• Aucun résultat trouvé

Rejet des qualifications englobantes

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 35-38)

55. Il existe plusieurs façons de répondre aux questionnements soulevés par la mise à disposition par une « solution globale ».

56. La première consiste à considérer que le terme de mise à disposition est un terme du langage courant arrivé « par erreur » au sein du vocabulaire juridique et que la récurrence de son emploi ne résulte que d’une série d’approximations. S’il est vrai que les imprécisions se multiplient avec l’inflation législative, cette seule raison ne suffit pas à expliquer une telle omniprésence du terme dans le corpus législatif. Par ailleurs, quand bien même l’introduction de la mise à disposition dans la pratique juridique s’est très probablement faite assez involontairement et par facilité de langage, l’importance que la mise à disposition a prise au fil des années interdit de reléguer ce terme hors du champ juridique, ne serait-ce que pour garantir une certaine sécurité pour les justiciables. En effet, beaucoup d’articles de lois usent de cette locution de manière centrale103 et nombre d’acteurs concluent des « conventions de mise à disposition ». Z. ZIEMBINSKI104 distingue le langage du droit – constitué essentiellement par le contenu des dispositions légales – et le langage juridique – qui regroupe les termes utilisés par les acteurs du droit (notamment les juges et la doctrine). La locution « mise à disposition » est employée de la même manière dans l’un et dans l’autre. Laisser ce terme sans définition ne permet donc pas de garantir une application correcte et uniforme des dispositions légales et soumet les justiciables aux aléas d’une interprétation judiciaire a posteriori de leurs conventions.

57. En outre, les termes du vocabulaire juridique qui sont issus du langage courant, telle la remise, sont courants, voire majoritaires. Il y a quarante ans, Monsieur VISSERT

HOOFT écrivait : « le langage du droit est un usage spécialisé du langage ordinaire : sa spécialisation (…) se fonde tout simplement sur une spécialité de « sens » : le sens de ce

103 Parmi les milliers d’articles concernés, peuvent être cités les articles 1369-1, 1843-3 et 1872 du Code civil, L330-3 du Code de commerce, L5111-1-1 du Code général des collectivités territoriales et L313-1 du Code monétaire et financier, dans lesquels l’appréhension de la mise à disposition occupe une place fondamentale dans la compréhension de l’article.

104 Zygmunt ZIEMBINSKI, « Le langage du droit et le langage juridique : Les critères de leur discernement », Archives de Philosophie de droit - Le langage du droit, 1974, n° 19, p. 25.

que veut le droit »105. C’est tout à fait ce dont il s’agit en matière de mise à disposition. En effet, le terme « mise à disposition », comme une grande partie du vocabulaire juridique, est une expression du langage courant. Cependant, le droit en tant que langage spécial (ou spécialisé) lui accorde un sens particulier qui peut différer, pour tout ou partie, du langage commun. Ce, d’autant plus que le langage du droit et le langage juridique sont des idiomes qui nécessitent une grande précision des mots qui les constituent, car, du terme choisi, dépend souvent le régime applicable. Le sens de la locution « mise à disposition » ne peut donc rester méconnu sans mettre à mal les principes de clarté et de sécurité du droit. La possibilité de voir en la mise à disposition un terme non juridique, ne nécessitant donc pas de définition juridique, étant écartée, deux autres pistes sont envisageables.

58. La deuxième piste serait de voir la mise à disposition comme un terme générique, englobant toutes les occurrences du terme de manière large, comme une catégorie d’actes ou d’obligations. C’est l’option qui semble implicitement adoptée dans certains articles, notamment l’article L330-3 du Code de commerce qui dispose que « Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause » ou l’article L213-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose : « L'autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l'article L. 214-1 ». Cependant, l’inconvénient d’un terme trop extensif est qu’il n’apporte justement pas la précision recherchée en matière juridique. Une définition trop ample amène à une dénomination qui désigne « tout et n’importe quoi », c’est-à-dire qu’en perdant en spécificité, le terme perd en signification – le signifiant n’a plus de réel signifié. Or, ce résultat est à l’opposé du but de ce que la rigueur juridique commande et

105 Hendrik Philip VISSER'T HOOFT, « La philosophie du langage ordinaire et le droit », Archives de

laisse le droit positif dans la confusion qu’il connaît aujourd’hui en la matière. Cette analyse rejoint, voire recoupe, celle menée à propos du standard juridique.

59. La troisième piste consiste à voir la mise à disposition comme un type de convention particulier, une sorte de contrat sui generis. Cette autre hypothèse permet une précision plus grande que la précédente et correspond à certaines occurrences dans lesquelles la mise à disposition a une existence par opposition à des contrats nommés ou des opérations juridiquement mieux définies106. Cependant, cantonner la mise à disposition à une seule de ses manifestations relèverait d’un choix purement discrétionnaire, dépourvu de toute justification juridique. L’identification de la mise à disposition comme étant seulement un contrat sui generis, distinct de tous les contrats nommés déjà existants reviendrait à rejeter la grande majorité des occurrences actuelles de la mise à disposition (toutes les fois où un louage ou un prêt est qualifié de mise à disposition, entre autres exemples), en les réputant fausses sans qu’il existe un critère permettant de déterminer pourquoi le terme de mise à disposition serait justifié pour tel contrat sui generis et à exclure lorsqu’il recoupe une qualification de contrat nommé. S’il est séduisant de chercher à « découvrir », à travers la mise à disposition, un nouveau contrat autonome, ce choix serait dépourvu de toute argumentation rationnelle.

60. Le raisonnement est similaire si l’on cherche à réduire la mise à disposition à un unique contrat nommé (bail OU prêt OU vente, par exemple), car il n’existe aucun critère permettant de justifier un tel choix (par exemple, rien n’indique qu’une mise à disposition est nécessairement à titre onéreux, ou implique obligatoirement une restitution).

61. Devant l’insuffisance des qualifications connues, l’étude de la mise à disposition amène ainsi à rechercher plutôt, à travers toutes ses occurrences, leur point commun, afin d’essayer d’en dégager l’essence de la notion. Or, il s’avère que dans une très grande majorité des cas, la mise à disposition constitue en réalité une autorisation d’utilisation.

106 Notamment dans le Code de la propriété intellectuelle qui utilise à plusieurs reprises la formule « utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public » (Article L336-3, i. a.).

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 35-38)

Documents relatifs