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1. Introduction – Partie empirique

Les considérations mises en avant jusqu'ici dans ce travail ont donc déjà montré une partie de la complexité de définir comment est représenté le savoir disciplinaire des enseignants. Au vu de la diversité des représentations circulant dans les sphères académiques et didactiques, il paraît naturel de se demander quelle est la nature de ces représentations au sein de la communauté enseignante et des facteurs qui la régissent – c'est cette question qui est à l'origine des deux chapitres suivants.

Comme expliqué dans quelques paragraphes, nous nous attacherons autant à examiner comment les enseignants se représentent la Langue, mais également les langues, chacun de ces objets faisant l'objet d'un des deux chapitres à suivre.

Dans la mesure où ces représentations ont été examinées auprès d'un public précis, c'est en grande partie en empruntant ou en se basant sur des processus de recherche de la psychologie sociale que ces investigations ont été menées. Or, comme l'explique Moliner (1996), le processus d'étude des représentations implique plusieurs étapes conceptuelles, qu'il convient donc de définir ici.

2. Définition du contexte et de la configuration

Premièrement, il importe pour toute recherche sur les représentations, de définir la situation sociale dans laquelle l'objet est source de représentation; d'identifier les protagonistes qui entrent en ligne de compte dans cette représentation et de l'objet qui motive l'interaction entre les protagonistes.

Dans ce cas-ci, la recherche examinera le lien – largement décrit auparavant – entre les enseignants de langues étrangères et leur objet disciplinaire, en laissant de côté les élèves et l'action

enseignante à proprement parler. Encore une fois, ceci ne signifie absolument pas que les enseignants "en action" ne constituent pas une source valide ou intéressante de données, mais même si une analyse par observations (en classe) aurait été particulièrement riche, elle n'aurait pas permis de se concentrer uniquement et facilement sur les représentations en laissant de côté tous les aspects pédagogiques et actionnels propres à un enseignement tel qu'il est vécu dans les classes de l'enseignement public de nos jours. Nous le verrons également par le choix de la méthodologie de recherche utilisée.

2.1 Echantillon

Afin de garantir une forme d'homogénéité (autant que faire se peut) dans les groupes en question, et compte tenu des variables que je souhaitais examiner (et qui ont été définies dans le premier

chapitre, voir page 40), l'échantillon a été restreint aux enseignants de langues étrangères de l'enseignement public secondaire du canton de Genève. Ceci révèle une sélection quelque peu drastique:

 Tout d'abord, pour des raisons autant méthodologiques que pratiques, cette partie empirique ne se concentre que sur les enseignants du canton de Genève. Même si on ne pourra pas affirmer qu'il s'agit ici de représentations que l'on pourrait généraliser, il me paraissait important de me focaliser sur une population qui aurait plusieurs caractéristiques relativement homogènes (cadre de travail, conditions d'engagement et, comme nous l'avons vu, de formation,…), qui travaillerait dans le cadre qui a déjà été examiné au fil des chapitres précédents et surtout qui serait accessible pour une récolte de données de façon

relativement simple.

 Cependant, seuls les enseignants du secondaire ont été pris en compte, et les enseignants de langues étrangères du primaire ont été laissés de côté. Même s'ils ont en effet également un lien avec l'objet linguistique de par leur fonction (certains enseignent les langues

étrangères à leurs élèves), le parcours suivi pour être enseignant à l'école primaire, et pour y enseigner une langue étrangère (allemand, anglais), diffère de celui qui nous intéresse ici. En effet, ces enseignants n'ont pas suivi de cursus universitaire dans la langue en question (puisque l'entrée dans la profession d'enseignant primaire requiert un diplôme en Sciences de l'Education, discipline académique spécialisée dans ce domaine), et la seule condition pour avoir un enseignement linguistique à charge est de pouvoir attester d'un niveau B2 dans la langue en question – justificatif qui peut venir d'une école de langues, d'un centre de formation externe, etc. (DIP 2015c: 2). Le parcours linguistique académique fait cependant partie des éléments de construction de savoirs examinés, et qui ne seraient pas pertinents si les enseignants du primaire étaient considérés pour cette recherche.

