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dans l'enseignement

Chapitre 4: Finalités, objectifs de référence objectifs de référence

3. Objectifs officiels de référence

3.1 Niveaux de référence – le CECR

Nous avons vu dans les exemples présentés jusqu'ici que l'objectif de l'enseignement était souvent relativement trivial: la maîtrise d'une langue étrangère. Cependant, la mise en place de standards à ce niveau, nécessaire dès le moment où une forme d'harmonisation existe, ce qui arrive lors de la création de programmes scolaires officiels, implique une définition plus précise de cette maîtrise.

Nous avons déjà évoqué dans le premier chapitre la difficulté de saisir ce que signifie de "savoir une langue", élément essentiel du bagage disciplinaire de l'enseignant, et n'allons pas refaire ce débat ici.

Même si la nature du savoir en question n'est pas forcément la même lorsqu'on parle d'un apprenant

et non d'un enseignant, il serait en effet bien ambitieux ici de vouloir plonger trop loin dans la question, d'ailleurs intimement liée à l'évaluation que nous traiterons d'ici quelques paragraphes. Il est cependant intéressant de constater que le processus même d'explicitation d'un niveau à

atteindre reflète également une vision de ce qu'est une langue.

Bien entendu, ce n'est pas qu'au moment où ont été instaurées les premiers standards de référence (on pensera par exemple à la distinction entre le Proficiency of English et le Lower Certificate parmi les examens Cambridge en 1939, au ILR Scale des Etats-Unis en 1950 ou encore à l'English Proficiency Test Battery dans les mêmes années) que l'enseignement a été préoccupé par une distinction de niveaux. On trouvait déjà cette réflexion par exemple dans la Grande Didactique (Didactica Magna) de Comenius au XVIIe siècle (voir Keatinge 1907: 208); plus que la séparation marquant le Janua Linguarum comme niveau d'entrée dans l'apprentissage d'une langue, il y décrivait en effet déjà les

"quatre âges" correspondant aux niveaux à atteindre et à l'enseignement à dispenser, partant du principe que "all languages need not be learned with equal accuracy" (ibid: 207). L'un des éléments qui se retrouve dans la distinction entre ces niveaux est notamment la taille du vocabulaire, principe que l'on retrouvera également au début du XXe siècle dans la théorie didactique de Jespersen qui écrit (parmi d'autres recommandations liées au mouvement de réforme de l'époque) que

The beginner has only use for the most everyday words. He ought to have nothing to do with the vocabulary of poetry or even of more elevated prose. Like everything superfluous, it is detrimental, because it burdens the memory and hinders perfect familiarity with that which is most necessary (1904:

20, c'est moi qui souligne).

Palmer, dont nous reparlerons mais pour d'autres raisons, inclut lui aussi la gradation dans ses Principles of Language Study (1921:113). Ces exemples nous le montrent: le fait de définir ce qui est à enseigner à quel moment de l'apprentissage - par exemple les mots utiles ou les structures faciles - montre également une perspective sur la Langue, à commencer par le fait qu'il y a en elle des éléments plus essentiels que d'autres, et que ces éléments peuvent être standardisés ou du moins définis.

L'exemple le plus connu actuellement œuvrant dans cette voie, et présentant lui aussi une approche particulière de la question, est sans doute le Cadre Européen Commun de Référence (CECR) édité par le Conseil de l'Europe au début des années 2000 et qui cherche à spécifier en plusieurs niveaux les compétences requises par les apprenants - une intention qui reprenait donc de façon plus étendue ce qui se trouvait déjà dans le Threshold Level Project, aussi coordonné par le Conseil de l'Europe en 1975 et qui visait à définir le fameux "niveau seuil" (intermédiaire), s'appliquant à tous dans

l'apprentissage d'une langue:

"Learning objectives, will, in principle, be as diverse as the learners and the lives they lead. However, large-scale educational systems have to base their provision on learners' common needs. By far the largest single group of language learners everywhere consists of people who want to prepare themselves to communicate socially with people from other countries, exchanging information and opinions on everyday matters in a relatively straightforward way, and to conduct the necessary business of everyday living when abroad with a reasonable degree of independence." (van Ek & Trim 1998: 1, c'est moi qui souligne)

Cette idée est ensuite reprise dans la présentation du CECR:

"Le Cadre européen commun de référence […] décrit aussi complètement que possible ce que les apprenants d'une langue doivent apprendre afin de l'utiliser dans le but de communiquer; il énumère également les connaissances et les habiletés qu'ils doivent acquérir afin d'avoir un comportement langagier efficace. La description englobe aussi le contexte culturel qui soutient la langue." (Conseil de l'Europe 2001: 9, c'est moi qui souligne)

Sans pouvoir ici détailler l'entier des concepts véhiculés par le CECR, surtout compte tenu de sa richesse, plusieurs points liés aux représentations peuvent être soulevés:

