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Inférence des relations

Dans le document Vers une algèbre des relations de discours (Page 34-37)

2.1 Théories pour le discours

2.1.2 Points divergents

2.1.2.4 Inférence des relations

Dans cette section, nous décrivons la façon dont sont établies les relations de discours dans la RST et la SDRT, c’est-à-dire la façon dont ces théories proposent de décrire les mécanismes aboutissant à l’inférence des liens dans un discours lors de son interprétation. La RST et SDRT adoptent sur ce point deux approches différentes : la RST décrit l’établissement des relations en termes de buts communicatifs, et explicite dans la définition des relations les intentions et les croyances de l’auteur (ou du locuteur) et les croyances du lecteur (ou de l’allocutaire) ; la SDRT, elle, cherche à modéliser le processus d’interprétation en définissant, à partir d’informations sémantiques, pragmatiques et lexicales, des règles de déclenchement de relations de discours.

Dans la RST, les définitions des relations sont présentées comme une aide à la construction d’une structure RST par un annotateur humain, et ne sont donc pas décrites dans un cadre formel. La définition d’une relation (Nucleus–Satellite) se fait selon quatre paramètres : des contraintes sur le Nucleus de la relation ; des contraintes sur le Satellite de la relation ; des contraintes sur la combinaison du Nucleus et du Satellite ; l’effet de la relation. Pour illustrer ces quatre paramètres, nous présentons ci-après la définition de la relation Evidence (ou Démonstration) par Mann & Thompson, dans laquelle le Nucleus est noté N, le Satellite S, l’auteur A et le lecteur L.

Relation : Evidence (Démonstration).

Contraintes sur N : L ne croit pas à N à un degré satisfaisant pour A. Contraintes sur S : L croit à S ou le trouvera crédible.

Contraintes sur la combinaison N+S : La croyance de L en S augmente sa croyance en N.

Effet : La croyance de L en S est augmentée.

Par exemple, dans le discours en (20)9

, la relation Evidence s’établit entre les unités en (20a) et (20c). Pour établir la relation, la RST se base sur les jugements de celui qui analyse le texte (l’observateur). L’observateur examine notamment la présence des contraintes sur le Nucleus de la relation, ici l’unité en (20a) :

il est plausible pour l’Observateur qu’il était plausible pour l’Auteur que le Lecteur puisse ne pas croire que Darwin était un géologue avec suffisamment de conviction aux yeux de l’Auteur ;

il examine également les contraintes sur le Satellite en (20c) :

il est plausible pour l’Observateur qu’il était plausible pour l’Auteur que com- prendre que les travaux de Darwin concernaient principalement la géologie per- mettra d’accroître la croyance du Lecteur que Darwin était un géologue.

Dans ce discours, la relation Evidence s’établit aussi entre (20a) et (20d), ainsi qu’entre (20a) et (20e).

(20) a. Darwin : un géologue

b. Aujourd’hui, on a tendance à le considérer comme un biologiste,

c. mais durant ses cinq années à bord du Beagle, ses travaux concernaient essen- tiellement la géologie

d. et il se considérait lui-même comme géologue.

e. Ses travaux constituent une contribution significative à ce domaine.

On observe donc que dans la RST, l’inférence des relations se base essentiellement sur les jugements de celui qui analyse les intentions de l’auteur et les croyances du locuteur. La définition des relations se veut principalement descriptive, non formelle.

En revanche, la SDRT cherche à définir des règles formelles de déclenchement des relations de discours. La présence de certaines informations va « déclencher » l’application d’une de ces règles — dans le cas où ces informations correspondent à la partie gauche d’une règle —, donnant ainsi lieu à l’établissement d’une relation de discours. Elle s’appuie sur une logique non monotone, c’est-à-dire une logique qui permet d’exprimer des règles appliquées par défaut. Ces règles peuvent être révisées : ce qu’elles impliquent peut être « supprimé ». La révision des inférences est nécessaire dans une approche comme celle de la SDRT, qui envisage un processus d’interprétation incrémental, tendant à rendre compte des inférences successives faites par le lecteur ou l’allocutaire d’un discours. La non monotonie est notam- ment utile pour traiter des discours comme en (21). Dans le contexte formé par les deux premières unités, le lecteur infère que Jean est allé en prison parce qu’il a détourné des fonds, ce qui se traduit par le déclenchement d’une relation causale. La SDRT définit pour cela une règle révisable, de la forme présentée en (22)10

