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Comportement alimentaire des chiens feraux ou errants 1) Un comportement détritivore essentiel voire exclusif

LA PREDATION CHEZ LE CHIEN

B) Comportement alimentaire des chiens feraux ou errants 1) Un comportement détritivore essentiel voire exclusif

Quel que soit l’environnement investi par les chiens, la consommation de déchets issus des activités humaines, constitue la composante essentielle voire unique du régime alimentaire des chiens plus ou moins livrés à eux-mêmes. Ce comportement détritiphage s’organise en fonction du degré de sociabilité et de promiscuité dans lequel vivent les chiens avec l’homme.

A Baltimore par exemple (18), les chiens prélèvent directement leur nourriture dans les poubelles des particuliers emportant parfois leur butin dans des zones à l’abri du regard des hommes. D’autres plus sociaux à l’homme sont nourris directement par lui. Un autre élément faisant valoir la prégnance de ce comportement détritiphage, est la corrélation rencontrée, chez les chiens pariahs en Inde, entre la concentration en chiens et la densité des

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habitations humaines, notamment dans les zones où se concentrent les magasins de nourriture (222).

On rencontre le même type de comportement alimentaire dans les zones rurales ou sauvages. Mac Donald (170), en Italie dans les Abruzzes, fait part d’une population de chiens sans propriétaire qui organise ses activités alimentaires essentiellement dans le village, restant plus ou moins sociabilisée à l’homme. D’autre part une population de chiens feraux vit en forêt. Dans les deux cas, les chiens dépendent de l’activité des hommes. Pour le premier, les chiens se nourrissent presque exclusivement des détritus domestiques, que ce soit dans les zones de récoltes des poubelles ou ceux directement fournis par la main de l’homme. Dans le second, tous les chiens se nourrissent dans la décharge publique, même si une meute de chiens feraux tout en évitant les activités humaines, utilise en plus les sources alimentaires du village, qu’ils explorent régulièrement.

Comme on a pu le voir, le loup lorsqu’il en a la possibilité utilise fréquemment comme ressource alimentaire les détritus des décharges. Les chiens plus ou moins sauvages réalisent donc le même type de comportement alimentaire. Cependant, en ce qui concerne l’accès à ces ressources alimentaires, il leur est plus facile à la fois car le processus de sélection lié à la domestication et la socialisation précoce éventuelle, les a rendus moins craintifs à l’égard de l’homme, mais aussi car ils sont moins pourchassés par l’homme (27). Que l’utilisation d’une nourriture facilement disponible puisse être comparable entres chiens feraux et loups, semble être aisément prévisible. Qu’en est-il cependant pour les autres proies potentielles et l’activité de prédation ?

2) Les autres ressources alimentaires et le comportement de prédation

La prédation des chiens feraux sur le gibier sauvage ou le cheptel domestique a été l’une des raisons principales des études sur les chiens feraux et errants. études notamment engendrées par les accusations de la presse populaire. Quand est-il réellement ?

a) Prédation sur les espèces sauvages

ª Les petites proies

Plusieurs auteurs ont observé des chiens feraux chassant et se nourrissant de rongeurs, lapins ou lièvres (29-43-170-256), mais peu de détails nous sont rapportés. Cependant, quelques précisions nous ont été fournies par l’étude des chiens feraux vivants à 60 kilomètres de toutes populations humaines sur les Iles Galapagos (150). Ces chiens sont à l’origine de prélèvements importants sur les iguanes marins (amblyrhynchus cristatus). Ils chassent généralement en groupe, accélérant juste avant de bondir sur leur proie, à plusieurs, pour la mordre à des endroits différents avant de la tuer. Les iguanes sont la source principale de nourriture des chiens de ces aires, réduisant ainsi de 27 % chaque année leur population. Sur Pine Water Cags dans les Iles Bahamas, les migrations de chiens domestiques, suite à la construction d’un complexe touristique, ont conduit à la disparition des iguanes (15 000 individus réduits à néant en quelques années) (111).

