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Devenir de la proie 1) Protocole des repas

ALIMENTATION ET PREDATION CHEZ LE LOUP

G) Devenir de la proie 1) Protocole des repas

L’animosité autour des carcasses peut être extrêmement variable d’une meute à l’autre, les conditions de famine augmentant les tensions au sein de la meute. Pourtant Buckholder (96), fut impressionné par le manque d’animosité et de compétition, pour un cadavre autour duquel il y avait de considérables battements de queues et des jeux de tractions avec les pièces de viande. En moyenne, le loup ingère 0,1 à 0,37 kilogrammes par kilogramme de loup et par jour. Mais cette consommation n’est pas toujours régulière et le loup peut rester plusieurs jours sans manger, pouvant ingérer plus de 6 kilogrammes au repas suivant. Schmidt (253), rapporte même des exemples où les loups peuvent manger de 20 à 45 kilogrammes. Le couple reproducteur et les louveteaux ont souvent un accès prioritaire, mais nous aurons l’occasion d’y revenir.

2) Les caches alimentaires

Les loups se gavent pendant des périodes qui peuvent aller de 20 minutes à 1 heure. Ils disparaissent ensuite furtivement pour aller cacher des morceaux de viande ou le contenu de leur régurgitation.

Ce comportement de cache se décompose en trois phases bien distinctes (235).

Au cours de la première, le loup qui a sa nourriture dans la gueule, réalise une inspection du site, olfactive et visuelle. Parfois au cours de cette phase, le loup tape légèrement avec l’une ou l’autre de ses pattes antérieures, sur le sol. Cette séquence peut se répéter sur un autre site.

La seconde phase est une phase d’excavation qui consiste à gratter le sol avec une patte (parfois alternant avec l’autre), et/ou à creuser avec les deux pattes d’un mouvement alternatif, dans une position fléchie et relativement rigide. Cette phase se termine lorsque la nourriture est déposée dans la dépression ainsi engendrée.

La dernière phase est une phase qui alterne des comportements de tassements verticaux, réalisés avec le museau ou les dents supérieures, et de recouvrements horizontaux, effectués avec le museau, poussant la terre ou la neige sur la nourriture déposée dans le trou. Ces mouvements sont deux fois plus fréquents que les précédents, mais dans tous les cas, le

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comportement d’enfouissement commence par un mouvement de tassement et finit dans la majorité des cas par un mouvement de recouvrement. C’est également le cas suite à l’interruption subséquente à une distraction. Cette phase se termine lorsque le loup quitte le site.

La séquence des comportements moteurs que le loup utilise pour dissimuler sa nourriture présente une extraordinaire régularité quel que soit le substrat, la saison ou le sexe de l’animal. Chaque phase présente une succession de mouvements que l’on ne retrouve jamais dans les autres phases. De plus, la phase d’ensevelissement qui débute toujours par un mouvement vertical de tassement à l’aide du museau, alors qu’un mouvement de la patte pourrait aboutir au même résultat par exemple, laisse supposer une stéréotypie de ce comportement généré par un facteur endogène (une fois initiée, elle se poursuit jusqu’à son terme). La même stéréotypie de séquence fut établit pour le coyote (236). Il est à noter également que lorsque l’animal retire sa nourriture du trou pour un autre site, il ne recreuse pas au niveau site mais continue la séquence où il l’avait arrêtée.

Les sites de caches servent de provisions alimentaires que le loup utilise ultérieurement. Une fois vidé complètement, les loups marquent le site vide (123), le stimulus déclencheur semble l’odeur de nourriture couplée avec son absence physique. Ce dépôt d’urine permet au loup de minimiser le temps passé à investiguer des sites préalablement exploités. Le fait que ce marquage n’est jamais réalisé par le loup lors de l’enfouissement, va à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle le dépôt d’urine servirait à relocaliser le site. D’autant plus qu’il attirerait d’autres individus. Il est à noter que seuls les loups qui réalisent un marquage dans d’autres contextes, en l’occurrence les individus de hauts rangs, par exemple lors du dénouement d’une rencontre agressive, lors d’accès à la nourriture ou à la reproduction, marquent les sites de cache. Finalement, le comportement de marquage des sites de cache est un comportement très répandu dans la famille des canidés, puisqu’il fut également mis en évidence chez le coyote (125) ou le renard (123), même si chez ce dernier chez qui le contexte social est moins prégnant, tous les individus peuvent marquer.

V) Comportement de prédation et coopération sociale

La prédation chez le loup est souvent interprétée en terme de coopération. La notion de coopération est inférée d’un comportement dirigé vers un but commun à deux individus qui se traduit par un bénéfice en terme de fitness (probabilité de répandre ses gènes dans la population) pour l’acteur et le receveur. A cet égard, la prédation semble apparaître comme l’un des exemples les plus saillants, deux ou plusieurs individus agissant ensemble vers un but commun qui est de saisir une proie.

Boesch (cité par 44), opérationnalise la définition de la coopération suivant la complexité croissante d’organisation entres les chasseurs. Quatre niveaux de coopérations sont alors définis et fondés sur l’existence ou non, de simultanéité des comportements dans le temps et l’espace.

