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Représentations animales à travers l’exemple des rites mortuaires.

L’EXPERIENCE DE LA DOMESTICATION

B) Représentations animales à travers l’exemple des rites mortuaires.

Il est intéressant de noter dans cette optique la précocité de l’intégration du chien dans les rites mortuaires. Nous avons vu l’exemple de la tombe de Mallaha il y a 12 000 ans contenant un chien et un homme. Mais on peut aussi citer les tombes humaines de l’âge de bronze en Chine où on a retrouvé 38 hommes sacrifiés et 439 chiens. (276). Les chiens étaient déposés soigneusement près des morts, parfois à côté d’objets de céramique, de bronzes. Les chiens étaient eux-mêmes parfois parés d’objets en bronze ou en jade. Ce type de coutumes mortuaires existe également en Amérique il y a plus de 6 500 ans. On a retrouvé des momies de chiens, avec des momies humaines portant un habit garni de poils de chiens, dans la grotte du chien blanc au nord ouest de l’Arizona. On a même retrouvé des tombes conçues pour les chiens avec des restes datant de 5 000 ans dans le Missouri mais également dans l’Illinois il y a plus de 6 500 ans (276) (figure 4 et 6).

Figure 4 –

momies de chiens provenant de la grotte au chien blanc en Arizona

A) chien blanc,

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Figure 5 – Différentes phases de l’embaumement d’un chien domestique. Momie de la nécropole de Cynopolis. Egypte (293)

Figure 6 -

Tombes humaines découvertes à Yin, province de Henan.

A) Tombe humaine avec un chien placé sur un deuxième niveau avec divers objets

B) Tombe humaine avec un chien placé dans le Yaokeng (276)

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Ce type de coutume mortuaire envers le chien est devenu commun chez les peuplades indiennes primitives et elle nous incite à voir un témoignage précoce de l’affection portée aux animaux. Par exemple chez les Indiens Yurok de Californie, les chiens bénéficient d’un enterrement cérémoniel. Ce peuple considère que lorsqu’un homme meurt, l’esprit de son chien le précède dans l’autre monde comme un guide et un protecteur même si ce chien est encore vivant. Les Sioux Oglala voient en l’esprit du chien un messager pour plaider la cause de l’humanité. En Egypte, Anubis guidait et protégeait l’esprit des morts dans l’autre monde. (259). Il me semble donc tout de même important de s’attacher aux versions culturelles pour chercher à comprendre les liens qui pouvaient réunir l’homme et l’animal.

Figure 7 - Anubis dieu des morts à la tête de chien ou de chacal, embaume les défunts à Cynopolis (cité des chiens). Egypte, Moyen Empire (293)

C) Conclusions et limites

Un élément est finalement capital. La domestication est le fait du chasseur cueilleur nomade. C’est dans ce cadre où ces sociétés présentaient une forte propension à s’intéresser au monde animal que la domestication a pu avoir lieu. La chasse accordait nécessairement une importance considérable au gibier. Les espèces communément représentées sur les parois des grottes Magdaléniennes figuraient au tableau de chasse. Mais le loup n’est que très rarement représenté avec ces autres espèces. Ceci corrobore l’idée que le loup ne semblait par faire parti du gibier. Si l’homme s’est approprié cette espèce, ce n’était certainement pas dans la seule perspective immédiate de manger du chien. Ces sociétés pouvaient comme on l’a vu placer le loup sur un niveau d’égalité avec l’homme. Concurrent certes, mais certainement objet de fascination. Connaître le loup, c’est ainsi appréhender les secrets de la chasse. Connaître le loup, c’est aussi d’un certain côté devenir loup. Fascination devant ses hurlements et leurs échos lointains comme une passerelle vers un autre monde, mais fascination mêlée de craintes. La crainte qui a pu enfanter les Dieux pour que l’homme se positionne au sein d’un inconnu naissant. Cette fascination mêlée de craintes poussant l’homme vers ce désir de connaissance. Connaître le loup c’est alors appréhender les secrets mystérieux de la chasse. Comme le souligne Deleuze, « on devient animal pour que l’animal aussi devienne autre chose ». L’agonie d’un gibier tué aussi bien par l’homme que par son

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concurrent direct se représente dans la pensée comme une zone d’échange entre l’animal et le loup. Une zone où le même pouvoir, la même puissance passe de l’un vers l’autre. Une zone où l’homme voit à travers le loup une image de lui-même. Le loup devenant homme, l’homme devenant loup, transfert pleinement atteint lorsque le loup est intégré au campement de l’homme, dans ce désir d’appropriation qui finalement renvoit à l’homme une image de lui-même d’être supérieur et tout puissant.

