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Représentations animales et chamanisme

L’EXPERIENCE DE LA DOMESTICATION

A) Représentations animales et chamanisme

Reprenons l’exemple des jeunes animaux rapportés au campement par les chasseurs. On peut trouver une utilité particulière à ces animaux comme par exemple celle d’amusement des enfants. Mais cet acte d’apprivoisement a également un sens plus profond, qui trouve sa source dans les représentations des rapports entre l’homme et l’animal, propres aux sociétés de chasseurs cueilleurs. Pour les Indiens d’Amazonie par exemple, cet apprivoisement attentif et affectueux représente une contre partie, une réparation nécessaire à l’acte de prédation dont

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les hommes se rendent coupable en chassant. Ceci ne peut prendre de significations que si l’on s’intéresse au fondement de la culture des peuples de chasseurs cueilleurs.

Ces sociétés ont souvent une culture fondée sur une philosophie chamanique qui inscrit l’homme dans un triangle, homme, nature, esprit, qui doit fonctionner équitablement. Le chaman devient le gardien comme médiateur d’un équilibre fragile. Chez les Inuits par exemple les très anciennes marques sculptées sur la pierre étaient considérées comme des représentations d’esprits auxiliaires : incarnation dans la pierre d’un intermédiaire entre la nature et l’esprit. Ces représentations étaient celles d’esprits d’animaux, d’esprits de gens décédés ou vivants, ou bien l’esprit de la pierre ou bien celui de l’atmosphère. C’est dans ce rapport extrêmement intime avec la nature que se place l’homme. Dans ce système de croyances et de rites, le chaman est l’intercesseur qui doit aller plaider la cause des humains auprès des grands esprits. C’est celui qui va consulter un esprit pour faire revenir le gibier quand il n’y en a plus. On croit par exemple que c’est un esprit au fond des mers qui commande les mammifères marins. On croit que l’esprit de la lune a un pouvoir important pour amener du gibier quand il n’y en a pas. C’est toute une myriade de significations que pouvait alors revêtir la perception des longs hurlements des loups lors de la pleine lune.

La philosophie chamanique se base sur une relation originelle avec les animaux, prolongeant leur relation à la nature jusqu’à leur origine commune avec eux dans un temps où l’homme et les animaux n’étaient pas différenciés et formaient une seule entité. C’est dans ce rapport à la nature que les relations qui unissent, qui plus est de façon vitale, l’homme et l’animal, sont nécessairement coopératives. Les chasseurs cueilleurs entretiennent un rapport avec la nature fondé sur l’échange de bons procédés. Il faut tuer le gibier pour se nourrir mais il faut le séduire pour qu’il puisse être tué. C’est sur cette crainte que les animaux, avertis par leurs congénères des mauvais traitements que leurs infligent les humains, ne se laissent plus prendre ou se vengent des chasseurs en les attaquant, que toute une série de rites s’établissent, comme leur présenter des excuses ou des friandises ou organiser des fêtes de réconciliation entre les animaux et les hommes. C’est dans ce même schéma de déculpabilisation que les Aïnous représentaient l’ours comme un visiteur du monde spirituel auquel il fallait redonner son essence. En fait, chez les Pygmées, les Amérindiens, les Esquimaux, les peuples Sibériens ainsi que les Aborigènes d’Australie « le monde animal est conçu à l’image du monde humain c’est un monde hiérarchisé » (60). Les Indiens Achmar par exemple se représentent la nature à l’image de leur propre société. Les animaux de la forêt sont pour eux des alliés ou des ennemis qu’il faut à l’instar de leurs partenaires humains séduire, contraindre ou écarter (64). On peut se demander si le loup de par son rôle dans la chasse et son type d’organisation ne faisait pas parti de ces espèces à séduire. Quoi qu’il en soit, l’homme a toujours éprouvé le besoin de donner du sens aux énigmes de l’expérience, du réel. C’est dans ce lien indissociable qui l’unit à la nature que le chamanisme inscrit l’homme. C’est certainement dans un lien proche que se situent les premiers hommes modernes.

L’homme moderne Homo sapiens a 100 000 ans. Rapporté à l’échelle de la vie sur terre il vient juste de naître. Or, il se caractérise par l’acquisition d’une pensée qui se représente. Les préhistoriens trouvent par exemple les preuves de ces idées dans l’apparition des sépultures dont les plus anciennes ont 95 000 ans, dans la création d’outils dont les pierres sont beaucoup plus taillées que l’usage ne le réclamait. Ce souci de perfection traduirait une recherche esthétique, une sensibilité certainement investie de dimensions sacrées que l’on retrouve depuis les débuts de l’homme. C’est également à travers les premières formes d’arts sous forme de céramiques ou de peintures rupestres que l’on trouve d’autres preuves anciennes. Ce désir de représentation pousse l’homme par exemple devant les sillons laissés par les griffes d’un ours sur les parois à les délimiter avec surprise, avec crainte et avec le désir de leur donner plus visiblement ce trait mystérieux qu’ils y découvrent. A travers par exemple les peintures de la grotte Chauvet datées de – 32 000 ans, on découvre un art élaboré

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avec des figures animées, des perspectives représentées par le dessin de motifs sur plusieurs plans successifs se rétrécissant. La plupart des spécialistes considérent que ces cortèges, parfois solennels, parfois exubérants, de figures animales qui tantôt se composent tantôt s’enchevêtrent, ont un rapport avec des rites magiques et que ces rites expriment un rapport mystérieux. Rapport d’intérêt, de conjuration, de complicité et presque d’amitié entre les hommes chasseurs et le foisonnement du règne animal. Beaucoup pense par exemple que les peintures préhistoriques sont des représentations chamaniques, par exemple, établies au fin fond des grottes, où l’écho de la voie crée une atmosphère propice pour accéder au monde des esprits.

Figure 3 - Le loup figure également en première place sur cette falaise du lac La Croix. Son rôle spirituel dans les cultures anciennes reste mystérieux (37)

Les maigres données sur la vie spirituelle de nos ancêtres paléolithiques ne contredisent pas, loin sans faut, les études ethnologiques sur les peuples de chasseurs cueilleurs, qui paraissent plus conscients que d’autres de leurs dettes envers l’environnement. Il ne s’agit pas de tomber dans le mythe du bon sauvage mais d’essayer de comprendre qu’elles pouvaient être les relations qui unissaient l’homme aux animaux et en particulier au loup. Il ne s’agit pas non plus de croire en l’hypothèse d’une religion unique dans laquelle on trouverait l’origine de la domestication, comme un pôle symbolico-religieux apparaissant comme une échappatoire qui peut expliquer n’importe quoi et son contraire. On peut très bien voir les peintures rupestres comme des images sans énigme, d’un style raffiné mais jaillissant, qui nous donnent le sentiment d’une spontanéité libre et d’un art inconscient, sans arrières pensées, presque sans prétextes et ouvert joyeusement sur lui-même. Pourtant, le chamanisme

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à cette époque, il y en a eu probablement. Il s’est trop répandu dans le monde pour ne pas être très ancien. L’établissement d’une relation d’interdépendance profonde entre l’homme et l’animal porté jusqu’à un niveau transcendant de type symbolico-religieux, il est difficile d’en douter. D’autant plus que beaucoup de religions actuelles s’étayent encore sur le totémisme, l’animisme ou la métempsychose.

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