 Premièrement, le fait que le Cadre Européen vise à aider les apprenants à "communiquer"

avec un "comportement langagier efficace" et dans un "contexte culturel" (ibid) est un fil rouge important du document. Les apprenants y sont non seulement décrits comme des locuteurs mais comme des "acteurs sociaux" (ibid: 15); ces derniers doivent donc évoluer et agir dans une société donnée - pour cela ils auront besoin non seulement de "compétences linguistiques" mais aussi de "compétences sociolinguistiques" et de "compétences

pragmatiques" (ibid: 17-18). Ainsi, la description du niveau d'un apprenant de langue ne se concentre en réalité pas que sur l'objet linguistique en soi mais est liée à tout un

comportement social, ce qui replace clairement une langue comme un outil d'interaction sociale parmi d'autres. Ce qui est d'autant plus intéressant, c'est que les niveaux exprimés semblent définir cette société-cible comme très "académique", ou profitant du moins d'un langage élaboré, ce qu'on voit lorsqu'on lit parmi des descripteurs que les apprenants avancés (niveau C2) doivent par exemple être capables de "produire des rapports, articles ou essais complexes et qui posent une problématique ou donner une appréciation critique sur le manuscrit d’une oeuvre littéraire de manière limpide et fluide"(ibid: 52) ou encore de

"présenter un sujet complexe, bien construit, avec assurance à un auditoire pour qui il n’est pas familier, en structurant et adaptant l’exposé avec souplesse pour répondre aux besoins de cet auditoire" (ibid: 50), deux éléments que l'on peut considérer comme dépassant un emploi seulement "natif" de la langue: "les degrés les plus élevés de pratique de certaines activités de communication langagière ne dépendent plus tant de la maîtrise des éléments linguistiques que de la capacité à en jouer de manière habile pour réaliser des tâches qui relèvent souvent d’un niveau d’éducation supérieure" (Forel & Gerber 2013: 89).

 En plus de cela, l'importance du contexte est mise en avant. Il est explicité que "les utilisateurs du Cadre de référence envisageront et expliciteront selon le cas les domaines dans lesquels l'apprenant aura besoin d'agir ou devra agir ou devra être linguistiquement outillé pour agir" (ibid: 41). Les situations et conditions de l'interaction, y compris le lieu, moment, acteurs, bruit ambiant, qualité de la graphie d'un texte écrit, contraintes de temps, distorsions liées à une ligne téléphoniques etc... figurent donc parmi les éléments à prendre en compte. Un tableau (ibid: 43) récapitule même tous les contextes externes d'usage possibles.

 Les compétences de l'utilisateur - mêlant donc le linguistique au sociolinguistique et au pragmatique - sont détaillées en s'articulant autour de la réception, de la production, de l'interaction, de la médiation et de la communication non verbale (ibid: 48), même si c'est souvent par le schéma lire/écouter, écrire/parler et interagir qu'elles sont utilisées. Par là, encore une fois, c'est prioritairement par l'utilisation qu'on en fait (donc les compétences fonctionnelles) qu'une langue est décrite, et non par les connaissances déclaratives. On remarque d'autant plus cette image de compétence lorsqu'on se rend compte que les descripteurs commencent tous par l'emblématique "peut" (et non "sait" ou "connaît"...)

 Enfin, et comme mentionné en fin de premier chapitre, le CECR laisse entendre l'idée d'un objet Langue plus abstrait, non seulement parce qu'il s'applique indifféremment aux

différentes langues (au moins en Europe), mais aussi en explicitant son approche plurilingue:

"Particulièrement - mais pas seulement - entre langues "voisines", des sortes d'osmoses de connaissances et de capacités interviennent.[…] Savoir une langue, c'est aussi savoir déjà

bien des choses de bien d'autres langues, mais sans toujours savoir qu'on les sait" (ibid: 180).

On voit très clairement que le CECR a aussi été créé dans l'idée qu'une langue n'est pas un objet fini et exclusivement séparable d'une autre langue mais que la compétence

linguistique peut dépasser cette "séparation" pour également concerner la Langue.

Au-delà de ces quelques exemples de contenu montrant la portée de cet outil, il est intéressant dans la mesure où il propose également des considérations méthodologiques ou didactiques (par

exemple, sur la façon d'implémenter les tâches ou le traitement des fautes et erreurs). En somme, le CECR se définit clairement comme visant à réguler – ou du moins coordonner – les programmes concrets mis en place dans les classes:

Le Cadre européen commun de référence offre une base commune pour l'élaboration de programmes de langues vivantes, de référentiels, d'examens, de manuels, etc. en Europe. […] Le Cadre donne des outils aux administratifs, aux concepteurs de programmes, aux enseignants, à leurs formateurs, aux jurys d'examens, etc., pour réfléchir à leur pratique habituelle afin de situer et de coordonner leurs efforts et de garantir qu'ils répondent aux besoins réels des apprenants dont ils ont la charge (ibid: 9, c'est moi qui souligne).

Il est vrai que le CECR est à l'heure actuelle un outil quasiment incontournable dans la définition d'objectifs d'enseignements de langues. Comme le notait déjà Widdowson il y a plus de dix ans, "its influence […] is already apparent on curriculum design, and on the design of examination – this latter being an area where the deisrability of standard specifications is fairly easy to argue" (dans Howatt 2004: 368). Même si Howatt souligne à juste titre la difficulté d'une mise en pratique à large échelle de programmes ne correspondant pas toujours aux spécificités locales ("the problem of the

relationship between global generalizations and local circumstances", ibid), il note un point essentiel à l'heure actuelle: le rôle du CECR dans les examens, qui vont nous occuper maintenant, mais aussi dans les curriculums scolaires, qui seront traités dans la section suivante.