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Une langue, objet d'enseignement et de représentation représentation

dans l'enseignement

Chapitre 2: Savoirs et représentations représentations

1. Une langue, objet d'enseignement et de représentation représentation

Ce chapitre aborde l'objet linguistique (en tant que contenu d'enseignement) comme un objet de représentation, mettant en avant l'importance de ce processus représentatif dans la définition des savoirs transmis. Dans cette discussion, on partira du principe que tout enseignement d'une langue particulière touche également la Langue en tant qu'objet abstrait, même de façon implicite.

La première discussion prendra deux perspectives qui se rejoignent: Tout d'abord, on abordera la place des représentations dans l'enseignement en général, en partant du principe que tout

enseignement est objet de représentation. Que cela concerne le sujet enseigné, la façon dont il doit être enseigné ou d'autres éléments, l'acte enseignant est orienté par de nombreux présupposés, que l'on ne peut pas forcément toujours facilement distinguer de savoirs à proprement parler. La

seconde perspective se focalisera sur les langues et les représentations de ces dernières, avec pour but de montrer qu'au-delà de se prêter au "jeu des représentations" dans le cadre de la salle de classe, les langues sont sujettes à de nombreuses croyances ou caractérisations au sein de la société

en général. Ceci est d'ailleurs crucial si on se rappelle que cette société joue un rôle fondamental dans la définition même des contenus à transmettre.

1.1 Objets d'enseignement, objets de représentation

En effet, si on se souvient des caractéristiques de base du savoir disciplinaire telles qu'énoncées dans le premier chapitre (voir page 22), il est essentiel de rappeler ici que les enseignants offrent et transmettent à leurs élèves en tant que "savoirs" des interprétations de la discipline, et ce même si ces interprétations sont en très grande majorité comparables, communément admises et reconnues.

La caractéristique subjective des contenus enseignés n'est encore une fois peut-être pas

immédiatement apparente si on examine les plans de leçons ou les intitulés des éléments transmis;

elle se retrouve cependant de façon subtile mais évidente, par exemple, dans le choix de présenter une variété linguistique plutôt qu'une autre, dans l'évaluation d'une production particulière comme étant acceptable ou non, ou encore dans le choix des méthodes et contenus d'évaluation… En somme, comme le décrit bien Shulman,

The teacher also communicates, whether consciously or not, ideas about the ways in which "truth" is determined in a field and a set of attitudes and values that markedly influence student understanding.

This responsibility places special demands on the teacher's own depth of understanding of the structures of the subject matter, as well as on the teacher's attitudes toward and enthusiasm for what is being taught and learned. (1987: 9)

Ceci souligne que dans toute action enseignante, si on reprend le schéma d'Houssaye (voir page 11), le pôle des "savoirs" qui est transmis consiste en fait autant en des contenus reconnus comme incontestables par la société dans laquelle ils s'inscrivent (on fera attention avec le concept de faits, puisque c'est parfois uniquement la société qui définit ces contenus, comme nous en reparlerons d'ailleurs en page 52) qu'en des représentations (et nous verrons dans quelques paragraphes ce qu'implique ce terme) de ces contenus et des enjeux qui s'y rapportent. En d'autres termes, une discussion telle que la nôtre au sujet du savoir des enseignants ne peut pas s'arrêter uniquement au débat entre connaissances et compétences, ou à la façon dont ces différentes sphères de savoir ont été construites, mais doit également se prolonger au-delà de ce qui peut être décrit par certains comme factuel pour entrer dans le domaine du représentatif, et ainsi ne pas seulement examiner ce que les gens savent mais plutôt ce que les gens pensent de ce qu'ils savent, ce qu'Abelson décrit comme "knowledge system" and "belief system" (1979). Il est d'ailleurs évident que même les savoirs les plus indiscutables ont malgré tout une part de subjectivité, surtout si on considère que parmi les savoirs transmis figurent aussi ce que Beacco (2010: 23) nomme les savoirs divulgués, soit les savoirs – savants à l'origine – qui par la rencontre avec des savoirs ordinaires plus proches des

représentations entrent dans ce qui est qualifié de "culture générale". La limite entre ce qui

constitue une représentation et ce qui est réellement un savoir factuel n'est pas une frontière très nette; dans ce travail les deux concepts – savoirs et représentations seront considérés comme deux éléments distincts (ou peut-être deux extrêmes d'une même problématique), et ce même s'il paraît essentiel de se rappeler que chaque savoir a une part représentative, et que chaque représentation restitue une forme de connaissance. Il en reste néanmoins qu'au-delà d'affirmer simplement que les savoirs influencent la pratique "il y a [aussi] une différence dans l'enseignement d'une même matière en fonction de la représentation de ce qu'est la discipline à enseigner"

(Martineau & Gauthier 1999: 7), et c'est majoritairement par l'angle des représentations que nous allons considérer le savoir dans les chapitres à venir.