. Dans cette règle, > symbolise l’opérateur conditionnel, que l’on peut décrire ainsi : A > B signifie que si A est vrai, alors normalement B est vrai. Le prédicat cause(π2, π1) signifie que ce qui est décrit en (π2) est

une cause possible de ce qui est décrit en (π1). Ce prédicat est établi grâce à une règle

générale de raisonnement, exploitant des informations basées sur la connaissance lexicale et la connaissance du monde (voir section 3.1.3). Après mise à jour du contexte par la troi- sième unité, le lecteur révise son jugement : il « supprime » l’inférence faite dans le contexte précédent. Dans la SDRT, grâce à l’inférence non monotone, la structure sera révisée. Les règles d’inférence non monotone sont donc qualifiées de révisables (ou défaisables).

(21) a. Patrice est en prison. (π1)

b. Il y a quelques années, il a détourné des fonds. (π2)

c. Mais cette fois-ci, il est détenu pour tout autre chose. (π3)

(22) causeD(π2, π1) > Explanation(π1, π2)

La SDRT distingue la logique qui concerne le contenu propositionnel (Logic of Information Content ou LIC) de la logique de l’« emballage » de l’information, qui traite de la structure globale du discours et des relations rhétoriques (Logic of Information Packaging ou LIP). Cette distinction est basée sur l’idée que pour construire une représentation mentale d’un discours et pour établir des relations entre ses unités, un locuteur n’a pas besoin de com- prendre chaque proposition que le discours contient, et que par conséquent la théorie doit pouvoir représenter l’emballage de l’information même si elle ne peut représenter le contenu de l’information. Dans la SDRT, l’accès de la LIP au contenu propositionnel est restreint à certaines marques de relations, comme les temps verbaux, les connecteurs, etc.

Pour traiter les relations signalées par des marques linguistiques comme les connecteurs de discours, la SDRT définit un second type de règle : des règles d’inférence monotones (non défaisables). Par exemple, pour représenter les liens entre les unités (π1) et (π2) du discours

en (23), la SDRT déclenche une règle de la forme présentée en (24), où [parce que](π2)

signifie : parce que appartient au contenu propositionnel de (π2). La présence d’une marque

comme parce que permet donc à la SDRT d’établir une relation non défaisable, et de mettre ainsi en évidence l’incohérence du discours lorsqu’il est continué par le segment (π3).

10. Nous faisons un inventaire des notations utilisées dans les règles de déclenchement de la SDRT à la section 2.2.3.

(23) a. Patrice est en prison (π1)

b. parce qu’ il a détourné des fonds il y a quelques années. (π2)

c. # Mais cette fois-ci, il est détenu pour tout autre chose. (π3)

(24) [parce que](π2) → Explanation(π1, π2)

Lors de l’établissement d’une relation dans la construction d’une SDRS, deux situations peuvent déclencher une ambiguïté.

– Pour relier deux unités données, plusieurs règles peuvent parfois s’appliquer. Si ces règles établissent des relations de discours compatibles, alors les deux règles peuvent être appliquées, car la SDRT ne contraint pas le nombre de relations pouvant s’établir entre deux unités. En revanche, si ces règles établissent des relations de discours non compatibles (par exemple si l’une est coordonnante et l’autre subordonnante), la règle dont la prémisse est la plus spécifique est appliquée. Par exemple, une règle monotone sera appliquée plutôt qu’une règle non monotone, et parmi des règles non monotone, celle dont la prémisse contient le plus grand nombre d’informations sera appliquée. – Pour attacher une nouvelle unité dans un contexte discursif donné, plusieurs sites

d’attachement sont parfois disponibles, et pour chacun de ses sites, une relation de discours peut être inférée. Dans ce cas, pour sélectionner la SDRS la plus pertinente, la SDRT exploite un principe de maximisation de la cohérence. Ce principe a pour but d’optimiser la cohérence du discours, en sélectionnant la SDRS qui contient le plus grand nombre de relations de discours – comme nous l’avons vu avec le Continuing Discourse Pattern à la section précédente, l’inférence d’une relation peut déclencher l’inférence d’autres relations – et d’expressions anaphoriques résolues – sur ce point, voir la section suivante.

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