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Capacité représentationnelle

Dans le document Vers une algèbre des relations de discours (Page 30-34)

2.1 Théories pour le discours

2.1.2 Points divergents

2.1.2.3 Capacité représentationnelle

Les deux principaux choix de représentation des structures discursives que nous avons pré- sentés — représentation arborescente et représentation par graphes — ont été confrontés dans diverses études (Wolf & Gibson, 2005; Danlos, 2006; Lee et al., 2006, 2008; Egg & Redeker, 2010) cherchant à évaluer la complexité des structures discursives et les capacités représentationnelles des différentes théories du discours. Les divergences dans la représenta- tion des structures ont un impact sur les structures discursives acceptées par les théories : toutes les théories n’ont donc pas les mêmes capacités de représentation. Nous discutons dans cette section des capacités de représentation de la RST et de la SDRT, en nous ap- puyant sur l’étude de Danlos (2006), qui effectue une analyse systématique des structures discursives linguistiquement réalisables pour des discours simples, couvrant trois unités élé- mentaires et impliquant deux relations de discours. Dans cette étude, Danlos adopte une représentation des structures discursives sous forme de DAG (pour Directed Acyclic Graphs) de dépendances pour le discours (Danlos, 2004), que nous reprenons ici.

Nous présentons à la Figure 2.7 quatre structures discursives comportant trois unités élé- mentaires (α), (β) et (γ), et mettant en jeu deux relations de discours Ra et Rb. Dans ces

représentations sous forme de DAG, les unités élémentaires sont représentées par les noeuds feuilles — ici (α), (β) et (γ). Les deux arcs partant d’un noeud étiqueté par une relation de discours pointent vers les arguments de la relation. Les arguments peuvent évidemment

être des unités élémentaires mais aussi des unités complexes, qui sont représentées par des sous-DAG. Par exemple, dans la structure (iv) de la figure, la relation Rb a pour arguments

l’unité élémentaire (α) et l’unité complexe formée par la mise en relation des unités élémen- taires (β) et (γ). La représentation des types de relations suit celle de la RST, avec des étiquettes Nucleus ou Satellite pour les arguments des relations.

Comme le démontre Danlos, les structures discursives en (i), (ii), (iii) et (iv) sont linguis- tiquement réalisables — elles sont par exemple respectivement réalisées par les discours en (15), (16), (17) et (18)6

. Cependant, ces structures posent un problème de représentation dans la RST (en adoptant la représentation formalisée par Marcu) et/ou la SDRT.

Ra Rb α β γ (i) N N N N Ra Rb α β γ (ii) N N N S Ra Rb α β γ (iii) N S N N Ra Rb α β γ (iv) N N (ou S) N S

Figure 2.7 – Structures discursives sous forme de DAG pour des discours non représentables dans la RST et/ou la SDRT

La structure présentée en (i), linguistiquement réalisée en (15) — avec Ra= Parallel (dans

la SDRT) ou List (dans la RST) et Rb = Narration (SDRT) ou Sequence (RST) — est

représentable dans la SDRT mais pas dans la RST. Considérons les deux représentations potentielles de cette structure dans le cadre de la RST, présentées à la Figure 2.8. On observe qu’aucune de ces deux structures ne représente à la fois la relation Ra(α, β) et la

relation Rb(β, γ) : la première structure contient la relation Rb(β, γ) mais pas la relation

Ra(α, β), car l’application du principe de nucléarité attribue comme argument droit à la

relation Ra l’unité complexe formée par les unités (β) et (γ) ; la seconde structure contient

la relation Ra(α, β) mais pas la relation Rb(β, γ), car l’application du principe de nucléarité

attribue comme argument gauche à la relation Rb l’unité complexe formée par les unités (α)

et (β).

(15) a. Fred a rangé sa chambre aujourd’hui. (α) b. Marie a fait de même, (β)

c. puis elle est allée rendre visite à sa grand-mère. (γ) Ra Rb α β γ N N N N Ra Rb α β γ N N N N

Figure 2.8 – Structures RST invalides pour le discours en (15)

La structure présentée en (ii) est linguistiquement réalisée en (16), avec Ra= Parallel (dans

la SDRT) ou List (dans la RST) et Rb = Elaboration. Ce discours n’est représentable ni

dans la RST ni dans la SDRT. Les structures invalides pour ce discours dans la RST et la SDRT sont présentées à la Figure 2.97

. La structure RST viole la contrainte d’adjacence, car le noeud étiqueté par Rb domine les unités élémentaires (α) et (γ) qui ne forment pas

un span de texte : en effet, un span de texte ne peut pas être discontinu. La structure SDRT, elle, viole la contrainte de la frontière droite : après l’attachement de (β) à (α) par une relation coordonnante, (γ) ne peut être attaché à (α), car le noeud correspondant n’est plus sur la frontière droite du graphe — les étiquettes des noeuds de la frontière droite sont encadrées dans la figure.

