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Domaine vital, territoire et agression territoriale

DOMAINE VITAL ET TERRITORIALITE CHEZ LE LOUP

C) Les facteurs influençant la dispersion

V) Domaine vital, territoire et agression territoriale

L’existence de comportements agonistiques, qu’ils soient intra ou interspécifiques fait partie intégrante de l’écoéthologie du loup. Les coyotes par exemple, sont souvent chassés et attaqués par les loups. La compétition qui s’établit entre ces deux espèces a contribué, par exemple, à la disparition du coyote sur l’Ile Royale. Cependant, ces comportements agressifs se rencontrent également entre loups de meutes différentes et ceci particulièrement lorsque des loups s’aventurent sur le territoire d’une meute voisine (187-233-309 …). Les rencontres sont loin de se solder à chaque fois par des combats voire des morts. En effet, les loups après avoir apprécié les forces en présence, prennent souvent la fuite avant de s’aventurer dans des conflits sanglants. Les meutes sur leur territoire auront tendance à engager des combats et des poursuites contre les intrus, les repoussant hors de leur territoire. Cependant, si la meute étrangère est plus nombreuse, les loups ne chercheront par systématiquement, loin sans faut, la confrontation. L’expression de ces comportements agonistiques traduit une utilisation exclusive d’un territoire. Elle permettrait d’assurer une meilleure exploitation des ressources et d’optimiser la prise en charge des jeunes.

Les zones frontières entre deux territoires apparaissent donc comme des lieux particulièrement dangereux et sujets à conflits. Wolfe et Allen (309), rapportent par exemple le cas d’un loup qui fut tué par la meute la plus importante de l’Ile Royale en un lieu qui représentait une extension du territoire de la meute. En effet, cette zone était fréquentée l’hiver précédent par le groupe auquel appartenait le loup tué. Par conséquent, la notion de frontière doit plus faire mention à une zone plutôt qu’à une ligne bien délimitée. Cette aire de chevauchement territorial fut nommée zone butoir (buffer zone) et définie comme une zone de deux kilomètres de profondeur (180). Elle serait évitée afin de minimiser les confrontations entre meutes. L’existence de cette zone fut déduite au départ de la présence d’une plus grande densité de proies le long des frontières territoriales, lorsque le nombre de cerfs déclinait (180- 210-273). Cette augmentation de densité fut liée à une plus faible présence des loups de par une probabilité plus grande de rencontrer la meute voisine et par conséquent de faire une rencontre fatale. Mech (180), étudia le devenir de 443 loups de 1968 à 1992 dans le Minnesota. Parmi ces loups, 22 furent tués par des congénères. 75 % de ces loups étaient des individus alpha, 91 % furent tués dans une zone de 3,2 kilomètres de part et d’autre des frontières territoriales et 41 % dans une zone de 1 kilomètre de profondeur. Ces résultats supportent l’idée selon laquelle le risque de rencontres fatales est plus élevé le long des frontières. Un élément corroborant ceci est l’augmentation des marquages urinaires le long des frontières (multipliés par 2), comportement qui ne maintient pas nécessairement les intrus à l’écart mais qui signale tout du moins une anxiété apparemment plus grande. Par ailleurs, une étude réalisée par Ciucci (45), sur la répartition des tanières au sein du territoire, nous indique que sur les 19 sites enregistrés, seul 2 furent localisés dans la zone de 1 kilomètre de large à proximité des limites territoriales (une de ces tanières se situa vers une décharge). Les lieux d’établissements des tanières sont donc préférentiellement choisis afin d’éviter les meutes voisines (même si d’autres facteurs comme la familiarité du site, l’accessibilité à des sources alimentaires et hydriques stables sont également essentiels). Cet agencement de l’espace, établissant une zone de tension plus propice aux confrontations, expliquerait finalement la relative rareté des conflits entre meutes, par un évitement mutuel.

Etant donné que les zones frontières des domaines vitaux sont propices aux conflits, si l’on s’attache à la définition du territoire comme une zone défendue contre les intrus, alors l’ensemble du domaine vital peut être considéré comme territoire et par là même devenir une propriété exclusive. Pourtant quelques remarques sont à apporter.

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¾ Tout d’abord, il paraît illusoire et faux de parler d’un territoire stable et défendu par les loups suivant la migration de leurs proies et occupant des domaines de 3 000 à 6 000 kilomètres carrés.

¾ Si le domaine vital devient exclusif, alors les territoires ne devraient que se chevaucher sur de petites aires géographiques. Si certaines études établissent des domaines vitaux bien distincts, ce n’est pas toujours le cas, aussi bien dans des zones de fortes densités que dans des lieux où les loups sont moins nombreux et les territoires plus grands. Les cartes de la figure 10 illustrent cette variabilité pour les meutes étudiées par Hayes, dans le Yukon (131) et par Peterson sur l’Ile Royale (233-234). Pour Maher cité par Degauljac (59), le domaine vital comporte un nombre conséquent de zones de partages. Van Ballenberghe (282), cite le cas d’une meute qui s’est immiscée 8 kilomètres dans un territoire voisin pour y consommer une carcasse d’élan. Carbyn (40), rapporte l’exemple d’une meute de 10 loups pénétrant dans le territoire d’une meute de 16 entraînant le déplacement de celle-ci pourtant plus nombreuse, vers une aire qui n’intégrera que 30 % de leur territoire initial. Peterson (233), sur l’Ile Royale, mentionne le cas d’une meute attaquée à de nombreuses reprises sur son propre territoire par deux meutes limitrophes. Cet exemple se déroule cependant au cours d’une période de stress alimentaire plus importante, où les attaques inter meutes étaient plus fréquentes. Au cours de cette période, une meute explorait l’ensemble de l’île sans territoire délimité. Cook (52), rapporte des chevauchements de domaines vitaux très importants, une fois la population de loups plus importante et l’espace territorial diminué.