 Ce ne sont donc que "les enseignants de langues étrangères du canton ayant une formation disciplinaire académique" qui sont concernés. Deux exceptions sont cependant encore à apporter. La première est que j'ai décidé de ne pas inclure les enseignants de langues anciennes dans l'échantillon choisi. En effet, aussi "étrangères" qu'elles soient, et malgré la place importante prise autant dans l'histoire de l'enseignement que dans celles des langues (comme nous l'avons déjà évoqué), elles sont à distinguer des autres langues enseignées, non seulement parce qu'elles ne répondent pas aux mêmes objectifs (par exemple au CECR), mais surtout parce qu'elles ne peuvent pas être incluses dans une grande partie des

considérations soulevées dans le premier chapitre; aucun enseignant de latin ou de grec ancien n'est par exemple de langue maternelle ou n'a même appris cette langue de façon implicite; rares sont les occasions ou ils utilisent cette langue dans un cadre social autant qu'on pourrait le faire pour, par exemple, l'espagnol… en somme, cette langue n'a pas la même nature (ni le même statut) au sein des disciplines linguistiques enseignées dans le cadre scolaire, et au sein des langues que peuvent maîtriser les enseignants.

 De la même façon, on pourrait se demander dans quelle mesure on ne pourrait pas inclure les enseignants de français dans l'échantillon choisi. En effet, pour plusieurs des élèves, le français est bel et bien une langue étrangère, particulièrement dans les classes d'accueil (pour enfants récemment immigrés). Nous avons même vu que le PER le mentionne au même titre que d'autres langues… mais deux points viennent très nettement à l'encontre de cette analogie: Tout d'abord, le français est considéré dans les établissements genevois comme la langue de scolarisation, et est donc abordé avec l'idée que la plupart des élèves le maîtrisent déjà de façon implicite. Il n'est donc pas enseigné comme un objet "étranger" aux élèves, et suit ainsi des lignes descriptives et méthodologiques relativement différentes. De plus, la formation des enseignants n'est pas non plus synchronisée entre les groupes de futurs enseignants de français et de langues étrangères, ce qui souligne cette distinction.

Moliner (1996: 166) décrit également dans ses recommandations qu'il faut veiller à ce que le lien entre le groupe défini et l'objet puisse réellement mener à une recherche. Il convient notamment de s'assurer que les participants choisis aient une réelle relation avec l'objet étudié (ce qui est bien le cas ici, puisque les enseignants en ont fait l'objet de leur travail quotidien, et échangent leurs idées autant avec leurs collègues qu'avec les élèves de façon très fréquente), et qu'ils ne soient pas soumis à un système orthodoxe, c'est-à-dire à une instance supérieure qui régulerait les représentations et

qui ne laisserait donc pas de marge au groupe social pour se forger sa propre conception. Ce point est probablement celui qui peut mener à des questionnements dans le cas présent, surtout au regard de tout ce qui a été discuté dans les précédents chapitres. Comme nous l'avons cependant largement discuté il sera pris pour hypothèse ici qu'un enseignant traite librement avec son objet

d'enseignement (et de représentation), ne serait-ce que dans une certaine mesure, et ce même lorsqu'il est soumis à des plans d'étude, des manuels, ou des cadres de référence divers. L'échantillon correspond donc à ces recommandations d'usage.

Le fait de travailler avec un groupe social défini permettait également de pouvoir isoler certains facteurs de variation qui ont été discutés dans le premier chapitre, et qui nous permettront d'en examiner la portée en termes de représentations:

1. L'expérience dans l'enseignement des participants 2. La formation en linguistique des participants

3. Le niveau de maîtrise (fonctionnelle) des participants 4. Leur mode d'apprentissage/acquisition

Ces différentes variables, qui seront examinées dans cette partie empirique, sont en effet autant de paramètres différents qui offrent – à priori! – une construction différente de l'objet linguistique chez les enseignants, et qui pourraient donc influencer la façon dont ils se représentent cet objet, ce qui aurait ensuite un impact, nous le supposons, sur leur pratique.

