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Les marques de cohésion

Dans le document Vers une algèbre des relations de discours (Page 79-83)

2.2 Les relations de discours

3.1.1 Les marques de cohésion

La cohésion d’un discours écrit ou oral provient d’un ensemble d’éléments linguistiques qui aident son lecteur ou son allocutaire à le comprendre et le percevoir comme un tout (Dooley & Levinsohn, 2001). Selon Halliday & Hasan (1976), ces éléments linguistiques permettent de marquer un ensemble de « dépendances » dans un texte, et introduisent la notion de texture, sans laquelle un texte ne serait qu’un ensemble de phrases sans lien les unes avec les autres. La cohésion contribue donc à la cohérence du discours, les marques de cohésion guidant le lecteur dans la représentation mentale de la structure du discours et de l’établissement des relations de discours.

Halliday & Hasan (1976); Brown & Yule (1983) ont décrit un certain nombre de marques de cohésion, parmi lesquelles on trouve la référence, l’ellipse (causale, verbale, nominale), et la substitution. Les connecteurs de discours (appelés « conjonctions » par Halliday & Hasan), que nous avons brièvement introduits au chapitre 1, constituent également une source de cohésion. Halliday & Hasan les regroupent en quatre classes : les connecteurs additifs, les connecteurs causaux, les connecteurs adversatifs et les connecteurs temporels. Il existe éga- lement différentes marques de cohésion lexicale, comme les relations lexicales de synonymie, d’antonymie, de méronymie, d’hyperonymie, etc. D’autres éléments linguistiques, comme les temps verbaux, peuvent assurer une certaine continuité dans le discours et ainsi constituer des marques de cohésion.

Les éléments linguistiques qui constituent des marques de cohésion contribuent à la cohé- rence du discours, en signalant son organisation et son interprétation. À l’exception des connecteurs de discours, ces éléments ne permettent pas tous de signaler la présence de relations de discours spécifiques. Néanmoins, tout en ayant des fonctions diverses, certains d’entre eux guident, en fonction du contexte, l’interprétation vers l’établissement d’une relation de discours ou une autre, et c’est ce que nous mettons en évidence dans cette section.

On peut identifier au moins quatre « fonctions discursives » remplies par les différentes marques de cohésion — ces fonctions n’étant pas nécessairement exclusives les unes des autres.

(i) Une de ces fonctions est d’assurer une continuité thématique dans le discours. Les éléments qui remplissent cette fonction vont globalement contribuer à ce que le discours soit perçu comme un tout, notamment par la référence à des entités communes dans différentes unités du discours.

(ii) Une deuxième fonction est d’introduire un nouveau thème dans un discours, et de marquer ainsi une discontinuité thématique. Les éléments qui remplissent cette fonction participent au marquage de la segmentation du discours en unités.

(iv) Certaines marques de cohésion possèdent une fonction essentiellement organisation- nelle, qui est de signaler une organisation discursive locale. Cette organisation locale est plus complexe qu’un lien entre deux unités. Elle comprend généralement des liens hiérarchiques moins spécifiques qu’une relation de discours donnée, vers l’arrière (ce qui précède la marque) et vers l’avant (ce qui suit l’unité dans laquelle apparaît la marque).

(iii) Une quatrième fonction est de signaler un lien entre deux unités de discours, plus spé- cifique qu’un lien uniquement hiérarchique. Ce lien peut être une relation de discours, ou un lien essentiellement sémantique.

3.1.1.1 Continuité thématique

Le thème (ou topique) d’une unité de discours, c’est « ce dont on parle » dans l’unité de discours en question. Dans le discours, les indices de continuité thématique ont donc pour fonction de signaler la présence d’un thème commun, plus ou moins spécifique, entre certaines des unités discursives présentes. Cette fonction est notamment occupée par les éléments indiquant une coréférence entre des expressions, qui peuvent être des anaphores pronominales, des anaphores associatives — exprimées par exemple par des hyponymies —, des répétitions, etc. Ces éléments assurent une certaine continuité thématique, en établissant des liens entre des entités appartenant à différentes unités discursives. Ils peuvent signaler que plusieurs unités élémentaires appartiennent à une même unité complexe.

