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Les loups et les bisons (Bison bison) a) Une prédation difficile

ALIMENTATION ET PREDATION CHEZ LE LOUP

B) La prédation sur les grandes proies

1) Les loups et les bisons (Bison bison) a) Une prédation difficile

Carbyn (42) a étudié le comportement de prédation des loups sur les bisons (Bison

bison) du Wood Buffalo National Park en Alberta.

Durant l’été, les loups sélectionnent préférentiellement les troupeaux avec des petits. Les bisons développent des stratégies de défense afin de protéger leur progéniture. Les petits sont généralement gardés en avant du troupeau, entourés par les adultes qui forment un bouclier autour d’eux. Si les loups s’approchent trop, les adultes n’hésitent pas à les charger. Par ailleurs, les petits en danger, courent vers leur mère, l’adulte le plus proche, le reste du troupeau, voire se réfugient dans l’eau. Leur rapidité, leur grande agilité une fois au sol et la réponse très rapide d’adultes pour les défendre sont autant d’obstacles pour les loups.

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Ainsi, la stratégie des loups est d’isoler le petit du reste du troupeau. Patrouillant autour du troupeau, l’encerclant, cherchant la moindre opportunité, ou attendant à distance que la mère et son petit s’en éloignent, les loups se mettent alors à charger pour jeter la panique afin de disperser au maximum les bisons. Une partie des loups subit la défense des adultes tandis que les autres, profitant de la diversion, vont contourner la troupe dans l’optique d’intercepter le veau avant le retour des mâles ou de la mère.

Au cours des nombreuses tentatives sur 24 heures, 11 offensives répertoriées par Carbyn ont porté leurs fruits. Au cours de ces 11 attaques, le veau fut mis à terre plusieurs fois, que ce soit par un ou plusieurs loups, et blessé en plusieurs endroits, notamment en arrière du flanc gauche, au-dessus du membre antérieur vers la poitrine, au niveau de l’épaule, du front et des parties distales des membres postérieurs. La chasse, qui a duré de 7h20 du matin à 18 heures s’est révélée infructueuse car le veau était encore vivant les jours suivants. L’analyse d’autres parties de chasse a souligné la mort de deux veaux. Au cours des autres jours d’observation, il s’est avéré que les loups avaient plus de réussite si le troupeau était poursuivi en forêt, dans la mesure où la vulnérabilité des veaux augmentait, la végétation formant un obstacle plus important que pour les adultes, à leurs mouvements.

Au cours des 102 jours d’une étude menée dans le même parc (41), 166 contacts entre loups et bisons ont été observés dont 51 interactions entre des bisons et un loup seul.

Dans l’ensemble, les loups seuls observaient les bisons sans les suivre (23 % des observations), les traquaient sans les poursuivre (14 %), les traquaient avec poursuite (27 %), les harcelaient sans entreprendre de contacts physiques (34 %). Très rarement (2 %), il y eut attaque proprement dite.

Les autres observations mettent en cause les hordes de loups : traques avec poursuites (26 %), harcèlement (48 %), attaques avec contact physique (13 %) (figure 3).

Le loup seul semble donc moins enclin à porter une attaque à ses fins, d’où une adaptation possible de la chasse en meute pour ce type de proies. Par ailleurs, les séquences préliminaires à la chasse (regarder, tester) sont les exercices les plus souvent entrepris, comme si les loups jugeaient du moment le plus opportun pour la réussite de leur tentative.

On peut se demander si l’activité des loups seuls ne s’apparente pas à celle d’un éclaireur. D’autant plus que seulement 3 % des observations sur des meutes les situent en train d’observer. De plus, les loups seuls réagissent plus souvent avec des troupeaux de taureaux (34 % par rapport à 5%), ce qui suggère que les meutes semblent délibérément cibler les proies plus vulnérables. Dans cette étude, aucune information ne nous est donnée quant à l’appartenance ou non des loups solitaires à une meute. Il est donc difficile de juger l’hypothèse selon laquelle chaque individu du clan pourrait jouer un rôle différent, que ce soit au cours de la coordination des actions de chasse ou de leur préparation. Un rôle de sentinelle pour veiller aux mouvements du troupeau assuré successivement par plusieurs loups ou par un loup particulier, n’est cependant pas à exclure. A cet égard, sur l’île Ellemere, Brandenburg (37) à apporter l’exemple d’une chasse conduite par la femelle alpha. La meute quitta la tanière puis parcourut 30 kilomètres en ligne droite directement sur un troupeau de bœufs musqués. La veille, la femelle fut observée par l’auteur, surveillant le troupeau. Pour Brandenburg, elle avait dû noter la présence de jeunes veaux vers lesquels elle conduisit la meute qui finit par tuer l’un d’entre eux.