En fin de compte, le processus domesticatoire apparaît comme un ensemble intégré de techniques et de représentations étroitement dépendant du milieu culturel et social. L’un de ces aspects les plus remarquables mais aussi le plus soumis à une profusion de scénarios possibles est incontestablement la richesse et la complexité des représentations des animaux et l’influence déterminante que celles-ci exercent sur les formes et les modalités de la domestication. La socialisation de l’animal comme partenaire à séduire ou à contraindre, contribue, au moins autant que bien des impératifs écologiques, techniques et économiques à orienter les choix qui confèrent à chaque système domesticatoire sa physionomie et son style particulier. Et on peut rejoindre Digard lorsqu’il dit que « c’est sans doute parce qu’il se reconnaît dans les animaux domestiques que l’homme ne peut s’empêcher de procéder à cette transformation de ces rapports de forces en rapports de sens, à cette transformation de la chaîne technique en chaîne de symboles, comme pour se déculpabiliser et résoudre l’hideux dilemme moral que représente l’action domesticatrice d’appropriation de la nature ». Même s’il semble vain de remonter dans le temps pour comprendre les motivations profondes des peuples préhistoriques pour la domestication du loup, l’étude des sociétés de chasseurs cueilleurs actuels nous oriente vers différents scénarios possibles, mais elle laisse pourtant en suspens les liens insondables qui unissent l’homme à l’animal. Mais comme le dit Proudhon, « il y a de l’homme à la bête à tout ce qui existe, des sympathies et des haines secrètes dont la civilisation ôte le sentiment ». Les ethnologues qui ont essayé de comprendre l’ambivalence des comportements de différentes ethnies à l’égard du chien, ont suggéré que le chien était une menace potentielle car la ligne psychologique critique qui distingue l’homme de l’animal risquait toujours d’être effacée de par leur présence (Elemendorf cité par 259).

L’attrait du commencement, l’intérêt pour ce qui est premier, la recherche des possibilités originaires dont les sociétés humaines sont la constante mise en œuvre est une vaste tâche d’une profondeur saisissante portée par l’espoir, l’angoisse et l’illusion de l’homme au point zéro, le mot primitif comme illusion de nos déserts. L’ethnographie par son ambition de toujours remonter aux sources, semble souvent investie par la nostalgie d’une humanité non pas seulement différente mais plus simple, plus unie, plus proche de la nature et échappant à cette dénaturation que la puissance technique poursuivrait inlassablement. Rechercher et remonter aux origines de la relation qui a pu unir l’homme au chien s’inscrit aussi, d’une certaine façon, dans cette quête d’un sentiment originel. Pourtant, qu’il s’agisse d’un individu, d’un groupe, d’une civilisation, les embryons ne se fossilisent pas. Il y a donc toujours une lacune comme si l’origine, loin de se montrer et de s’exprimer en ce qui sort de l’origine, était toujours voilée et dérobée par ce qu’elle produit et peut être alors détruite ou consommée en tant qu’origine, repoussée et toujours d’avantage écartée et éloignée, soit comme originellement différée. Jamais nous observons la source, jamais le jaillissement, mais seulement ce qui est hors de la source, la source devenue la réalité extérieure à elle-même, et toujours un nouveau sens au loin de la source. Ainsi on peut faire l’histoire ou la préhistoire de la domestication, mais pour trouver l’essence même de sa genèse, je laisserai à chacun la liberté de se faire sa propre idée.

La domestication ne se résume pas à sa seule origine. Faire l’histoire des animaux domestiques c’est aussi comprendre qu’elle ne s’achève pas avec leur domestication et que c’est un processus continu de changements. La preuve en est, il suffit pour s’en faire une idée de comparer un loup avec un pékinois, un cocker ou un saint-bernard. Comment pourtant

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expliquer cette formidable diversité morphologique inégalée au sein d’une même espèce si l’on considère le loup comme ancêtre de l’ensemble des chiens. Pour répondre à cette question, nous tenterons de définir la domestication pour l’ensemble des animaux puis nous nous attacherons aux variations parallèles subséquentes à cette domestication pour l’ensemble des espèces animales pour enfin s’intéresser plus particulièrement au chien et tenter d’expliquer cette incroyable diversité.

Figure 8 - Loup magdalénien (Grotte de Font-de-Gaume, Les Ezies-de-Tayac, Dordogne entre 14000 et 11000 avant Jésus Christ (159)

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CHAPITRE V

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