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La pragmatique et les actes de langage (Austin (1962), Searle (1969) et Grice (1975))

dans l'enseignement

Chapitre 3: Savoirs de référence: Linguistes

2. La place de la communauté linguistique

3.1 Exemples de représentations de linguistes

3.1.5 Une langue est un outil d'(inter)action

3.1.5.2 La pragmatique et les actes de langage (Austin (1962), Searle (1969) et Grice (1975))

Cette représentation insistant sur les buts et la contextualisation de l'objet linguistique est également un pilier du champ d'étude de la pragmatique, et notamment de la théorie des actes de langage que l'on attribue à J.L. Austin et à J. Searle. De façon intéressante, ces deux auteurs mènent leurs

réflexions dans le champ de la philosophie du langage, orientation qui leur vaut parfois de ne pas apparaître dans les tables des matières des ouvrages historiques linguistiques. Searle se distingue d'ailleurs explicitement de la linguistique quand bien même il s'inscrit d'une certaine façon dans le niveau d'analyse abstrait (La Langue) que nous mentionnions plus haut:

[This essay] is not an essay in linguistics. Linguistics attempts to describe the actual structures – phonological, syntactical, and semantic – of natural human languages. The 'data' of the philosophy of language usually come from natural human languages, but many of the conclusions about e.g. what is to be true or to be a statement or a promise, if valid, should hold for any possible language capable of producing truths or statements or promises. In that sense this essay is not in general about languages, French, English or Swahili, but is about Language. (Searle 1969: 4, c'est moi qui souligne)

En effet, Searle (comme Austin d'ailleurs) part du principe qu'une partie du sens de ce qui est tranmis dans le dialogue ne réside en réalité pas dans la signification des mots mais dans le fait que ces derniers représentent un acte (locutoire ou illocutoire). La perspective adoptée par ces deux philosophes du langage présente donc la Langue comme outil d'action "Austin […] is primarily concerned with what is done – with the ways in which doing something may take the form of saying something" (Joseph et al. 2001: 92).

Comme le dit Austin pour parler des énoncés performatifs, Utterances can be found […] such that

A. They do not 'describe' or 'report' or constate anything at all, are not 'true or false; and

B. the uttering of the sentences is, or is a part of, the doing of an action, which again would not normally be described as, or as 'just', saying something. (1962: 5, c'est moi qui souligne)

J. Searle reprend la même idée dans sa théorie des actes de langage, qu'il juge centraux à la commmunication:

"The hypothesis that the speech act is the basic unit of communication, taken together with the principle of expressibility, suggests that there are a series of analytic connections between the notion of speech acts, what the speaker means, what the sentence (or other linguistic element) uttered means, what the speaker intends, what the hearer understands, and what the rules governing the linguistic elements are"

(1969: 21)

Reprenant par là la conception d'une "langue-outil" déjà évoquée plus haut, il souligne aussi l'importance de l'interlocuteur dans ce processus:

In speaking a language I attempt to communicate things to my hearer by means of getting him to recognize my intention to communicate just those things. For example, characteristically, when I make an assertion, I attempt to communicate to and convince my hearer of the truth of a certain proposition; and the means I employ to do this are to utter certain sounds, which utterance I intend to produce in him the

desired effect by means of his recognition of my intention to produce just that effect (1965: 229, c'est moi qui souligne)

Ce n'est donc pas une surprise si Austin et Searle sont souvent cités parmi les acteurs principaux du champ de la pragmatique. Plusieurs des éléments mentionnés rejoignent en effet que qu'on peut trouver par exemple chez Paul Grice qui, au-delà des maximes pragmatiques pour lesquelles il est souvent cité, postule lui aussi l'importance du principe de coopération impliquant les participants à une conversation:

Our talk exchanges do not normally consist of a succession of disconnected remarks, and would not be rational if they did. They are characteristically, to some degree at least, cooperative efforts; and each participant recognizes in them, to some extent, a common prupose or set of purposes, or at least a mutually accepted direction. […] Make your conversational contribution such as is required, at the stage at which it occurs, by the accepted purpose or direction of the talk exchange in which you are engaged. One might label this the COOPERATIVE PRINCIPLE" (1975: 45, c'est moi qui souligne)

Encore une fois, même si ces exemples ne représentent qu'une petite partie de l'étendue des travaux de leurs auteurs, ils sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils représentent l'objet linguistique avec une perspective particulière – celle d'une langue comme permettant d'agir dans son contexte – que l'on peut distinguer des autres orientations évoquées dans ce chapitre.