Dans les milieux insulaires de l’Italie, les chiens errants ont représenté une menace pour certaines espèces d’oiseaux, telle que la mouette royale. De nombreux cas de prédation de chiens domestiques et ensauvagés ont été observés sur des colonies d’avocettes et de sternes au moment de leur nidification.

On peut citer également le cas d’une femelle berger allemand en Nouvelle Zélande, qui avant qu’elle ne soit abattue, avait tué 500 des 900 kiwi (abterix australis) présents localement (111). En ce qui concerne les chiens feraux étudiés par Boitani (29), durant trois

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ans dans les Abruzzes, l’auteur n’a observé aucune prédation sur des proies domestiques ou sauvages si ce n’est la poursuite de lièvres et d’écureuils qu’il qualifia plutôt d’un comportement de jeu que de prédation. Sur les trois meutes suivies, une seule semblait se nourrir à partir d’espèces sauvages. Cette conclusion fut tirée de l’analyse des selles où des traces de lièvres furent rencontrées. Quand est-il pour les plus grandes proies ?

ª Les grandes proies

Dans l’étude de Boitani, seuls les restes de sanglier furent retrouvés dans les selles, semble t’il issus d’un comportement charognard. Le même type de doute persiste quant à l’origine de la mort d’un petit cerf de Virginie, carcasse sur laquelle un groupe de chiens feraux s’est nourri pendant une semaine en Alabama (256). Cependant, au cours des vingt mois de l’étude, aucune prédation sur des cerfs ne fut révélée par Scott et Causey. Ainsi par exemple, sur 100 heures d’observations d’une zone où se situait la tanière d’une meute de chien mais aussi le lieu de mise bas des cerfs, aucune attaque ni poursuite ne fut observée (256).

Nesbitt (212) citant Hawkins, relate que sur 687 cerfs marqués, tués entre 1962 et 1968 dans l’Illinois, où résidait une population de chiens feraux et de chiens errants, 7 % seulement furent attribués à des chiens. Les cerfs étaient déjà blessés ou pris dans les pièges destinés à attraper les chiens. La majorité des proies étaient des faons.

Sweeney, Corbett, Olson, Progulske (cités par 29), corroborent cette idée puisque sur l’ensemble des poursuites étudiées de cerfs par des chiens, aucune ne s’est soldée par un succès.

Sur les 30 mois d’une étude réalisée en Alabama (43), qui a permis de suivre 94 chiens feraux dont 23 étaient marqués, alors que des poursuites de cerfs furent régulièrement établies, seule une observation a pu suggérer que les chiens aient tué un petit faon. Ainsi, la majorité des auteurs (Boitani citant également Causey, Gibson mais aussi (212) et (256), s’accorde à dire que la prédation des chiens feraux reste suffisamment anecdotique pour ne pas avoir un rôle régulateur sur les populations sauvages.

Cependant, Lowry cité par Boitani (29), rapporte le cas de 12 cerfs tués sur 39 poursuites dans l’Idaho. Boitani cite également des auteurs (Denney dans le Colorado, Dawning en Virginie) qui mentionnent des cas de cerfs tués par des chiens feraux. D’autres études semblent mentionner l’importance de l’impact des chiens errants sur la prédation des grands ongulés. Leconte (111), a révélé que sur 109 cervidés retrouvés morts en une année en Haute-Savoie, 33 avaient été tués par des chiens errants. Dans les Alpes, Esteve a estimé l’impact de la prédation des chiens errants entre 13 et 26 % de la mortalité des chamois (125). En 1998 sur le territoire Suisse, des gardes faunes ont retrouvé 912 chevreuils tués par des chiens (152). Cependant, ces études ne distinguent pas le rôle des chiens laissés libres par leurs propriétaires des éventuels chiens feraux.

