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dans l'enseignement

Chapitre 2: Savoirs et représentations représentations

3. La dimension sociale des contenus d'enseignement d'enseignement

Ce constat de "bipolarité" entre l'individu et le social dans les représentations est particulièrement intéressant et justifie aussi le choix de parler dans ce travail de représentations sociales, puisque cette dualité résonne très fortement avec les tensions qui résultent de la place même de l'enseignant face au savoir qu'il doit transmettre. Alors qu'il est en effet (en général) seul devant ses élèves, l'enseignant n'est de loin pas le seul détenteur des contenus qu'il véhicule. L'articulation entre le social et l'individuel n'est donc pas étrangère au contexte de l'enseignement, et ce même si on considérait les savoirs scolaires comme indépendants des représentations.

3.1 Dimension sociale des objets enseignés comme objets de représentations

Il n'est d'aileurs pas difficile de tirer un parallèle entre ce que nous venons de voir et les trois caractéristiques qui ont été mises en avant par rapport aux savoirs disciplinaires (voir page 21):

En premier lieu, comme nous le mentionnions, les connaissances disciplinaires sont des savoirs que l'enseignant a du ou doit construire avant de pouvoir les enseigner. Or, les représentations aussi se construisent par les expériences individuelles. Ceci met en avant l'importance des trajectoires personnelles autant dans la définition des connaissances qu'en ce qui concerne les représentations.

Cependant, on se souviendra aussi (et surtout!) que les savoirs disciplinaires sont, dans leur essence, indépendants des enseignants. Le cas des langues, qui appartiennent en premier lieu aux communautés dans lesquelles elles sont utilisées, en sont un parfait exemple: c'est en effet avant tout par une forme de consensus social que sont déterminés les contenus – comme les

représentations – qui doivent être transmis. Même s'il est intéressant de constater que dans le cas d'une langue étrangère, la communauté sociale déterminant les normes de la langue à enseigner et celle en dressant une représentation ne sont souvent pas les mêmes, il n'en reste pas moins que l'enseignant a ses propres connaissances et ses propres représentations de sa discipline, mais que cette discipline et les représentations qui y sont associées lui est également étrangère; elle ne lui appartient pas à proprement parler, et ce même s'il s'en saisit et la manipule. Ce n'est souvent pas lui qui décidera de ce qu'il faut enseigner, de ce qui est acceptable ou non ou encore de la pondération que recevra sa discipline. Nous y reviendrons dans quelques lignes.

En plus de cela, il ne faut pas oublier que les connaissances disciplinaires ne sont pas absolues mais sont des interprétations d'une certaine réalité dans un contexte particulier. Il est donc essentiel de ne pas négliger l'importance de la pensée commune tant pour ce qui est des représentations sociales que pour l'élaboration même des contenus – Beacco (2010: 23) tisse d'ailleurs un lien entre les deux par son concept de savoirs divulgués, sorte d'union entre des savoirs scientifiques et des pensées communes ordinaires. En d'autres termes, les savoirs, tout comme les représentations (et le lien qui unit les deux, comme déjà évoqué section 1.1 de ce chapitre, page 45), ne sont pertinents qu'au sein d'une communauté, d'un groupe social défini.

3.2 la Transposition didactique

Ce qui est particulièrement important dans ce constat est que même si l'enseignant en venait – par exemple, par son parcours – à avoir une représentation fortement connotée de la langue qu'il enseigne, celle-ci se verrait confrontée avec de multiples autres manières de présenter l'objet d'enseignement qui lui seront fournis comme cadre de travail, et auxquels il ne peut parfois se soustraire. Comme le mentionne Shulman à propos des savoirs, "because teachers necessarily function within a matrix created by [all the elements structuring their teaching], using and being used by them, it stands to reason that the principles, policies, and facts of their functioning comprise a major source for the knowledge base" (1986: 9). L'enseignant n'est, en effet, que le dernier maillon d'une chaîne d'acteurs entrant en jeu dans ce que Chevallard nomme dès le début des années 1980 la Transposition Didactique, qu'il décrit ainsi:

1.1 Tout projet social d'enseignement et d'apprentissage se constitue dialectiquement avec l'identification et la désignation de contenus de savoirs comme contenus à enseigner.

1.2. Les contenus de savoirs désignés comme étant à enseigner […] en général préexistent au mouvement qui les marque comme tels. […]

1.3 Un contenu de savoir ayant été désigné comme savoir à enseigner subit dès lors un ensemble de transformations adaptatives qui vont le rendre apte à prendre place parmi les objets d'enseignement.

Le "travail" qui d'un objet de savoir à enseigner fait un objet d'enseignement est appelé la transposition didactique.