On pourrait également trouver de nombreux autres exemples allant dans ce sens, mais il convient de s'arrêter ici, faute de quoi on s'immergerait trop dans un champ de recherche qui, comme évoqué plus haut, est parfois considéré comme ne faisant pas vraiment partie de la linguistique au sens propre du terme; on se rappellera que le but de ce chapitre était d'évoquer des exemples de différentes façons dont la Langue ou les langues est/sont présentée(s) par les scientifiques, en tentant autant que faire se pouvait de laisser de côté les considérations qui s'éloigneraient de ces processus descriptifs.

Forcément, pourra-t-on donc rétorquer, que les pragmaticiens s'attachent au contexte d'utilisation d'une langue, et que l'idée même d'aller chercher des exemples dans ce champ oriente déjà la présentation. En effet, pourquoi dans ce cas ne pas également observer les ouvrages de

syntacticiens, de phonologistes, de spécialistes de l'acquisition, de ou de sociolinguistes? Il est vrai que toutes ces contributions auraient certainement amené de la matière dans cette discussion, mais n'auraient en réalité fait qu'en renforcer le propos central: la façon dont la Langue ou les langues sont représentées par la communauté scientifique n'est ni homogène, ni figée.

3.2 Conclusion

Nous avons vu tout au long de ce chapitre que les différents linguistes, qu'ils soient unanimement reconnus comme tels ou qu'ils ne sont désignés ainsi que parce qu'ils ont dans leur carrière traité de ce sujet, proposent chacun une (re)présentation de La Langue ou des langues qui met l'accent sur des aspects parfois très précis de l'objet linguistique. Les perspectives suivantes ont par exemple été évoquées (sans ordre ou hiérarchie quelconque):

 Une langue est un système qui suit des logiques et répond à des normes

 Une langue est un pont entre l'individu et le monde: elle restitue la pensée (approche spirituelle) et la réalité telle que perçue par l'individu.

 Une langue est le reflet de la façon dont une société se comporte (marqueur national) et/

ou structure l'environnement dans lequel elle évolue

 Une langue est un phénomène social dans son essence, qui n'est pas à considérer par une approche individuelle mais communautaire.

 Une langue doit principalement s'étudier par le contexte (et le cadre interactionnel) dans lequel elle prend forme. C'est parce qu'elle remplit une fonction et est un outil d'action sociale que la langue est intéressante.

 Une langue est un phénomène biologique et logiquement explicable. Elle se base même sur des processus cognitifs.

 …

Loin de pouvoir systématiquement les opposer ou les comparer (les pensées elles-mêmes révélant parfois plusieurs approches ou évoluant avec le temps), il est intéressant de constater, pour revenir à nos questionnements précédents, que la façon dont est décrit l'objet linguistique chez les

scientifiques se révèle relativement complexe à synthétiser. En effet, alors même qu'on ne peut résolument pas considérer que ce qui se fait dans le champ académique de la linguistique n'est en rien lié à ce qui est "la langue comme objet d'enseignement", il semble impossible de résumer de façon non équivoque ce qu'est vraiment "une langue", voire "la Langue" pour les chercheurs, et donc de prétendre que le savoir savant évoqué en début de chapitre est relativement clairement établi.

Bien entendu, si on prend le débat de façon superficielle, on pourrait rétorquer que la plupart des grammaires sont stables, ou du moins relativement, et que les standards linguistiques qui sont enseignés dans les classes ne sont en réalité que rarement vraiment remis en question. Ainsi, par une terminologie relativement homogène, les élèves recevraient une instruction qui ne subit que peu les variations de perspective qui ont fait l'objet de cette section.

Premièrement, cette affirmation n'est déjà pas correcte si on se souvient que les langues sont des produits qui évoluent avec la/les communauté(s) à laquelle / auxquelles elles appartiennent, et que même les standards ne sont pas forcément les mêmes partout (on repensera aux standards de l'anglais américain vs britannique, ou du français académique ou dialectal).

En second lieu, et c'est là le plus important, il ne s'agit encore une fois pas ici de traiter des différents points précis précis qui sont transmis (et encore, les contenus en question dépassent souvent les grammaires stricto sensu), mais de traiter d'une langue comme objet d'enseignement dans son ensemble, et ce d'un point de vue représentationnel. On s'accordera facilement pour dire que les disciplines linguistiques ne se résument pas à la façon dont on accorde un déterminant à un nom en italien, à la description du génitif saxon en anglais ou en allemand, ou même à la différence entre

"ser" et "estar" en espagnol. Ce qui est enseigné s'éloigne parfois radicalement de ce cadre relativement factuel pour entrer dans des dimensions de descriptions plus globales de l'objet linguistique qui sont, comme présupposé dans ce travail, également des représentations de ce dernier.