Ces résultats apparemment contradictoires, s’expliquent par la variabilité des conditions locales notamment en ce qui concerne l’existence d’une autre source possible de nourriture. Il est également vraisemblable que certains individus ou certains groupes acquièrent la possibilité, la motivation et l’habilité nécessaire à la poursuite et la mise à mort des cervidés sauvages, capacités par la suite maintenues à travers une transmission de type culturelle. Il existe en tout cas, une expression variable des comportements de prédation en fonction des différents groupes de chiens feraux étudiés. Finalement, l’activité de prédation des chiens feraux sur les grandes espèces sauvages est très variable en fonction des écosystèmes mais reste plutôt anecdotique, notamment en ce qui concerne la mise à mort et donc le bénéfice vital que peut en tirer la meute.

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On peut se demander par ailleurs la valeur téléonomique d’un tel comportement pour la meute. Fox relate l’activité matinale estivale d’un groupe de trois chiens dans la ville de Saint-Louis qui passent plus de trois heures tous les matins dans un parc à traquer les écureuils (88). Les activités d’observation puis de poursuite s’apparentent au comportement de prédation observé chez les loups. Cependant, à chaque fois les écureuils trouvent refuge dans l’arbre. Sur 61 tentatives, Fox a observé 61 échecs. Tout comme Boitani, il explique ce comportement par l’existence d’un renforcement positif s’apparentant au comportement de jeu. Ainsi, l’observation de certains patterns moteurs du comportement de prédation pour des chiens retournés en milieu sauvage, pourrait relever de l’expression d’un atavisme, s’exprimant de manière variable en fonction des groupes d’individus et des milieux. La simple réalisation du comportement suffirait à constituer le caractère renforçateur ou motivationnel susceptible d’en faire perdurer l’expression, tout en perdant sa finalité adaptative originelle de survie alimentaire (de mise à mort et de consommation). C’est ce qui pourrait également expliquer le fait que les chiens laissés libres de vagabonder par leurs propriétaires et donc généralement bien nourris, occasionneraient des dommages plus importants sur le cheptel domestique alors que les premiers agents incriminés sont pourtant des loups ou les chiens feraux (29-212).

En 1998 par exemple, sur 35 000 moutons présents dans les alpages, 160 furent tués par des loups alors que plusieurs centaines le furent par des chiens errants (285). Quelles sont ces activités de prédation sur les animaux domestiques ?

ª Prédation sur le cheptel domestique Là encore, les données sont variables.

Nesbitt (212) et Scott (256), ne rapportent aucun cas de prédation sur le cheptel au cours de leurs études, tout comme Boitani (29), dans son étude dans les Abruzzes. Le même auteur mentionne l’existence de dommages sérieux, occasionnés par des chiens errants dans d’autres lieux. En Israël, Mendelssohn estime que les chiens feraux tuent 10 à 15 fois plus d’animaux domestiques que les loups, se nourrissant rarement de leurs victimes (195). Un des exemples de l’influence des chiens errants nous est donné par une étude réalisée en Australie sur des chiens voyageant régulièrement ou sporadiquement en dehors de chez eux. 59 attaques sont répertoriées : une partie par des individus seuls (20), une autre par des chiens groupés en paire, généralement un mâle et une femelle (32), le reste par des groupes de 3 à 7. 51 de ces attaques ont engendré la mort de 578 moutons. Une simple paire a tué 90 moutons en un mois sur quatre fermes. Un seul chien a tué 58 moutons en un an, dont un fois 13 en une heure. En règle générale, les chiens partaient en expédition par suite d’un confinement inadéquat. Les chiens pouvaient former des groupes notamment des paires entre une femelle et un mâle et les chiens impliqués dans les actes de prédation étaient des chiens de grande taille de type berger. Mais on rencontrait également des petits terriers impliqués uniquement dans les actes de prédation en groupe et qui semblaient jouer un rôle d’initiateur, recherchant activement la compagnie d’autres chiens et dirigeant alors de longues excursions. Au cours des comportements de chasse, les petits terriers exerçaient un rôle de catalyseur en encourageant et stimulant les gros chiens à passer à l’acte (Coman cité par 111).