A l'influence sur la pratique que mentionnent Martineau & Gauthier s'ajoute d'ailleurs également le constat fait par de nombreux chercheurs que les domaines concernés par les représentations

couvrent une palette bien plus large que seulement le rapport à la matière enseignée, et que ces

"croyances" des enseignants jouent toutes un rôle parfois très fort dans l'action enseignante. Si on se souvient de toutes les connaissances dont disposent les enseignants tels que décrits par Shulman (voir page 20), il n'est en effet pas difficile de s'imaginer que tous ces éléments, connaissances disciplinaires comprises, peuvent être sujettes à représentation. Les travaux de Gilly (1989), Pajares (1992) Ecalle (1998) ou Borg (2015, chapitre 1) le montrent d'ailleurs bien: autant les représentations de l'école, de l'échec, des élèves, des méthodologies que la façon dont ces représentations affectent les actions des enseignants sont régulièrement pris comme sujet d'études dans le domaine de l'éducation, et font partie du quotidien de la profession.

1.2 Représentations des langues

Même si toutes les facettes, aussi multiples et intéressantes soient-elles, de l'enseignement sont donc teintées des idées que s'en font les enseignants, elles sont trop nombreuses pour toutes être traitées ici, même si on considère le contexte plus précis de l'enseignement des langues. Les enjeux spécifiques à ce domaine, notamment ceux que nous avons déjà mentionnés dans le premier chapitre, sont en effet à eux seuls multiples: que ce soient les représentations du locuteur natif (notamment Butler 2007, ou encore Bento, Castellotti et les différents autres chapitres de Dervin &

Badrinathan 2011), celles du bi- ou plurilinguisme (comme par exemple dans Py 2000, Dagenais &

Moore 2004, Clerc & Cortier 2005, Castellotti 2006, Billiez & Lambert 2008 ou Coste, Moore & Zarate 2009), du statut des langues (Farrell & Tan Kiat Kun 2007, Chini 2010) ou simplement de

l'enseignement/apprentissage d'une langue (notamment par Edgerton 1980 ou plus récemment Prat 2010), les facettes propres à l'objet linguistique (aux différentes langues ou à la Langue) et à son enseignement sont nombreuses et montrent l'étendue des questionnements possibles.

Cependant, même si tous ces aspects sont liés à l'enseignement des langues, il ne faut pas oublier que ce qui figure à l'horaire des élèves est intitulé "allemand", "italien" ou encore "espagnol", et non

"politiques linguistiques" ou "acquisition d'une langue seconde". Ainsi, c'est bien la Langue en tant que telle, et les différentes langues particulières qui vont nous occuper au long de ce travail; elles seront donc comprises comme objets de représentation à part entière, objets qui – rappelons-le – existent également hors du cadre scolaire. C'est donc dans la lignée des travaux traitant des représentations des langues (voir Houdebine-Gravaud & Baudelot 1986, Boyer & Peytard 1990, Véronique 1990, Zarate 1993, Perrefort 1997, Matthey 1997, Muller 1998, Moore 2001, Castellotti &

Moore 2002, Ghiraldelo 2006, Schwarz et al. 2006 ou encore Petitjean 2009) que nous nous situerons.

Le présent travail doit cependant être distingué de tous les précédents. Ces différentes recherches considèrent en effet une langue (ou plusieurs) comme objet central de représentation, mais ne s'y penchent en général pas exclusivement. En effet, elles associent souvent représentation d'une langue avec représentation soit de son apprentissage, soit d'une certaine culture, soit de l'identité du

locuteur, ou encore des langues en contact. Même s'il est en effet difficile (ou est-ce impossible?) de séparer une langue de tous les nombreux domaines qu'elle touche, les représentations des langues pour elles-mêmes, et encore moins de la Langue, n'occupent ainsi qu'une partie de ces travaux. Elles constituent, en revanche, l'essentiel de cette thèse. De plus, une grande partie des travaux qui s'attachent de plus près à examiner l'objet linguistique comme objet de représentation le font du point de vue des apprenants, en partant notamment du principe que "le statut d'une langue [partant du discours tenu à leur propos] a […] un effet direct surles attentes et les attitudes des apprenants, et par conséquent, sur leur conduites d'apprentissage" (Dabène 1997: 22, voir aussi Castellotti &

Moore 2002: 7). Pour notre part, nous examinerons ces représentations du point de vue des

enseignants, puisque nous assumons qu'eux aussi non seulement ont des représentations mais que ces dernières sont sous-jacentes à leur pratique.