Par exemple, dans le discours en (116), la continuité thématique entre les unités en (116a) et (116b) — dont le thème commun peut être glosé par les activités de Marie ce matin — est notamment signalée par le pronom elle. De même, la continuité thématique entre les unités en (116c) et (116d) — dont le thème commun peut être glosé par les activités de Pierre ce matin — est signalée par le pronom il. La continuité thématique de l’ensemble du discours — dont le thème peut être glosé par les activités de Marie et Pierre ce matin — est notamment assurée par les temps verbaux présents dans les unités qui le constituent. Dans

ce discours, on identifie trois unités complexes, correspondant aux trois thèmes que nous avons mentionné : une unité complexe qui recouvre les unités en (116a–116b), une autre qui recouvre les unités en (116c–116d), et une unité qui recouvre les unités (116a–116d).

(116) a. Ce matin, Marie a cueilli des fraises. b. Ensuite, elle est allée ranger le bois.

c. Pierre, lui, a planté quelques tomates, d. puis il a commencé à repeindre les volets.

Cette fonction d’assurer la continuité thématique illustre donc les liens étroits entre relations anaphoriques et structure discursive, qui ont été notamment mis en évidence par Polanyi & van den Berg (1999) et Asher & Lascarides (2003). C’est pourquoi certaines théories, comme la SDRT, cherchent à rendre compte de l’accessibilité des référents à travers la représentation de la structure du discours (voir section 2.1.2.5).

Les temps verbaux permettent non seulement de signaler une certaine continuité dans le discours, mais peuvent aussi guider l’interprétation vers l’établissement d’une relation de discours ou une autre. Observons par exemple le discours en (117). Dans le cas où l’unité de discours en (117a) est suivie de l’unité de discours en (117b-i), les verbes présents dans les deux unités sont au passé simple. On construit une interprétation qui met en jeu une succession temporelle. En termes de relations de discours, on infère la relation Narration. En revanche, dans le cas où l’unité de discours en (117a) est suivie de l’unité de discours en (117b-ii), on construit une interprétation qui met en jeu une précédence temporelle : on infère que Marie a ôté son manteau avant d’ouvrir la porte. En termes de relations de discours, cette interprétation correspond à l’établissement de la relation Flashback. Cette différence d’interprétation est liée au temps du verbe ôter — passé simple en (117b-i) et plus-que-parfait en (117b-ii).

(117) a. Marie ouvrit la porte. b. i. Elle ôta son manteau.

ii. Elle avait ôté son manteau.

Bien évidemment, les temps verbaux guident l’interprétation du discours, mais interagissent avec d’autres informations, comme les connecteurs de discours, et les informations liées à la connaissance du monde. Par exemple, l’emploi du même temps verbal dans deux uni- tés successives d’un même discours ne mène pas automatiquement à l’interprétation d’une succession temporelle, comme on l’observe dans le discours en (118).

(118) a. Fred est tombé. b. Max l’a poussé.

3.1.1.2 Discontinuité thématique

Certains éléments ont pour fonction d’introduire de nouveaux thèmes dans un discours. Ces marqueurs de changement thématique constituent des topiques explicites et peuvent constituer des unités de discours (Vieu et al., 2005, 2006). Ces éléments se situent généra- lement dans des constituants détachés en tête de phrase (ou topicalisés), parmi lesquels on

trouve des expressions référentielles et des adverbiaux de localisation (temporelle ou spa- tiale). Les expressions référentielles constituant des thèmes explicites, que Charolles (1997) appelle champs thématiques, peuvent notamment être introduites par des locutions préposi- tionnelles comme concernant, en ce qui concerne, à propos de, ou quant à. Par exemple, dans le discours en (119), quant à introduit en (119c) le champ thématique Pierre, qui marque un changement de thème : on a parlé des activités de Marie, et l’on va parler des activités de Pierre.

(119) a. Ce matin, Marie a cueilli des fraises. b. Ensuite, elle est allée ranger le bois.

c. Quant à Pierre, il a planté quelques tomates, d. puis il a commencé à repeindre les volets.