C) Conclusion

Ainsi, l’analyse du comportement de prédation sur des chiens plus ou moins soustraits à l’influence de l’homme, révèle une certaine homologie avec le comportement du loup. A l’instar du loup, le chien peut conserver la capacité de chasser, tuer et se nourrir des proies sauvages. En présence d’une autre source de nourriture disponible, en l’occurrence les déchets

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des activités humaines, les deux espèces s’en nourrissent principalement. Cependant, il n’y a que peu d’exemples où des chiens survivent sans l’aide de cette source potentielle contrairement aux loups. De plus, l’activité de prédation chez les chiens retournés à l’état sauvage, reste peu voire pas développée. Et ceci surtout sur les grands ongulés, proies principales pour le loup. Certes, les chiens feraux, comme on le verra, vivent essentiellement en groupes mais cette qualité ne semble pas leur apporter l’avantage d’une chasse coopérative en meute sur grands gibiers. Souvent le comportement de chasse lorsqu’il persiste, apparaît comme un atavisme qui a perdu son but initial de permettre la survie de l’espèce. C’est en particuliers le cas chez certains chiens errants, dont le comportement de prédation ne conduit presque jamais à la consommation de la proie.

Il semble cependant essentiel de ne pas élaguer la grande variabilité des comportements rencontrés. Cette variabilité dépend indéniablement des conditions locales par exemple : la disponibilité en proies et des autres sources de nourriture, les conditions de dépendances à l’homme, les facultés adaptatives singulièrement différentes d’un individu à un autre, d’un groupe à un autre, en fonction des contraintes naturelles variables imposées par le milieu.

Finalement l’étude des chiens feraux présente l’avantage d’utiliser une base de comparaison : la contrainte du milieu de vie, semblable au loup. Mais il n’en demeure pas moins que les chiens en question sont des animaux retournés à l’état sauvage, et par conséquent présentaient avant ce retour, des caractéristiques semblables aux chiens entièrement domestiqués. L’étude de la prédation des chiens encore au contact de l’homme peut nous permettre de mieux appréhender et comprendre la variabilité observée dans l’expression du comportement des chiens plus ou moins retournés à l’état sauvage. Nous aborderons ce problème sous deux angles différents. Le premier s’attachera à explorer la persistance d’un comportement naturel de prédation chez le chien et ses modifications. Le second, cherchera à mieux appréhender la variabilité des expressions de ce comportement en fonction des différentes pressions sélectives liées à la domestication.

II) Exploration du comportement naturel de prédation à travers une enquête A) Matériel et méthode

Dans une étude sur le comportement de prédation naturel du chien, Fleurot a tenté grâce à une enquête, de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse selon laquelle le chien domestique est capable s’il en a l’opportunité, de se comporter en prédateur au même titre que ses parents sauvages (78). La question posée était, la domestication et la sélection ou le dressage ont ils beaucoup émoussé ou modifié le comportement de prédation chez le chien. Pour se faire, Fleurot a soumis un questionnaire à des propriétaires par l’intermédiaire de quatre revues cynophiles (figure 2).

Les réponses obtenues rendaient compte du comportement d’un échantillon de 322 chiens représentant 70 races, 14 croisés et des corniauds. La grande majorité, habituellement, était promenée en liberté (278 chiens). 66 % des échantillons étaient composés de chiens chasseurs. Les chiens ont été répartis en 10 groupes de races officiellement reconnues par la société centrale canine et un groupe de corniauds (figure3).

Pour étudier les réponses, une séquence comportementale de prédation fut décomposée en quatre phases. Recherche de la proie : questions 4, 13, 14,16 ; technique de capture : réponses 5 à 12 et 15, 17, 25 ; mise à mort : réponses 18, 19, 20 et destination de la proie : réponses 21 à 24 (ingestion, rapport aux autres membres du groupe, mise en réserve). Nous allons présenter les principaux résultats de cette étude.

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Figure 2 – Questionnaire proposé par C. Fleurot. Pour étayer sa thèse sur le comportement de chasse chez le chien (78).

VOTRE CHIEN SAIT-IL CHASSER TOUT SEUL ?

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