Le premier niveau utilise la notion de similarité quand les chasseurs concentrent des actions similaires sur la même proie mais sans relation spatiale ou temporelle entre eux.

Au deuxième niveau, il existe une synchronie, c’est à dire que les chasseurs essaient de relier leurs actions dans le temps.

Au troisième niveau, il existe une coordination, c’est à dire que les chasseurs essaient de relier leurs actions dans le temps et l’espace.

Au dernier niveau, il existe une collaboration caractérisée par des actions complémentaires des chasseurs vis à vis de leur proie.

Selon cette classification, le loup réalise une chasse coopérative de dernier niveau. La réalisation d’embuscades, l’utilisation d’une stratégie de leurre permettant l’approche

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inaperçue d’autres loups, l’attaque simultanée d’une mère et son petit, semblent en effet conférer au loup une stratégie de type collaborative.

Lyons (167), a cherché à reproduire de manière expérimentale, la manifestation d’une coopération entre loups. Un loup est placé dans un enclos au sein duquel une plate forme s’allume pendant 10 secondes toutes les 45 secondes. Lors du stimulus lumineux, si le loup monte sur la plate forme la lumière reste allumée et une lumière au-dessus d’un levier d’un deuxième enclos s’allume. Si le deuxième loup présent dans cet enclos appuie sur le levier situé sous la lumière, alors les deux loups reçoivent un renforcement alimentaire. Les loups ont réalisé avec succès ces tests, aussi les auteurs ont considéré ce processus comme un analogue de coopération en milieu sauvage, qui la démontre.

Pourtant, quelques remarques sont à apporter.

Tout d’abord, on peut se demander dans quelle mesure le comportement de chaque loup est contrôlé, soit individuellement par le stimulus lumineux, soit par le comportement du partenaire, seul cas où l’on peut parler de coopération.

Par ailleurs, l’approche de la coopération comme ci-dessus présentée, n’est pas exempte de toutes critiques. La définition de Boesch traduit une complexité d’organisation croissante, sans pour autant préjuger des capacités cognitives sous-jacentes, nécessaires. Elle considère seulement l’atteinte d’un but commun sans analyser la communication entre les sujets. En effet, si plusieurs individus ajustent leur action dans la réalisation d’une tâche commune, la coordination observée est le plus souvent interprétée sous une forme téléonomique, où chacun des partenaires aurait l’intention de coopérer. Une telle intention ne peut se concrétiser que grâce à une communication, à une différenciation de point de vue. Il faut en effet bien différencier une juxtaposition de deux comportements d’apprentissage individuel et une communication intentionnelle qui devrait présider à la réalisation du comportement coordonné, seul cas où l’on puisse vraiment parler de coopération. Une telle communication intentionnelle est un transfert d’un signal déterminé, fondé sur le savoir de l’émetteur et l’effet de ses actions sur le récepteur (44). Ainsi, la coopération implique une réciprocité : chaque individu est censé se mettre à la place de l’autre, c’est à dire impute des états mentaux à lui-même ainsi qu’aux autres (44 cf. theory of mind de Premack et Woodruf en 1978). Ceci suppose donc que l’émetteur attribue un savoir à son congénère receveur (une compréhension de son rôle et de celui de son partenaire). Si j’émets tel signal, je sais qu’il fera ceci c’est à dire je sais qu’il sait qu’il faut faire ceci dans telle situation). Cette approche, proche de la psychologie animale tente de cerner ce que l’animal comprend de la situation et par conséquent comment il acquiert cette capacité au cours de sa vie sociale et ce qu’il comprend des interactions dans lesquelles il est engagé. Selon cette approche cognitive, pour parler de coopération, il faut donc observer une coordination et une collaboration mais également mettre en évidence une communication entre partenaires et l’existence d’une réciprocité de la tâche. Par exemple, pour des chimpanzés qui recevaient de la nourriture, si les deux singes tiraient en même temps sur la même poignée, on a pu observer une communication par l’analyse du regard du mâle adulte tirant sur sa poignée après avoir regardé si le jeune tirait sur la sienne (44). Une telle communication n’a pas été explorée dans l’étude de Lyons.

En milieu sauvage, l’observation d’une communication intentionnelle reste difficile. Haber (96), qui observa une meute où le leader se coucha alors que ses congénères approchèrent un élan pour le pousser vers lui, n’observa aucune indication détectable pour engendrer cette coopération. Par conséquent, il ne s’agit pas ici de remettre en cause les possibilités d’une coopération dans la prédation chez le loup mais plutôt de souligner le voile qui existe sur la compréhension d’une telle coopération. Ceci notamment en terme des capacités cognitives sous-jacentes nécessaires, (relatives en particulier à l’attribution de savoir ou à l’imputation d’états mentaux à soi-même ainsi qu’aux autres), mais également en terme des voies par lesquelles pourrait passer une communication intentionnelle. Une telle

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communication suppose la connaissance de l’intention du partenaire fondée sur les éléments comportementaux de ce dernier et des expériences antérieures. C’est donc encore un vaste champ d’investigation qui reste à explorer afin de mieux comprendre la prédation chez le loup et son ontogenèse d’une chasse coopérative en meute.

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CHAPITRE VIII

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