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Figure 3 – Analyse séquentielle des interactions entre bison et loup de la simple observation au harcèlement jusqu’au contact physique (41)

b) Des rôles différenciés

Au cours des études sur la meute du Wood Buffalo National park, il apparaît que certains loups ont un rôle de diversion, par exemple pour subir les attaques de la mère et attirer l’attention de celle-ci, tandis que d’autres suivent le veau. Ce rôle peut être aussi bien assuré par le mâle leader que par d’autres loups.

Les attaques ne font pas intervenir à chaque fois toute la meute. Une attaque est portée par une femelle seule, d’autre par deux loups, pourtant il semble que le leader tienne un rôle particulièrement important. Souvent devant lors des poursuites, c’est le seul à accélérer lorsque les autres sont exténués. Lors des charges au sein du troupeau, il semble plus insistant et persévérant.

En ce qui concerne la notion de leader au cours des activités de prédation, Mech (191), assume qu’il est raisonnable de penser que tout membre expérimenté qui a l’opportunité d’initier une attaque peut le faire. Cependant, les reproducteurs sont généralement en meilleure position pour initier les attaques si tous les membres de la meute sont ensemble. En fait, le couple reproducteur constitue souvent les seuls adultes expérimentés d’une meute. Lorsque d’autres adultes restent avec la meute, ils pourraient prendre plus ou moins part aux activités de prédation. Dans une meute du Yellow Stone (286), une femelle, sœur de la reproductrice, faisait par exemple bénéficier le reste du groupe de ses aptitudes à la course, elle était particulièrement insistante dans ses poursuites et souvent la première à tomber sur la proie. Frame (cité par 59), relate également le cas de meute où le leader dans les activités de chasse n’était apparemment pas un dominant. En fait, il faut comprendre une meute comme un ensemble de singularités, aux aptitudes particulières et différenciées, dont le groupe tire partie de manière optimale.

Dans une étude sur la prédation du loup en captivité, Sullivan (272), a clairement mis en évidence une grande variabilité individuelle des comportements de chasse, sans corrélation pourtant avec la hiérarchie supposée. Le mâle alpha par exemple ne réalisa aucune capture,

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restant à proximité du groupe. Lors de la chasse, il entrait en action lors des mouvements cruciaux de mise à mort. Le mâle de bas rang était le plus alerte et il réalisa le plus grand nombre de captures et de mises à mort. La femelle alpha fut située en seconde position en ce qui concerne le nombre de mises à mort et de captures. Elle fut celle qui passa le moins de temps à réaliser ces captures. Une autre femelle montra très peu d’intérêt et le mâle bêta quasiment aucun intérêt.

L’étude de Fox (85), sur des louveteaux, met également en évidence une grande différence de réactivité devant des proies vivantes, (en l’occurrence des rats). Les plus subordonnés et timides étaient les moins actifs mais une facilitation importante fut observée lorsqu’ils étaient avec des loups plus réactifs. Cette facilitation sociale et l’existence d’un leader suivi par les autres apparaissent pour Fox, comme la base d’une chasse en meute coordonnée. A cet égard, il est indéniable que le couple reproducteur sera tout particulièrement suivi par leurs jeunes et leur insistance dans les activités de chasse sera vraisemblablement reliée à leur rôle parental, devant assurer la survie de leur descendance (condition d’autant plus saillante dans leur milieu sauvage).

