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Fonctions et propriétés des connecteurs

Dans le document Vers une algèbre des relations de discours (Page 86-88)

2.2 Les relations de discours

3.1.2 Les connecteurs de discours

3.1.2.2 Fonctions et propriétés des connecteurs

Dans cette section, nous donnons une définition des connecteurs en présentant leurs fonctions principales, et en décrivant certaines de leurs propriétés, tirées de diverses études sur ces éléments.

Les connecteurs sont considérés comme des prédicats à deux arguments (Jayez & Rossari, 1998; Webber et al., 2003). Jayez & Rossari (1998) les définissent comme des marqueurs dis- cursifs particuliers, imposant une connexion sémantique entre propositions, et fonctionnant comme des prédicats dont les arguments sont de différents types (les connecteurs peuvent opérer au niveau sémantique ou au niveau pragmatique). De par ce statut de prédicats, on peut les définir comme des lexicalisations des relations de discours, ce que Knott (1996) exprime ainsi :

la preuve qu’une relation est bien utilisée par les locuteurs d’une langue peut être obtenue en observant la langue elle-même4

.

Adoptant ce point de vue, il motive la définition d’un ensemble de relations de discours en s’appuyant sur leurs réalisations linguistiques — les connecteurs de discours ou cue phrases — et les contextes dans lesquels ils peuvent apparaître (voir section 3.2.1.1). Pour Wilson & Sperber (1990, 1993), les connecteurs ont pour fonction de réduire l’effort de traitement effectué par celui qui reçoit le discours, ce qu’ils illustrent notamment par les discours en (1) présentés au chapitre 1 et repris ici en (135). Les connecteurs en (135b) et en (135c) permettent chacun de sélectionner une des deux interprétations possibles du discours en (135a). En ce sens, les connecteurs peuvent être vus comme des désambiguïsateurs.

(135) Pierre n’est pas stupide.

a. Il peut rentrer à la maison tout seul. b. Donc il peut rentrer à la maison tout seul.

3. Les cas où plusieurs connecteurs se partagent la même clause hôte sont appelés multiple discourse connectives par Webber (1999).

4. Traduit de (Knott, 1996) : Evidence that a relation is actually used by speakers of a language can be obtained by looking at the language itself.

c. Après tout, il peut rentrer à la maison tout seul.

Outre ce rôle de désambiguïsation, les connecteurs ont pour caractéristique de pouvoir forcer, modifier l’interprétation d’un discours. En ce sens, ils ont la capacité de manipuler le contenu sémantique des énoncés qu’ils connectent. Les discours en (135) illustrent cette capacité. C’est également le cas pour les discours en (136) : les discours en (136a) et (136b) forcent des interprétations dans lesquels les liens causaux sont « inverses ». Dans le discours en (136c), on infère que la promotion de Pierre aurait pu entraîner la non démission de Max. Dans le discours en (136d), les éventualités décrites sont présentées comme n’étant pas causalement reliées5

: elles sont reliées par une succession temporelle.

(136) Max a démissionné,

a. parce que Pierre a été promu. b. du coup Pierre a été promu.

c. même si Pierre a été promu. d. puis Pierre a été promu.

Les connecteurs peuvent également forcer la cohérence : dans certains cas, la présence d’un connecteur donné permet d’attribuer une interprétation à un discours, qui, sans le connec- teur, serait incohérent. Les connecteurs comme à propos, à ce propos et au fait, forcent ou permettent ainsi la cohérence du discours. Ces connecteurs, étudiés par Beaulieu-Masson (2002), sont spécialisés dans le « parasitage » du discours. Ils introduisent un changement de thème discursif, et « suggèrent une cohérence du discours là où il n’y en avait a priori pas », comme dans le discours en (137)6

.

(137) a. Boris, je prends des gouttes pour stimuler mon appétit, mais les résultats sont lents, très lents.

b. À propos, vers quel moment crois-tu que tu pourras venir ? Mai, juin, juillet ?

Cette capacité de forcer la cohérence n’est cependant pas réservée aux « parasiteurs » comme à propos. Par exemple, dans le discours en (138a), la présence de ceci dit explicite une relation de discours — une violation d’attente — qui permet de percevoir le discours comme cohérent, ce qui n’est pas le cas sans connecteur, comme l’illustre l’incohérence du discours en (138b).

(138) Ce serait vraiment utile pour nous d’aller à cette réunion. a. Ceci dit, on peut s’en passer.

b. # On peut s’en passer.

Plusieurs études, comme celles de Molinier (2003); Cojocariu & Rossari (2008); Nakamura (2009) cherchent à montrer que le rôle de connecteur est acquis par certains éléments à l’issue d’un processus de grammaticalisation. Ces études portent sur des adverbiaux comme à ce propos et la preuve, construits sur des noms prédicatifs. Pour ces éléments, il semble

5. Sur ce point, Bras et al. (2001b); Bras & Le Draoulec (2006) décrivent une fonction supplémentaire de certains connecteurs : celle de bloquer l’établissement de certaines relations de discours. Le connecteur puis notamment peut bloquer l’inférence d’un résultat dans certains contextes discursifs.

que l’émergence d’un rôle discursif soit corrélé à un figement. Par exemple, pour la preuve et à ce propos dans leurs emplois en tant que connecteurs, le déterminant et le nombre des noms présents sont invariables (# les preuves, # à ces propos).

Comme nous l’avons dit, les connecteurs manipulent le contenu propositionnel de leurs arguments. Ils ne sont donc pas intégrés à ce contenu propositionnel, ce qui se manifeste notamment par le fait qu’ils ne peuvent être clivés. Sur ce point, nous adoptons l’approche de Bras (2008), qui distingue les connecteurs des localisateurs temporels ou spatiaux, qui sont eux intégrés au contenu des propositions dans lesquels ils apparaissent. Nous les distinguons ainsi des expressions référentielles et donc des expressions anaphoriques. Illustrons cette distinction par les emplois de l’adverbial à ce moment-là dans les discours en (139a) et (140a). En (139a), l’adverbial est intégré au contenu propositionnel, comme on l’observe par la possibilité de clivage en (139b). Dans cet emploi, nous considérons à ce moment là comme un localisateur temporel : c’est une expression référentielle. En revanche, en (140a), l’adverbial a un rôle de connecteur : il n’est pas intégré au contenu propositionnel comme l’atteste l’impossibilité du clivage en (140b).

(139) Il a commencé à pleuvoir.

a. À ce moment là, Marie est arrivée.

b. C’est à ce moment là que Marie est arrivée. (140) Tu as l’air de penser qu’elle n’est pas honnête.

a. À ce moment là, ne lui raconte rien.

b. # C’est à ce moment là que ne lui raconte rien.

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