2.2 Objet de représentation

La définition de l'objet de représentation à traiter soulève elle aussi plusieurs questions. Nous avons en effet déjà à maintes reprises évoqué la distinction entre les traits de représentation généraux touchant à l'objet abstrait de Langue, et aux représentations des langues particulières – on se souviendra par exemple des arguments évoqués dans le débat sur l'âge de l'enseignement des langues, véhiculant des conceptions telles que "l'anglais, c'est..." ou "l'allemand, c'est..." – ces dernières n'étant pas du même ordre d'idée que des définitions plus générales de l'objet linguistique que l'on a pu, par exemple, voir chez les linguistes ou par certaines méthodologies.

En fait, il paraît impossible de choisir exclusivement l'une de ces deux perspectives sur l'objet disciplinaire que nous traitons, et de laisser de côté l'un ou l'autre des angles de vue que l'on lui accorde. Chacun d'entre eux suscite en effet l'intérêt: autant la Langue, objet que l'on peut comme nous l'avons vu représenter par de nombreuses perspectives, que les langues qui suscitent, elles, en plus d'une représentation descriptive tout une dimension évaluative sont des objets de

représentation légitimes; nous examinerons donc autant les représentations de la Langue que celles des langues, séparément.

Ces deux recherches, viseront ainsi à répondre aux questions de recherche suivantes:

Quelles sont les représentations de La Langue chez les enseignants de langues étrangères du canton de Genève?

 L’expérience dans l’enseignement change-t-elle la teneur de ces représentations?

 L’envergure de la formation en linguistique des enseignants change-t-elle la teneur de ces représentations?

 Le niveau de maîtrise linguistique des participants change-t-il la teneur de ces représentations?

Quelles sont les représentations des langues chez les enseignants de langues étrangères du canton de Genève?

 L'expérience dans l'enseignement d'une langue change-t-elle la teneur de ces représentations?

 La formation en linguistique des participants change-t-elle la teneur de ces représentations?

 Le niveau de maîtrise d'une/des langues change-t-elle la teneur de ces représentations?

 Le mode par lequel les participants ont acquis/appris une/des langues modifie-t-il la teneur de ces représentations?

Sachant que ces questions s'ancrent dans la théorie plus générale des représentations sociales, il convient, avant d'entrer dans les dimensions concrètes de ces enquêtes, de distinguer ces deux enquêtes dans le but qu'elles visent. En effet, et nous venons de le mentionner, nous avons déjà souligné dans le chapitre 3 (voir page 49) qu'une représentation se fonde autant sur un volet qu'on pourrait qualifier de descriptif ou illustratif (information/champ de représentation) qui a pour fonction de proposer une définition structurée de l'objet en question, que sur un volet évaluatif (attitudes) qui représente, lui, la position personnelle, le jugement de l'individu sur l'objet. Or, comme le mentionne Moliner (1996: 53), pas tous les objets de représentation ne se prêtent réellement à une évaluation. Les objets plutôt abstraits tels que "la psychologie" ou "les transports"

sont en effet moins stimulants en termes d'évaluation que ne le seraient, par exemple, un aspect de la psychologie comme "les expériences psychologiques" ou un moyen de transport comme "le 4x4".

Or, puisque nous avons justement mis en avant que "la Langue" avait une forme de caractéristique abstraite qui la distingue "des langues" comme réalisations concrètes, peut-on vraiment imaginer avoir une attitude positive ou négative face à la Langue? Nous partons du principe que non.

Ainsi, alors que les deux aspects (descriptif et évaluatif) seront ainsi traités pour ce qui concerne les langues (champ de représentation/information et attitudes), la première recherche, qui concernera la représentation de la Langue, se focalisera uniquement sur les représentations descriptives, le but étant toujours dans un premier temps d'examiner le contenu de ces représentations, puis de voir dans quelle mesure ces dernières sont influencées par les facteurs de variation dans les parcours que nous avons mis en évidence.