Figure 10 (131) – Domaines vitaux pour des meutes du Yukon

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¾ De plus, si l’agression intra spécifique peut souvent être attachée à un contexte territorial, elle n’en est pas pour autant une règle absolue.

Si chaque rencontre avec un loup intrus ou étranger se traduisait par une agression, toute intromission d’un loup dans une nouvelle meute serait impossible. Ce qui n’est pas le cas comme nous avons pu le constater lors de l’étude des dispersions, même si les chances de réussite semblent supérieures lors de la disparition d’un des reproducteurs, notamment au cours de la saison de reproduction.

Paquet (cité par 2), mentionne que les loups du parc national de Banff, en période de quête de nouveaux territoires, ne manifestent pas d’agressions envers les loups de rencontres. Il cite des cas de loups errants admis par la meute, approchant avec prudence et déférence mais sans peur. Contrairement aux observations de Mech, ces loups ne se sont jamais fait violemment agresser. Il explique ce comportement par un possible lien de parenté.

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Au cours de la migration des loups dans les aires de concentrations hivernales des cerfs, Cook (52), a mis en évidence trois systèmes différents. Dans le premier, les loups migrateurs investissent et défendent un territoire saisonnier. Dans le deuxième, ils investissent des centres ou des aires d’activités saisonnières sans les défendre. Dans le troisième, les loups n’établissent pas de centre d’activité ou des territoires saisonniers. Ces trois systèmes peuvent être mis en œuvre par un même loup ou une même meute au cours d’un même hiver. Le troisième système est le plus fréquemment rencontré. Le premier le moins. Dans les deux derniers systèmes, les loups d’une meute ont fréquemment des loups d’autres meutes à proximité, soulignant ainsi l’absence d’utilisation d’une aire exclusive même si le plus souvent les meutes évitent de se rencontrer réellement. Ainsi, dans ce contexte, où les ressources sont fortement prévisibles et regroupées (migrations hivernales toujours au même endroit des cerfs), la territorialité stricte semble abandonnée au profit d’un nomadisme de groupe (52). Si l’on considère la défense du territoire selon sa valeur téléonomique, en terme de bénéfices pour un accès exclusif à une ressource limitée, elle n’aurait alors plus d’intérêt dans ce contexte de concentration en proies. Il est à noter que dans cette étude, sur les 163 interactions entre loups étrangers, aucun cas d’agression ne fut enregistré. Dans deux cas, des loups de meutes différentes mangeaient et voyageaient ensemble. Pour expliquer cette tolérance, Cook émet l’hypothèse d’une forte relation de parenté intermeutes (il cite l’exemple d’un mâle qui quitta sa meute avant d’y retourner trois ans plus tard, sa mère étant encore la femelle alpha). Une autre hypothèse serait que cette tolérance et cette inconsistance dans l’utilisation de l’espace représente une population en flux social, définie par une instabilité sociale et une utilisation aléatoire de l’espace et rencontrée lorsqu’une population diminue et/ou est fortement exploitée. Par exemple, l’exploitation humaine entraînant la perte des adultes engendrerait un système plus flexible, facilitant l’acceptation d’individus étrangers pour assurer le succès reproductif comme a pu l’observer Ballard en Alaska (52).

Ce type de tolérance et de déstabilisation du territoire fut également décrit par Wolfe et Allen pour les loups de l’Ile Royale (309). Une période d’adaptation territoriale fut observée, dans les années qui ont suivi la scission de la grande meute, de plus de 16 individus, monopolisant l’essentiel de l’Ile entre 1959 et 1966. La stabilité de ce groupe fut expliquée par le grand degré de leadership du mâle dominant, assurant bien être social et cohésion de la meute. La scission du groupe fut effective suite à la mort de ce dernier. Sa blessure, par rupture de ligaments croisés (140), aurait incité un ou plusieurs subordonnés au challenge. Les confrontations en découlant se seraient soldées par la mort du dominant, par la suite mangé par d’autres loups (140). Suite à ce schisme, les meutes n’ont manifesté aucun antagonisme, avec des chevauchements territoriaux et une tolérance mutuelle. L’auteur en conclut qu’en période de flux social et de réajustement, les adaptations territoriales requièrent du temps pour se développer. Durant cette période, une meute étrangère est venue sur l’île par le lac gelé. Le contact avec une des meutes résidentes s’est soldé par une rencontre violente, mais à peine deux jours plus tard, les nouveaux arrivants s’étaient mêlé à une autre meute locale sans conflit, avec laquelle elle se reposa autour d’une carcasse avant de se réorganiser en modifiant l’identité des deux groupes. Ce type d’exemple est également rapporté par Pimlott (cité par 309).

Par conséquent, considérer le loup comme un animal territorial qui utilise un domaine stable, bien défini, qu’il défend, achoppe sur un grand nombre d’observations. Devant le caractère finalement très éclectique de ces observations, on peut se demander si la territorialité chez le loup, comme elle est classiquement abordée est véritablement opératoire. C’est sur quelques réflexions concernant cette territorialité que l’on terminera ce chapitre, en considérant des approches alternatives de l’éco-éthologie du loup et de sa façon de vivre son environnement.

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