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Les relations de la classe adversative

Dans le document Vers une algèbre des relations de discours (Page 69-75)

2.2 Les relations de discours

2.2.3 Définition de l’ensemble adopté

2.2.3.3 Les relations de la classe adversative

Dans la SDRT, il existe une seule relation adversative : la relation Contrast. Celle-ci est définie comme reliant des unités qui présentent une dissimilarité sémantique. Dans la SDRT, cette relation peut être établie par une similarité structurelle entre les unités reliées, et la présence de thèmes contrastifs — voir la règle de déclenchement en (88).

(88) (?(α, β) ∧ Structurally_similar(α, β) ∧ Contrasting_themes(α, β)) > Contrast(α, β)

Busquets (2007) souligne que la relation Contrast de la SDRT couvre des relations souvent distinguées dans la littérature : l’opposition sémantique (ou contraste formel), la violation d’attente, et la concession. Ces relations peuvent notamment être distinguées par le fait que l’opposition sémantique n’implique pas la présence d’une contradiction, contrairement aux deux autres. Dans ce travail, nous distinguons trois relations adversatives : Contrast, Violation, et Concession. Dans la suite de la thèse, la relation Contrast renvoie à la définition que nous en donnons dans la suite de cette section, et non à la définition de la SDRT. Lorsque nous nous référons à la définition de la SDRT, nous l’explicitons.

Les relations adversatives que nous distinguons ici partagent un certain nombre de caracté- ristiques, et c’est pourquoi elles peuvent être rassemblées sous une même classe ou un label unique. Leur regroupement est également lié à l’existence d’éléments linguistiques pouvant, selon le contexte, signaler une relation adversative ou une autre. Si l’on définit plusieurs re- lations adversatives, alors ces indices sont considérés comme ambigus. Il existe notamment des connecteurs, comme mais, pouvant signaler la relation Contrast dans certains contextes — voir le discours en (89) — et la relation Violation dans d’autres — voir le discours en (90)29

. Les relations Violation et Concession possèdent également un marqueur commun : pourtant — voir les discours en (91) et (92).

(89) a. Pierre adore le cinéma. (α)

b. (Mais/Par contre) Marie préfère le théâtre. (β) → Contrast(α, β) (90) a. Pierre a poussé Marie. (α)

b. (Mais/Cependant) elle n’est pas tombée. (β) → Violation(α, β)

29. Les différents emplois de mais ont notamment été étudiés dans le cadre de la théorie de l’argumentation, initialement par Anscombre & Ducrot (1977), et bien plus récemment par Winterstein (2010).

(91) a. Pierre va souvent au cinéma, (α)

b. (pourtant/même si) il n’aime pas trop ça. (β) → Concession(α, β) (92) a. L’accord était risqué. (α)

b. (Pourtant/Malgré tout) ils l’ont accepté. (β) → Violation(α, β)

Nous motivons l’adoption de relations adversatives plus fines que celle définie dans la SDRT en présentant les distinctions que l’on peut faire parmi elles — qui reprennent certaines des distinctions présentées à la section 2.2.1. Nous résumons ces distinctions à la Table 2.6.

La distinction additive/causale La première relation adversative mentionnée est la relation Contrast. Elle s’établit, par exemple, entre les unités du discours en (93). Les informations contenues dans les deux unités de ce discours sont présentées comme entrete- nant un lien contrastif. Ce lien est essentiellement établi par la présence du connecteur en revanche. Il ne découle pas directement d’informations liées à la sémantique lexicale et la connaissance du monde. En effet, sans le connecteur, les mêmes unités pourraient appartenir à une énumération, et n’être pas présentées comme étant en contraste — voir par exemple le discours en (94), où l’on retrouve en (94b) et (94c) les unités de (93a) et (93b). Dans les discours comme en (93), la relation Contrast peut être considérée comme essentiellement présentationnelle, dès lors que son établissement résulte directement des buts communicatifs du locuteur ou de l’auteur.

(93) a. Marie est en vacances en Grèce.

b. En revanche, Julie est partie en Floride. (94) a. Les filles sont absentes.

b. Marie est en vacances en Grèce, c. et Julie est partie en Floride.