(16) a. Fred a mangé un gros saumon. (α)

b. Il a aussi dévoré de délicieux fromages. (β) c. Le saumon venait de Norvège. (γ)

Rb Ra α γ β N N N S α γ β α′ Ra Rb

Figure 2.9 – Structure RST et structure SDRT invalides pour le discours en (16) La structure (iii), associée au discours en (17) avec Ra = Explanation (SDRT) ou Cause

(RST) et Rb = Contrast, n’est pas représentable dans la RST en raison de l’application

du principe de nucléarité, de la même façon que pour la structure (i). Elle est également exclue dans la SDRT par le principe de la « poursuite du schéma discursif » (Continuing Discourse Pattern ou CDP), formulé comme suit par Asher & Vieu (2005).

Si deux relations R1(α, β) et R2(β, γ) sont établies, avec R1 subordonnante

et R2 coordonnante, alors on a : R1(α, γ), ce qui signifie que les constituants

coordonnés d’une sous-structure doivent se comporter de façon similaire par rapport au constituant qui les domine8

.

Ici, comme Explanation est une relation subordonnante et Contrast une relation coordon- nante, la relation Explanation(α, γ) est inférée lors de la construction de la représenta- tion.

(17) a. Max est très fatigué (α)

b. parce que son taux de mauvais cholestérol est haut. (β) c. Par contre il a un très peu de bon cholestérol. (γ)

Pour illustrer la structure (iv), observons le discours en (18). Dans ce discours, la conclu- sion exprimée dans la troisième unité est causée par l’unité complexe formée par les deux premières unités (reliées par Explanation–Cause). En ce qui concerne la RST, ce discours montre les limites du principe de nucléarité : ici, le Nucleus et le Satellite de la relation Cause sont de même importance pour interpréter le discours, et le Satellite ne peut être supprimé sans en modifier l’interprétation. En ce qui concerne la SDRT, elle ne construit pas d’unité complexe dans le cas de deux constituants liés par une relation subordonnante comme Explanation. Pour ces deux théories, la seule représentation permise de ce discours est une représentation incorrecte contenant seulement un lien causal entre (α) et (β), et un lien causal entre (α) et (γ).

(18) a. Max a piqué une crise (α)

b. parce que Julie est venue accompagnée à la soirée. (β) c. Donc il l’aime toujours. (γ)

L’observation de ces quatre structures amène à la conclusion suivante : bien que les théo- ries définissent des structures — et des contraintes sur ces structures — qui permettent de construire des représentations valides pour un grand nombre de discours, elles se heurtent à des problèmes de représentation pour certaines structures discursives linguistiquement réalisables, soit en raison du type de structure utilisé — les arbres de la RST excluent intrinsèquement des structures discursives comme (i) — soit en raison des contraintes im- posées sur la construction des structures — la RFC exclut la construction de structures discursives comme (ii).

Dans la littérature, les discussions sur la capacité représentationnelle des différents types de structures discursives soulèvent également souvent la question des dépendances croisées dans le discours (Webber et al., 2003; Wolf & Gibson, 2005; Egg & Redeker, 2010). Pour illustrer cette question, observons par exemple le discours en (19), tiré de (Danlos, 2006). Dans ce discours, on peut considérer que l’énoncé en (19c) élabore l’énoncé en (19a), et que l’énoncé en (19d) élabore l’énoncé en (19b). Cette analyse implique la représentation de dépendances croisées, comme on l’observe à la Figure 2.10.

(19) a. Fred a mangé un gros saumon. (α)

8. Traduit de (Asher & Vieu, 2005) : If R1(α, β) and R2(β, γ) and Subord(R1) and Coord(R2) then

R1(α, γ) [...] This implies that coordinated constituents of a sub-structure must behave in a homogeneous

b. Il a aussi dévoré de délicieux fromages. (β) c. Le saumon venait de Norvège. (γ)

d. Les fromages venaient de France. (δ)

α β γ δ

Elaboration Elaboration

Parallel

Figure 2.10 – Dépendances croisées du discours en (19)

Cette question est fréquemment soulevée, car les structures d’arbres et les structures de graphes contraints comme ceux de la SDRT ne permettent pas de représenter des relations de discours « croisées ». Le problème posé par la représentation de ce type de structures amène souvent à proposer une analyse alternative, qui n’implique pas de dépendances croi- sées. De ce point de vue, les choix de représentation orientent l’analyse du discours. Par exemple, pour le discours en (19), ils peuvent orienter vers une interprétation dans laquelle l’élaboration a pour arguments deux unités complexes — d’une part (α) et (β), et d’autre part (γ) et (δ) — et dans laquelle les liens « croisés » ne sont pas considérés comme des relations de discours mais comme de simples liens anaphoriques — ici entre un gros saumon et le saumon, ainsi qu’entre de délicieux fromages et les fromages. Wolf & Gibson (2005) proposent une représentation par graphes n’intégrant pas les contraintes comme celle de la frontière droite, notamment pour pouvoir représenter les dépendances croisées dans le discours.

Partant du constat que la représentation par des structures arborescentes de la RST ne permettent pas de couvrir tous les discours cohérents et que les contraintes définies dans le cadre de la SDRT excluent certaines structures ou peuvent orienter l’analyse de certains discours, nous adoptons dans cette thèse une représentation sous forme de graphes non contraints. Ce choix est notamment motivé par le fait qu’un certain nombre de structures discutées ne sont ni représentables dans la RST ni dans la SDRT.

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