3. Considérations méthodologiques

Une fois ces objets définis, et les questions de recherche posées, il reste encore à rechercher le meilleur outil pour faire émerger ces représentations. Le détail des méthodologies utilisées se fera directement en rapport avec les deux enquêtes concernées (même si nous verrons qu'un des dispositifs a été reconduit de la première à la seconde enquête) mais il est important de préciser quelques éléments importants qui ont mené au choix de ces méthodes de recherche:

Tout d'abord, il a déjà été relevé que les observations en classe ne me paraissaient pas constituer un point de départ pertinent, tant les représentations de la Langue ou des langues s'y retrouvent mélangées à des considérations pédagogiques, psychologiques et relationnelles complexes. De plus, et afin de garder une visée sociale à cette récolte de données, il est plus courant (surtout en psychologie sociale) de s'intéresser à une collection plutôt importante de données, ce qui permet notamment une analyse plus fiable des variables, plutôt que de se concentrer, par exemple par des entretiens, sur des cas isolés. Ces derniers permettent cependant (comme sera illustré dans le chapitre 8, voir page 365) une compréhension parfois plus fine des enjeux liés aux trajectoires

individuelles; mais c'est par une analyse plus globale que j'ai décidé de me plonger dans les premières questions de recherche. Dès lors, il paraît évident que c'est surtout sous la forme de questionnaires (papier ou en ligne) que les données les plus pertinentes peuvent être récoltées, et que l'analyse devait avoir une composante quantitative. Nous y reviendrons.

Au-delà de cela, compte tenu de l'originalité de ce travail et de la multiplicité des représentations possibles, il n'existe pas jusqu'ici d'étude de référence que l'on pourrait réappliquer, ni – et c'est là que se situe le nœud du choix – de réelle hypothèse à tester. Certes, l'aspect évaluatif est difficilement observable sans échelles, et nous verrons donc que pour cet axe-là l'approche est relativement traditionnelle puisqu'elle se base sur un différenciateur sémantique (voir page 219), et ce même si d'autres méthodologies auraient certainement relevé des éléments tout aussi intéressants. Pour examiner l'aspect descriptif des représentations, en revanche, la problématique est autre: la création de questionnaires d'interview dirigées ou semi-dirigées, tout comme simplement la création de questions trop fermées auraient en effet déjà impliqué de donner plus de poids à certains traits représentationnels plutôt qu'à d'autres, ce que je souhaitais évite. Afin donc de présupposer le moins possible des réponses des participants et de laisser ces derniers exprimer leurs représentations en n'étant pas dirigés dans leurs réponses (c'est-à-dire sans leur "souffler" les traits de représentation possibles), la solution qui a été retenue est celle de trouver une méthode qui serait basée sur une question "ouverte". Comme nous le verrons dans quelques paragraphes, c'est le choix de l'association lexicale qui a retenu mon attention. Cette dernière permet en effet précisément un traitement sémantique riche et complet, tout en laissant la porte ouverte à des sphères de représentation différentes chez chacun, voire qui n'auraient peut-être pas été prévues.

Le fait de mener les deux volets de cette récolte de données séparément (tout d'abord au sujet de la Langue dans un premier temps, en 2012, puis sur les langues en 2014) a par ailleurs également permis de solliciter une partie des données dans la première enquête pour la réutiliser dans la seconde.

Ce sont donc ces deux recherches qui seront présentées dans les deux chapitres à venir. Ceux-ci se distingueront de ce que nous avons pu mettre en avant jusqu'ici, principalement parce qu'ils se concentrent sur des démarches empiriques se basant sur des questionnaires et non sur des analyses documentaires. Nous y trouverons donc plus d'explications méthodologiques, et un regard sur les représentations plus analytique (et moins illustratif) que ce qui a été proposé jusque-là.

Afin de rassembler les conclusions et permettre une lecture synthétique, les questions de recherche qui ont été évoquées ci-dessus serviront de fil rouge et seront reprises au fur et à mesure du chapitre. Elles seront présentées par des encadrés après chaque analyse et offriront ainsi une vue rapide de l'interprétation des résultats qui sont présentés.

Chapitre 6:

Résultats