Mais cette relation peut également être signalée par des informations de sémantique lexicale et de connaissance du monde, comme la présence de deux éléments en relation d’antonymie — voir (95), avec le verbe accepter en (95b) et refuser en (95c).

(95) a. Pierre a proposé d’aller au cinéma. b. Julie a accepté,

c. Marie a refusé.

Les relations Violation et Concession mettent en jeu la présence d’une violation d’attente, et plus précisément la violation d’un effet attendu ou d’une conclusion attendue. Si l’on considère un discours à deux unités (α) et (β) impliquant une violation d’attente, il existe deux possibilités quand à la position de la violation. Soit la violation est inférée à partir de l’argument droit de la relation, c’est-à-dire l’unité (β), à partir de laquelle on peut inférer la négation d’un résultat (ou d’une conclusion) attendu par le contenu de (α), et l’on a Violation(α, β), comme en (96), où l’on infère que l’oubli de Marie aurait pu faire déborder la baignoire. Soit la violation est inférée à partir de l’argument gauche de la relation, c’est- à-dire l’unité (α), à partir de laquelle on peut inférer la négation d’un résultat (ou une d’une conclusion) attendu par le contenu de (β), et l’on a Concession(α, β), comme en (97), où l’on fait la même inférence qu’en (96).

(96) a. Marie a oublié de fermer le robinet, (α) b. mais la baignoire n’a pas débordé. (β) (97) a. La baignoire n’a pas débordé (α)

b. bien que Marie ait oublié de fermer le robinet. (β)

La relation Contrast est une relation additive, dans le sens défini par Sanders et al. : elle ne suppose pas la présence d’une implication. En revanche, les relations Violation et Concession, supposent la présence d’une implication P → Q et d’une négation ¬Q. Ce sont donc, selon Sanders et al., des relations causales.

La distinction symétrique/asymétrique La relation Contrast est une relation sy- métrique, comme on l’observe en (98), qui est construit en inversant la position des unités du discours en (93) sans modifier l’interprétation. En suivant les critères de Sanders et al., les relations causales sont toujours asymétriques. Le fait que Contrast soit symétrique constitue donc un argument supplémentaire pour classer cette relation dans les relations additives. Les relations Violation et Concession sont en revanche asymétriques, comme on l’observe par la non équivalence entre les discours en (96) et (97) et leurs réorganisations respectives en (99) et (100)30

.

(98) a. Julie est partie en Floride.

b. En revanche, Marie est en vacances en Grèce. (99) a. La baignoire n’a pas débordé, (α)

b. ? mais Marie a oublié de fermer le robinet. (β) (100) a. Marie a oublié de fermer le robinet (α)

b. ? bien que la baignoire n’ait pas débordé. (β)

La distinction coordonnante/subordonnante La relation Contrast, comme

toutes les relations symétriques, peut être considérée comme une relation coordonnante, ou, dans les termes de la RST, comme une relation liant deux Nuclei. En ce qui concerne les relations Violation et Concession, qui sont asymétriques, on peut s’appuyer sur leur com- patibilité avec d’autres relations définies dans la SDRT pour déterminer leur type — c’est d’ailleurs un des tests proposés par Asher & Vieu (2005) pour déterminer le type d’une rela- tion. La relation Violation est compatible avec la relation coordonnante Narration, comme on le voit en (101). En revanche, la relation Concession est compatible avec la relation su- bordonnante Flashback, comme on le voit en (102). De plus, on peut faire un parallèle d’une part entre Violation et Result et d’autre part entre Concession et Explanation : les relations Violation et Concession peuvent être vues respectivement comme les versions négatives de Result et Explanation — voir la définition de la polarité à la section 2.2.1.3, page 41. Le fait que Result soit généralement considérée comme coordonnante et Explanation comme subordonnante appuie l’hypothèse que Violation est une relation coordonnante et que la relation Concession est subordonnante.

(101) a. Pierre a accepté la proposition, b. mais il s’est ensuite rétracté.

(102) a. Max est allé se baigner

b. bien qu’ il ait fait un gros repas ce midi.

Nous présentons un bilan des distinctions parmi les relations adversatives que nous adoptons à la Table 2.6, avant de détailler la définition de chacune de ces relations.