1.4. Le passage d'un contenu de savoir précis à une version didactique de cet objet de savoir peut être appelé plus justement "transposition didactique stricto sensu". Mais [au sens large, cette transposition est] représentée par le schéma → objet de savoir → objet à enseigner → objet d'enseignement. (1985:

39, c'est moi qui souligne)

Ainsi, " la transposition didactique désigne donc le passage du savoir savant au savoir enseigné "

(ibid: 18), le processus par lequel les savoirs "bruts" qui sont, rappelons-le, indépendants de l'enseignant, sont morcelés, décomposés, ordonnés et surtout transformés en objet descriptibles pour prendre la forme de contenus d'enseignement – changement que Puech (1998) nomme la

"disciplinarisation". Ces contenus d'enseignement sont eux aussi repris et manipulés pour devenir finalement les contenus enseignés, soit ce qui est réellement transmis aux élèves en classe.

Dans ce processus, Chevallard distingue ainsi deux étapes: La première, qu'il qualifie de transposition didactique externe, se rapporte au traitement des savoirs de référence (hors du cadre scolaire) pour en faire des objets enseignables. La seconde, la transposition didactique interne, en fait ensuite des objets enseignés, séquences de savoirs transmis.

Chevallard décrit ainsi que ces deux étapes du processus se déroulent à différentes "distances" de l'activité d'enseignement. La transposition didactique externe a en effet lieu au sein de ce qu'il nomme la

noosphère, soit "la sphère où l'on pense – selon des modalités parfois fort différentes – le fonctionnement didactique"(1985: 23). Cette sphère de décideurs sert ainsi de tampon entre les attentes de la

"société" dans laquelle Chevallard place autant les parents que les scientifiques ou les instances politiques (ibid) d'une part et, de l'autre, les systèmes d'enseignement présents au sein des écoles:

La noosphère joue un rôle essentiel dans l’articulation entre école et société. Positivement, c’est à elle qu’il échoit de négocier avec la société, s’agissant des demandes que celle-ci adresse à l’école. C’est elle qui transmuera ces demandes en des conditions que l’école pourra satisfaire –notamment en négociant la transformation de demandes d’un type très général, idéologiques par exemple, en demandes exprimées en termes de contenus d’enseignement. (1987:11)

La transposition didactique interne, quant à elle, prend pour point de départ les contenus élaborés par cette première phase de reconstruction et les transforme, au sein de l'espace scolaire, en points de cours et en successions logiques de savoirs. En schématisant, on pourrait ainsi imaginer que la noosphère transforme les attentes de la société en cadres de travail, et que ces cadres donneront lieu ensuite à des contenus par la transposition didactique interne.

La proposition de Chevallard relève ainsi un point essentiel pour l'objet de nos discussions, en ce qu'il souligne que les savoirs, originellement indépendants du contexte de l'enseignement mais

émergeant du contexte social, passent par de nombreuses manipulations avant d'arriver dans la salle de classe. Entre les chercheurs qui imposent telle ou telle théorie, la société qui définit des priorités pour l'enseignement, le monde politique qui concrétise ces priorités par des conditions-cadres d'enseignement/apprentissage et de formation, les didacticiens qui s'en saisissent pour la concrétiser par des ouvrages de référence et les enseignants qui préparent et mettent en pratique leur enseignement, les étapes par lesquelles le savoir est régulièrement déconstruit et reconstruit (et donc représenté!) dépassent souvent de loin la marge de manœuvre de l'enseignant seul.

Sans chercher à formuler une théorie qui rendrait justice à un système aussi complexe, nous nous contenterons donc d'emprunter à Chevallard le principe que le savoir qui est finalement restitué par l'enseignant en classe passe en réalité par une "chaîne de manipulations", dont l'enseignant est le dernier maillon. Nous ajouterons également qu' "à chaque étape de la transmission sociale [du savoir] il s'opère un processus de sélection et de réorganisation de l'information qui, à l'occasion d'une transposition hors du contexte initial, modifie la signification même de l'objet qu'il était question de transmettre" (Perret-Clermont et al. 1982: 9, c'est moi qui souligne).

L'idée sous-jacente à l'utilisation de la transposition didactique comme cadre de discussion dans ce travail tient justement dans ce constat: A chaque moment où une personne ou un organe crée, s'approprie ou transmet un savoir, elle le restitue d'une façon qui lui est propre. En d'autres termes,

Image 5: Sphères de la transposition didactique selon Chevallard (1985)

elle le représente. Le concept de transposition didactique prend donc tout son sens dans cette thèse, puisqu'il met en évidence que les représentations accompagnent ce traitement du savoir et sont partie intégrante de ce processus. Même si Chevallard (1987) marque clairement une distinction (que l'on peut questionner) entre les représentations et les savoirs, qu'il place respectivement dans la "sphère publique" et dans la "sphère privée", il sera supposé ici que les différentes influences exercées par la transposition didactique sur les savoirs portent aussi sur les représentations.

4. Conclusion: Transposition didactique des