4. Les "savoirs ordinaires": Représentations de la société sur la/les langues

Nous avons pu voir au fur et à mesure de la section précédente que les conceptions de l'objet linguistique véhiculées par les scientifiques ne permettent pas de dresser un portrait clair – ou du moins univoque – de ce qui est le savoir savant avec lequel les enseignants vont, en bout de chaîne du processus de transposition didactique (voir section 3.2 page 52), devoir composer.

Nous verrons dans le chapitre suivant que, heureusement ou non, les enseignants sont rarement directement confrontés à l'immensité des descriptions linguistiques possibles mais travaillent en général dans un cadre de référence qui leur est proposé, sinon imposé, et qui est déjà une interprétation à but scolaire des différentes théories qui existent ainsi.

Il ne faut cependant pas oublier, comme nous l'avons mentionné, qu'avant qu'une langue ne fasse l'objet d'un "plan d'études" ou d'une description à visée scolaire, il faut en premier lieu que la société la définisse comme un objet scolaire en soi. L'ensemble d'une communauté doit donc décider qu'une langue ou une autre (voire plusieurs, voire éventuellement de façon fusionnée) constitue(nt) une matière "à enseigner". Ce processus est captivant à plus d'un égard.

Tout d'abord, la définition des objets d'enseignement, qui est une démarche sociale, se reflète principalement dans des décisions politiques mais se retrouve également souvent dans des débats populaires, dans des prises de position publiques ou des échanges divers à l'intérieur de la société en question qui sont souvent extrêmement riches, autant dans leur contenu que dans leurs

implications. L'importance de cette démarche fait cependant que les évolutions dans le domaine ne se font pas subitement, mais suivent le rythme des progrès (ou tout du moins des changements) politiques et institutionnels. Le fait d'examiner la façon dont se décide l'enseignement des langues est donc liée à un système politique dans son ensemble, ce qui en fait un sujet d'étude fascinant que nous n'aurons que trop peu l'occasion de développer ici.

On notera également, même si ce sujet ne sera pas débattu ici puisque nous traiterons spécifiquement d'eux plus tard, que le rôle même des enseignants n'est pas à négliger dans la définition de ces savoirs "ordinaires", comme nous le notions dans le chapitre 2 et comme l'explique Beacco (2010: 24) ils occupent en effet une place privilégiée dans ces débats, puisqu'ils contribuent dans l'exercice de leur métier à la création de ces "savoirs divulgués" et des "savoirs ordinaires". En plus de cela, ils sont malgré tout membres de la société comme tout autre citoyen, et sont donc soumis aux mêmes pressions que leurs concitoyens: "[les] professionnels ne sont pas à l'abri de la doxa relative aux langues, puisque celle-ci peut informer les croyances et les opinions de tous, chaque acteur social ayant voix au chapitre en tant que locuteur, y compris donc les 'gens de langues'" (ibid: 27).

Ensuite, et c'est probablement le point qui nous intéressera le plus, les différents débats et choix politiques qui entourent ces évolutions font elles aussi régulièrement émerger des représentations diverses ayant cours dans la société. Ces représentations sur la ou les langues ne sont cependant pas comparables avec celles que nous venons d'examiner dans la communauté des linguistes: elles s'insèrent en effet dans des visions beaucoup plus larges sur les processus d'apprentissage, le développement des enfants ou le rôle de l'école dans la société, rendant par la même occasion ces savoirs populaires – ou "ordinaires" – particulièrement intéressants mais aussi relativement

complexes à décortiquer.

On comprendra de ce fait qu'il est extrêmement difficile de répondre à la troisième question qui guide cette section (Quelle est la représentation de la Langue / des langues dans la société?) sans verser trop rapidement dans le domaine de la sociologie du savoir, des fonctionnements

sociolinguistiques d'une société ou encore de la didactique voire de la pédagogie. De plus,

l'investigation même de représentations sociales à l'échelle "d'une société" entière nécessiterait des outils de recherche imposants, extrêmement finement élaborés et qui nécessitent ainsi des moyens dépassant de loin ce qui est faisable pour cette section de ce travail (l'échantillon de plus de 42'000

personnes que l'on trouve chez Grin et al. 2015 témoigne de l'envergure que peuvent prendre ces questionnements).

Cet axe d'investigation mériterait cependant d'être développé davantage (et il l'est de façon très intéressante dans l'ouvrage qui vient d'être cité), et constituerait un point très intéressant de futures enquêtes. Je me contenterai cependant ici de traiter de la question concernée autour d'un exemple très précis, soit la discussion dans les médias et la population Suisse autour de l'âge d'introduction de l'apprentissage de la 2e langue nationale qui a été soulevée dans plusieurs cantons du pays en 2014.