Causale Symétrique Coordonnante

Contrast − + +

Violation + − +

Concession + − −

Table 2.6 – Distinctions parmi les relations adversatives

La relation Contrast En ce qui concerne la relation Contrast, également appelée op- position sémantique ou contraste formel, on peut distinguer deux principaux sous-cas : le contraste impliquant deux entités distinctes (ou deux sujets distincts) et le contraste impli- quant une même entité (ou deux mêmes sujets). Hobbs (1985) définit la relation Contrast comme suit : on infère p(a) de l’assertion de (α) et ¬p(b) de l’assertion de (β), où a et b sont similaires — (α) et (β) désignent les deux unités reliées. Cette définition de la relation Contrast correspond à celle de Spooren (1989) : deux entités distinctes se voient assigner des propriétés qui s’excluent mutuellement dans le contexte31

. Bien que les propriétés s’excluent, il n’en résulte pas une contradiction, comme le souligne Oversteegen (1997).

Les oppositions sémantiques sont des contrastes mais elles n’impliquent pas de contradictions. Les deux propriétés assignées aux différentes entités ou aux dif- férents éléments reliés peuvent être incompatibles, mais elles ne résultent pas en une contradiction grâce au fait qu’elles ne sont pas assignées à la même entité, au même moment, et au même endroit32

.

La définition de Hobbs couvre des discours comme en (103) : le contenu de l’unité (α) comprend une propriété brun(x) et celui de l’unité (β) une propriété blond(y). À partir d’une connaissance de la forme blond(y) ⇒ ¬brun(y), on infère du contenu de (β) : ¬brun(y). On peut également regrouper sous cette définition des discours comme en (104).

(103) a. Max est brun. (α)

b. En revanche, Pierre est blond. (β) (104) a. Max a une moto. (α)

b. En revanche, Pierre n’en a pas. (β)

La définition de Hobbs ne recouvre pas tous les cas décrits par Oversteegen (1997), selon qui, comme nous l’avons vu plus haut, le fait que l’opposition sémantique ne résulte pas en une contradiction peut avoir différentes raisons :

31. Traduit de Spooren (1989) : A relation between two conjuncts each having different subjects, to which properties are attributed that are mutually exclusive in the given context.

32. Traduit de Oversteegen (1997) : Semantic Oppositions are contrasts but they do not involve contra- dictions. The two properties ascribed to different entities or at different coordinates can be incompatible, but they do not result in a contradiction thanks to the fact that they are not ascribed to one entity at one time and one place.

– soit parce que les propriétés incompatibles sont assignées à différentes entités ; – soit parce qu’elles sont assignées à des localisations temporelles distinctes ; – soit parce qu’elles sont assignées à des localisations spatiales distinctes.

La relation Contrast peut donc couvrir des cas où une même entité se voit assigner deux propriétés incompatibles, à des localisations temporelles ou spatiales distinctes. En ce qui concerne les cas où la distinction porte sur la localisation temporelle, considérons le dis- cours en (105). Dans ce discours, une même entité (Pierre) se voit assigner deux propriétés incompatibles (aller à la piscine et ne pas aller à la piscine) à des localisations temporelles distinctes (lundi et mardi).

(105) a. Pierre est allé à la piscine lundi. (α) b. En revanche, il n’y est pas allé mardi. (β)

En ce qui concerne les cas où la distinction porte sur la localisation spatiale, considérons le discours en (106). Dans ce discours, deux propriétés incompatibles (faire des bénéfices et et ne pas faire des bénéfices) sont assignées à une même entité (l’entreprise), à des localisations temporelles identiques (en 2009 ), à deux localisations spatiales distinctes (en France et en Italie).

(106) a. En 2009, l’entreprise a fait des bénéfices en France. (α) b. En revanche, elle n’en a fait pas en Italie. (β)

Dans les discours impliquant la relation Contrast soit les propriétés incompatibles font directement partie du contenu des unités reliées, comme en (104), (105) et (106), soit une des propriétés est inférée à partir du contenu d’une des unités reliées, comme en (103).