Comme nous l’avons dit, les changements de thème peuvent également être marqués par des éléments introduisant des cadres de discours, qui « intègrent une ou plusieurs propositions en fonction de critères qui sont spécifiés par les expressions les introduisant » (Charolles, 1997, 2005). Ces expressions sont généralement des adverbes ou des groupes adverbiaux, dont la portée peut s’étendre au-delà de leur phrase d’accueil. Certaines de ces expressions peuvent introduire un cadre temporel, comme en 1250, à trois heures, le 10 septembre 1980 ou ce matin (119). Par exemple, en (119), l’adverbial ce matin, introduit un cadre temporel pour toutes les unités du discours. D’autres expressions introduisent un cadre spatial, comme en Allemagne ou dans les Pyrénées.

Comme le souligne Charolles (1997), les cadres de discours « contribuent à subdiviser et répartir les informations apportées par le discours au fur et à mesure de son développe- ment ». Les marques de discontinuité thématique peuvent donc également être considérées comme des marques de la segmentation du discours en unités. Certaines études empiriques comme celle de Bestgen & Piérard (2006) cherchent d’ailleurs à montrer que les marques de discontinuité thématique en général peuvent aider à l’identification automatique de la segmentation du discours.

3.1.1.3 Structuration locale

Certains éléments ont une fonction essentiellement organisationnelle, qui consiste à contraindre localement la structure discursive, en signalant notamment des liens hiérar- chiques entre unités. De par les liens hiérarchiques qu’ils signalent, ils restreignent loca- lement les relations de discours pouvant s’établir entre les unités discursives — voir Bras et al. (2008) pour ce qui concerne les structures énumératives —, mais leur fonction n’est pas de signaler une relation de discours donnée. Ces éléments sont appelés structurateurs dans la classification de Bras (2008). Ils ont pour fonction d’introduire une structure discursive partielle et sous-spécifiée. Dans cette classe, on trouve des éléments intervenant dans des structures énumératives, comme premièrement et deuxièmement ou d’une part et d’autre part.

Les adverbes d’abord et ensuite entrent également dans cette classe. Selon (Bras & Le Draou- lec, 2009), l’adverbe d’abord réalise un double attachement discursif. D’une part, il a pour fonction d’introduire le premier élément d’une élaboration ou de l’explication : il exprime donc un lien entre l’énoncé qu’il introduit et ce qui le précède. D’autre part, il indique que

d’autres éléments interviendront dans l’élaboration ou l’explication, et que ces éléments sui- vront l’élément qu’il introduit. Par exemple, dans le discours en (120), d’abord introduit un énoncé qui constitue une explication partielle de l’énoncé en (120a), et requiert que l’expli- cation soit poursuivie dans d’autres énoncés. L’adverbe ensuite relie lui deux énoncés au sein d’une énumération ou d’une narration.

(120) a. Cette année, Marie ne part pas en vacances. (α) b. D’abord, elle n’a pas beaucoup d’argent. (β)

c. Ensuite, elle n’a personne avec qui partir. (γ)

3.1.1.4 Connexion

Parmi les éléments effectuant une connexion entre unités discursives (ou entre les éventua- lités décrites dans des unités discursives), on peut distinguer des éléments appartenant à deux classes distinctes (Bras, 2008).

– Les premiers appartiennent à la classe des localisateurs (temporels ou spatiaux), dont font également partie les introducteurs de cadres présentés précédemment. Ces élé- ments établissent des liens temporels et spatiaux entre les éventualités décrites dans un discours : ils les localisent temporellement ou spatialement les unes par rapport aux autres. Ces marques sont généralement des adverbiaux : par exemple, deux heures plus tard, ou le jour suivant relient temporellement une éventualité à une autre. Des éléments comme quelques mètres plus loin relient spatialement une éventualité à une autre.

– Les marques de cohésion qui ont pour rôle principal d’établir une relation de discours sont appelées connecteurs de discours. Ces marques sont décrites plus en détail à la section suivante, dans laquelle nous verrons pourquoi les connecteurs sont distingués des localisateurs.

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