Les propos des Esquimaux corroborent les observations des scientifiques. Les Nunamiut, esquimaux d’Alaska, connaissent bien l’écologie des loups, par la pratique ancestrale de la chasse exercée sur cette espèce. Certains chasseurs ont pu tuer plus de 500 loups au cours de leur vie (270). Leurs propos soulignent l’importance d’insister sur la notion du comportement des loups en tant qu’ensemble de singularités et non pas du loup. En effet, pour les Nunamiut, il existe une grande différence individuelle dans le comportement des loups et ces différences se reflètent également dans le comportement de prédation. Les loups d’une meute ne jouent pas des rôles identiques. Par exemple, dans une meute de cinq loups, seuls deux d’entre eux, exécutent la grande majorité des actions de prédations, le reste de la meute jouant des rôles périphériques dans la chasse. De plus, les animaux âgés ou jeunes prennent rarement une part active dans la chasse. Ils certifient par ailleurs qu’un loup expérimenté, et en bonne condition, peut capturer n’importe quel caribou s’il le décide. Si leur expérience corrobore le fait que les loups tuent un grand nombre de caribous affaiblis, maintenant la vigueur de la population, ils assurent que les loups font également preuve d’une grande habilité pour chasser des animaux de grandes tailles et bien portants. Il est souvent admis que les loups évitent les efforts inutiles, n’effectuant que de courtes poursuites. Cependant, les chasseurs Nunamiut documentent des poursuites de plus de dix kilomètres. Un loup par exemple a poursuivi une femelle caribou sur plus de dix kilomètres à travers la toundra, puis la chasse a continué durant trois kilomètres à travers une étendue neigeuse plus profonde où les deux animaux ont ralenti, alternant tous les cent mètres des phases de course et de marche. Le loup restait simplement à distance de sa proie. Une fois que celle-ci eut quitté l’étendue enneigée, elle descendit le long d’une pente dépourvue de neige. Le loup choisit ce moment pour attraper et tuer sa proie 70 mètres plus loin. Revenons à l’étude de la prédation du loup sur les bisons.

c) Des stratégies ciblées

Autant il semble que les veaux soient préférentiellement recherchés, autant tout individu adulte en difficulté est une proie potentielle. Si la mise en mouvement de fuite du troupeau semble plus porteuse de réussite, à l’instar de la chasse aux bœufs musqués, c’est certainement lié au fait qu’elle permet de repérer l’individu susceptible de présenter une faiblesse. Une fois repérée, toute la meute se focalise sur l’animal, faisant preuve d’une grande patience pour arriver à ses fins. L’étape essentielle est de maintenir l’animal à l’écart du reste du troupeau.

Un autre exemple est assez révélateur des stratégies qui peuvent être utilisées lors de chasse en groupe (36). Quatre loups trottent dans le vent en direction d’un troupeau de bisons

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comme s’ils cherchaient à ce que les bisons sentent l’approche du danger. Ces derniers ne tardent pas à humer l’air et tout le troupeau tourne la tête vers le danger. Pendant ce temps, deux autres loups ont rampé soigneusement dans l’herbe haute, sous le vent, sur la crête de la colline. Dans la prairie, les quatre loups chargent soudainement. Aussitôt la horde s’enfuit. Les loups les talonnent, les pressent séparant un animal, en écartant un autre, fendant le troupeau, jusqu’à isoler un veau et sa mère. Ces deux là sont poussés à grand train dans la pente, jusqu’au sommet, d’où surgissent les deux chasseurs embusqués. La mère a infléchi subitement la direction de sa course, le veau l’imite trop tard. Cinq des loups l’assaillent tandis que le sixième poursuit la femelle pour l’éloigner définitivement et revient.

L’étude menée par Smith (266) sur les bisons du parc du Yellow Stone, souligne l’importance de la mise en mouvement du troupeau. Si tel n’est pas le cas, les loups abandonnent vite tout intérêt. Cependant, les loups peuvent faire preuve d’une grande persévérance. Ainsi, une meute de 14 loups attaqua un troupeau de 55 bisons durant près de dix heures. Les loups se sont vus poursuivre le troupeau dans des aires non ou peu enneigées, pour les attaquer en des lieux où la couverture neigeuse était profonde. La chasse s’est soldée par la mort d’une femelle, attaquée de toute part par les 14 loups. Dans cette étude sur les onze bisons tués, la majorité était des jeunes ou des adultes de pauvre condition, mais des bisons en pleine condition apparente furent également la cible des loups. 17 des 57 interactions observées impliquaient des louveteaux avec des adultes et dans 5 cas des louveteaux seuls.

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