Les relations Violation et Concession En ce qui concerne les relations Concession et Violation, elles sont définies par Gröte et al. (1995) comme impliquant la présence de deux propositions P et P′

telles que :

d’une part, P est établie, impliquant l’attente de Q ; d’autre part, P′

est établie, impliquant ¬Q, contrairement à l’attente induite par P33

.

Ils associent à cette définition la formule en (107). Dans cette formule, la première implication représente l’inférence de l’attente (Q), et la seconde l’inférence de la violation ou de la négation de cette attente.

(107) (P > Q) ∧ (P′

>¬Q)

Selon Gröte et al., la première implication est liée à la connaissance générale du monde et la seconde implication est plus « forte » que la première. En effet, ¬Q est vérifiée, contrairement à Q. Dans les discours analysés par Gröte et al., essentiellement deux cas se dégagent : des cas comme en (108) où ¬Q est explicite et pas P′

, et des cas comme en (109) où P′

est explicite et pas ¬Q. Ils recensent également des cas où à la fois P′

et ¬Q sont explicitées.

(108) a. Marie avait faim. (α)

33. Traduit de Gröte et al. (1995) : On the one hand, A holds, implying the expectation of C. On the other hand, B holds, which implies ¬C, contrary to the expectation induced by A.

b. Mais elle n’a pas mangé. (β) (109) a. Marie avait faim. (α)

b. Mais les restaurants étaient tous fermés. (β) >Marie n’a pas mangé.

La définition de Gröte et al. rejoint les définitions de Kehler (2000) pour les relations Violated Expectation et Denial of Preventer, présentées ci-après — avec variables modifiées pour expliciter le parallèle avec la définition précédente.

Violated Expectation. On infère P de l’assertion de (α) et ¬Q de l’assertion de (β), et l’on a normalement P → Q34

.

Denial of Preventer. On infère ¬Q de l’assertion de (α) et P de l’assertion de (β), et l’on a normalement P → Q35

.

Pour les relations Violation et Concession, nous adoptons respectivement les contraintes sémantiques présentées en (110a) et (110b). Dans ces contraintes, P représente l’attente. Les contraintes diffèrent uniquement par l’étiquette de l’unité dont le contenu mène à l’infé- rence de l’attente : pour Violation, l’attente est inférée à partir du contenu de (α), et pout Concession, à partir du contenu de (β). Les définitions de Violation et Concession corres- pondent respectivement aux définitions de Violated Expectation et Denial of Preventer de Kehler.

(110) a. φViolation(α,β) ⇒ Kα∧ Kβ∧ (Kα> P) ∧ (Kβ >¬P ) ∧ ¬P

b. φConcession(α,β)⇒ Kα∧ Kβ∧ (Kα >¬P ) ∧ (Kβ > P) ∧ ¬P

Lorsque Concession et Violation relient des éventualités, les contraintes temporelles existant entre ces éventualités sont respectivement les mêmes que pour les relations Explanation et Result. Comme nous l’observons par les discours en (111) et (112), la relation Concession est compatible avec une précédence temporelle (eβ ≺ eα) et avec un recouvrement temporel

(eα eβ). Le point commun à ces deux cas de figure est que l’éventualité décrite en (α)

débute après l’éventualité décrite en (β) — Init(eβ) ≺ Init(eα). La relation Violation, elle,

est compatible avec une succession temporelle (eα ≺ eβ), comme on l’observe en (113), et

avec un recouvrement temporel, comme on l’observe en (114). Le point commun à ces deux cas de figure est que l’éventualité décrite en (α) débute avant l’éventualité décrite en (β) — Init(eα) ≺ Init(eβ).

(111) a. Pierre est allé se baigner (α)

b. bien qu’ il ait mangé un sandwich. (β) (112) a. Pierre est allé se baigner (α)

b. bien qu’ il pleuve. (β) (113) a. Pierre a vu le panneau, (α)

b. mais il a accéléré. (β)

34. Traduit de Kehler (2000) : Infer P from the assertion of S0 and Q from the assertion of S1, where

normally P → ¬Q.

35. Traduit de Kehler (2000) : Infer P from the assertion of S0 and Q from the assertion of S1, where

(114) a. Il pleut, (α)

b. mais Pierre a pris la route. (β)

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