au moins 3 fois qui ont été considérés.

concepts Indice de Jaccard

"parlée " et "écrite" 0.75

"écrit" et "oral" 0.67

"français" et "allemand" 0.60

"ancienne" et "vivante" 0.60

"anglais" et "allemand" 0.57

"français" et "anglais" 0.50

"vivante" et "morte" 0.50

"interlangue" et "traduction" 0.50

"français" et "journaux" 0.50

"étymologie" et "évolutive" 0.50

"lire" et "écrire" 0.45

"vacances" et "règle" 0.43

"multilingue" et "bilingue" 0.43

"écrire" et "parler" 0.43

"vocabulaire" et "grammaire" 0.41

Tableau 7: Indices de Jaccard les plus élevés (>0.41)

On peut d'ores et déjà relever plusieurs de ces concepts qui semblent être liés: l'oral et l'écrit, les langues vivantes et les langues mortes, les différentes langues entre elles, mais aussi différents traits de représentation qui semblent d'une certaine façon complémentaires, comme par exemple

"interlangue" et "traduction", ou de façon encore plus frappante "vacances" et "règle". La

combinaison "vocabulaire-grammaire" réapparaît ici aussi. Afin de ne pas mesurer ces fréquences que sous leur forme bilatérale, il est cependant également intéressant de se pencher sur les cooccurences conditionnelles, qui ne mesurent pas seulement la présence de paires pour arriver à une forme de distance, mais produit plutôt des résultats proportionnels et unilatéraux du type "n%

des personnes qui ont cité le concept X ont également cité le concept Y" qui permettent donc de montrer le cheminement des structures représentatives de façon plus dynamique. Encore une fois, il n'est pas nécessaire de présenter ici les 28'730 cooccurrences conditionnelles ici, ce d'autant plus qu'une cooccurrence élevée peut autant être dûe à un trait de représentation que dépendre de la fréquence de l'un ou l'autre des termes.

On peut malgré tout relever plusieurs aspects intéressants:

- Tout d'abord, le concept de "communication", même s'il est sans surprise un terme souvent cité en cooccurrence d'un autre, ne mène lui à aucun autre concept de façon forte.

- Au contraire d'autres, la paire "grammaire" / "vocabulaire" semble montrer un lien solide et symétrique. Non seulement l'indice de Jaccard liant ces deux termes est-il de 0.41, mais on constate que 59% des participants ayant cité l'un ont également cité l'autre, et ce dans les deux sens.

- Nous avons évoqué l'association fréquente de plusieurs langues particulières. En effet, deux tiers des participants ayant cité une langue en ont également cité au moins une autre – voire plus selon les paires. Ceci montre que la Langue, en plus d'être un objet aux

caractéristiques multiples, est mise en pratique par des formes différentes, et que ces réalisations sont souvent vues comme un ensemble de possibilités plutôt que des phénomènes isolés.

- Sans que ce lien soit symétrique et apparaisse donc dans le tableau ci-dessus, 85% des participants ayant cité "travail" ont également évoqué le "voyage", montrant donc non seulement (comme par l'association de "vacances" et "règles" la polymorphie de la représentation mais également la diversité des possibilités d'emploi de la Langue que j'aurai loisir de développer plus tard. 57

Le constat le plus important que l'on peut néanmoins faire de ces co-occurrences révèle un point très important déjà évoqué auparavant: le lien extrêmement fort entre l'écrit et l'oral. Il apparaît donc assez fortement que les caractéristiques orale et écrite d'une langue sont en fait presque

indissociables, comme le montraient les indices de jaccard:

concepts Indice de Jaccard

"parlée" et "écrite" 0.75

"oral" et "écrit" 0.67

"lire" et "écrire" 0.45

"parler" et "écrire" 0.43

L'équilibre entre les deux est-il pour autant parfait? L'analyse de la fréquence des termes avait en effet montré que "parler" était un concept plus facilement évoqué que "écrire", et l'analyse des occurrences conditionnelles confirme cette tendance donnant la primauté à l'oral dans les représentations des enseignants sur la Langue.

Pour commencer, 88% des participants ayant cité "s'exprimer" ont également cité "parler"; seuls 38% ont cité "écrire". De même, alors que 37% des gens mentionnant "communiquer" ont

également écrit "écrire", près de 67% ont cité "parler". Ceci donnerait à croire que la notion d'expression ou de communication amènerait plutôt à converger vers l'oral que vers l'écrit.

On constate d'ailleurs également qu'une grande proportion des personnes ayant évoqué l'écrit (par les concepts tels que "écrire" ou "écrit") ont également mentionné l'oral (notamment par "parler" ou

"oral") alors que l'inverse ne se voit pas:

100% des gens ayant cité "écrit" ont également mentionné "oral", mais "seuls" 67% des gens ayant produit le concept "oral" ont également produit celui d "écrit".

91% des personnes ayant écrit "écrire" ont aussi cité "parler"; seuls 44% des personnes ayant cité "parler" ont également écrit "écrire".

65% des personnes mentionnant "lire" ont aussi cité "écrire", mais 85% ont écrit "parler".

Ceci apporte donc un éclairage nouveau à l'opposition qui marque souvent l'oral et l'écrit:

1. Elle ne semble pas être une opposition exclusive, mais se réfère plutôt à une forme de complémentarité puisque les deux dimensions sont fréquemment citées ensemble.

2. Elle n'est pas parfaitement symétrique, l'oral étant plus fréquemment cité et également un facteur de convergence plus important (i.e. si on pense à l'écrit, alors on pense à l'oral, mais l'inverse n'est pas vrai)

57 Il est néanmoins intéressant de constater que seuls 41% des participants ayant cité le "voyage" ont également évoqué le "travail". Le travail appelle apparemment les voyages, mais pas forcément l'inverse…

L'analyse de ces structures représentatives est donc déjà un procédé pertinent et qui offre des résultats ouvrant de nouvelles discussions. On aurait en effet pu examiner en détail encore de nombreuses associations d'idées; le fait que ces dernières sont cependant basées sur les dictionnaires laissant de côté les termes cités par un seul participant est cependant regrettable, surtout si on se souvient de la part prise par ces derniers dans l'entier des concepts évoqués (près de 68%!). La classification en champs lexicaux, que nous allons examiner dans la prochaine section, est en revanche un outil qui nous permet d'en tenir compte.