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La nature des inférences

Dans le document Vers une algèbre des relations de discours (Page 119-122)

4.2 Une algèbre des relations de discours

4.2.2 La nature des inférences

Nous avons vu à la section précédente que toutes les unités d’un discours ne sont pas liées par une relation directe. La construction d’une algèbre des relations de discours implique donc de définir des règles dont les prémisses sont des relations de discours et dont la déduction peut ne pas contenir de relation de discours, ou peut contenir seulement la relation artificielle None. S’il n’y a pas déduction de relations de discours, il peut y avoir néanmoins des liens sémantiques entre les éventualités décrites dans les unités reliées par None.

La méthodologie adoptée pour étudier les prémisses de règles et définir des règles de dé- duction, présentée au chapitre 5, s’appuie en partie sur l’étude des contraintes sémantiques établies par les relations de discours des prémisses. Ces contraintes constituent en effet un point de départ à l’étude des règles : elles permettent de restreindre, à partir des relations

de la prémisse, les liens sémantiques pouvant s’établir entre le contenu des unités non reliées dans la prémisse, en contraignant par exemple les liens temporels possibles, ou les liens cau- saux possibles. Il faut ensuite déterminer si les liens sémantiques sont associés à la présence d’une relation rhétorique ou non.

Pour définir des règles d’inférences dans une algèbre des relations de discours, il faut donc distinguer les cas dans lesquels une relation de discours s’établit entre deux unités des cas dans lesquels ce sont uniquement les éventualités décrites qui sont reliées sémantiquement. La définition de règles d’inférences soulève donc la question : qu’est-ce qui distingue une relation de discours de ses effets sémantiques ? Dans cette section, nous discutons de la distinction entre les relations de discours et leurs conséquences sémantiques.

Dans une théorie formelle comme la SDRT, la présence d’une relation a pour conséquence l’établissement de liens sémantiques entre éventualités. Or, derrière ces définitions, et der- rière l’élaboration de théories du discours, se trouve l’intuition qu’une relation de discours est plus qu’un ensemble de liens sémantiques, comme le souligne Vieu (2007) :

La sémantique des relations de discours ne peut pas être réduite à des relations entre éventualités, en omettant leur dimension rhétorique13

.

Et pourtant, il est difficile de définir formellement ce que les relations de discours sont de plus. Vieu apporte une réflexion autour de cette question, en mettant en évidence le fait que les relations de discours se distinguent de simples liens sémantiques par deux choses : leurs effets structurels, et leur dimension rhétorique, reflétée par l’engagement du locuteur ou de l’auteur. Dans les paragraphes qui suivent, nous discutons de ces deux points.

Les effets structurels des relations de discours Une des raisons pour lesquelles les relations de discours ne peuvent être réduites à des relations entre éventualités réside dans le fait qu’elles interviennent dans une structure discursive plus large, dont elles sont dépen- dantes, et sur laquelle leur présence a un impact. On ne peut pas, par exemple, réduire la relation Narration à une simple succession temporelle ; de la même façon, on ne peut pas restreindre des relations comme Result ou Explanation à de simples relations causales, et ainsi considérer que Result(α, β) est équivalent à Explanation(β, α).

Pour rendre compte du fait que les relations Result et Explanation ne peuvent être réduites à une même relation causale entre des éventualités, observons les discours en (168) et (169). Ces deux discours se distinguent par la relation établie entre (α) et (β) : en (168), la relation Result(α, β) est établie, et en (169), la relation Explanation(α, β) est établie. Dans le second discours, on interprète que Marie a la grippe, et que l’unité (γ) a pour fonction d’élaborer le contenu de l’unité (β). Dans le premier discours, l’interprétation est moins évidente. Le discours semble moins cohérent que le second. Si on lui attribue une cohérence, alors on interprète que c’est Julie qui a la grippe.

(168) a. Mariei est malade. (α)

b. Du coup, Juliej est allée à la pharmacie. (β)

c. ? Ellej a la grippe. (γ)

(169) a. Juliej est allée à la pharmacie (α)

13. Traduit de (Vieu, 2007) : The semantics of DR cannot be reduced to relations between eventualities, omitting their rhetorical contribution.

b. parce que Mariei est malade. (β)

c. Ellei a la grippe. (γ)

Cet exemple permet d’illustrer le fait que l’on ne peut dissocier les relations de discours de leurs effets sur la construction des structures au sein desquelles elles apparaissent, et leur impact sur l’interprétation. De ce point de vue, les relations de discours se distinguent des liens sémantiques par leur participation à l’emballage de l’information.

Les relations de discours et l’engagement du locuteur Vieu (2011) montre que pour refléter le rôle rhétorique des relations de discours, l’emballage de l’information n’est pas suffisant : les conséquences sémantiques doivent, elles aussi, y contribuer. Pour cela, Vieu s’appuie sur l’exemple de la relation Result, et démontre que la relation Result n’est pas réduite à la seule causalité en prouvant que l’on a : ¬Result(α, β) 6→ ¬cause(eα, eβ). Cet

axiome traduit le fait que lorsque l’auteur ou le locuteur d’un discours choisit de présenter deux unités comme n’étant pas causalement reliées, cela n’exclut pas l’existence d’un cau- salité entre les éventualités décrites. Ce phénomène est notamment observé dans certains discours impliquant le connecteur puis — voir (Bras et al., 2001a). Ce point permet de mettre en évidence la distinction entre relations sémantiques et relations de discours : dans une analyse discursive, on cherche à mettre en évidence ce qui est présenté par le locu- teur ou l’auteur, ce sur quoi il s’« engage ». Pour représenter cet engagement, Vieu emploie donc un opérateur noté C (pour commitment), qui lui permet de redéfinir les effets séman- tiques de l’établissement des relations de discours. Par exemple, pour la relation Result, les conséquences sémantiques, qui sont traditionnellement dans la SDRT celles présentées en (170), deviennent les conséquences présentées en (171) — Sβ désigne l’agent qui a asserté

(β), et A(α, β) (pour attachment) traduit le fait que les énoncés en (α) et (β) sont reliés rhétoriquement.

(170) Result(α, β) → (Kα∧ Kβ∧ cause(eα, eβ))

(171) Result(α, β) ←→ (A(α, β) ∧ C(Sβ, Kα) ∧ C(Sβ, Kβ) ∧ C(Sβ,cause(eα, eβ)))

L’opérateur d’engagement permet donc d’intégrer aux effets sémantiques des relations de discours une formalisation de leur dimension rhétorique. Dans les approches formelles du dialogue et de l’argumentation, l’engagement (commitment) désigne l’attitude du locuteur qui produit une assertion, qui consiste à être prêt à défendre ou soutenir un contenu propo- sitionnel (Hamblin, 1970). Le commitment est de ce point de vue défini comme un lien un agent et un énoncé. Les notions de commitment et de croyance diffèrent par le fait que la croyance désigne un lien entre un agent et un contenu. Toujours dans le cadre de l’analyse de la conversation et du dialogue, Clark (1996) définit la notion de fonds commun, qui peut être rapprochée de la notion de commitment, et qui recouvre le fonds commun général (éta- bli par le contexte extra-linguistique) et le fonds commun conversationnel (établi au cours de la conversation).

L’hypothèse de l’engagement du locuteur sur les effets sémantiques d’une relation de discours rejoint l’idée avancée par Danlos & Rambow (2011) selon laquelle la représentation du discours doit prendre en compte la source des relations de discours. L’avantage de l’approche de Danlos & Rambow est de prendre en considération le fait que dans un discours, les relations peuvent être prises en charge par un agent différent de l’auteur, et également que l’agent peut être engagé à différents degrés vis-à-vis d’un contenu.

Pour résumer, les relations de discours et les liens sémantiques entre éventualités se dis- tinguent par le fait que les relations de discours participent à l’emballage de l’information et à la structuration du discours, et par le fait qu’elles impliquent une certaine attitude de l’auteur ou du locuteur vis-à-vis des liens sémantiques auxquelles elles sont associées. Dans les règles que nous proposons de définir pour construire une algèbre des relations de discours, les déductions peuvent être des relations de discours ou uniquement des liens sémantiques. Néanmoins, nous verrons au chapitre 5 (section 5.3, page 140) que d’un point de vue métho- dologique, distinguer les relations de discours de leurs effets sémantiques principaux n’est pas toujours évident.

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