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L’autorisation d’utilisation dans le contrat de louage

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 39-45)

SECTION 2 Une qualification alternative : la licence d’utilisation

I) L’autorisation d’utilisation dans le contrat de louage

67. L’article 1708 du Code civil distingue le louage des choses du louage d’ouvrage. Le louage d’ouvrage recouvre à la fois le contrat de travail et le contrat d’entreprise. Le louage des choses est, lui, défini à l’article 1709 du Code civil comme « un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer ». Cette forme de louage est subdivisée au sein du Code civil en un bail de droit commun, un bail à loyer et un bail à ferme, mais cette classification ancienne ne rend pas compte de la réalité contemporaine qui comprend aujourd’hui, entre autres, le bail d’habitation, le bail

108 Quant à savoir si certaines conditions sont systématiques (i. e. impérativement liées à toute mise à disposition), V. infra Titre II, Chapitres 1 et 2. Pour ce qui est de la « face cachée » de certaines mises à disposition, c’est-à-dire de l’utilisation détournée de la mise à disposition ou de l’étendue implicite de certaines conditions, V. paragraphe suivant.

commercial, le bail rural ou encore le bail professionnel. Les formes du louage sont donc très diverses.

68. Classiquement, on retient trois éléments caractéristiques pour le louage des choses ou bail, éléments issus de la définition posée à l’article 1709 du Code civil : la jouissance, la durée et le prix. Le prix constitue un critère de distinction entre le contrat de bail et le contrat de prêt, le commodat étant à titre gratuit, le bail étant à titre onéreux. La nature du prix est également un critère de distinction entre le bail et l’apport en jouissance au profit d’une société, dans lequel la contrepartie n’est pas monétaire, mais peut être constituée de titres sociaux, les deux régimes étant, du reste, fort proches109.

69. La durée constitue, elle aussi, un élément fondamental du contrat de bail. En effet, si la jouissance était consentie au preneur de façon définitive, il ne s’agirait plus d’un louage, mais plutôt d’une vente ou d’un usufruit. Pour le professeur A. BENABENT, « ce qui caractérise le bail, ce n’est pas la longueur du temps convenu, mais la sécurité de ce temps »110. Effectivement, c’est ce qui distingue le bail de la convention d’occupation précaire. Le bail peut être d’une durée inférieure à celle qu’aura duré, in fine, une convention d’occupation précaire, le preneur aura, quoi qu’il en soit, bénéficié d’une garantie de jouissance paisible pendant toute la durée du bail, assurance que n’aura pas eue l’occupant précaire. Cette durée est, en quelque sorte, un minimum et un maximum. Le bail est conclu « pour un certain temps », ce qui signifie que, sauf cas particulier, il ne prendra pas fin du jour au lendemain, mais cela signifie aussi que, même si la date exacte de la fin du contrat n’est pas connue, il est clair pour les parties que la jouissance du bien sera, à un moment ou à un autre, retrouvée par le bailleur (ou ses ayants droit dans le cas où il décéderait avant la fin du bail !). Cependant, ce caractère « non définitif » du bail est parfois mis à mal dans certains cas particuliers, en raison de la nature des biens confiés. En effet, lorsque les biens, objets du contrat, sont des biens frugifères, la frontière entre bail et cession est ténue. En matière agricole, le législateur a posé une présomption simple de bail rural, mais les parties peuvent apporter la preuve inverse, requalifiant ainsi le contrat de cession de fruits. Lorsque des animaux sont mis en

109 Toutefois, l’apport en société induit un rapport contractuel avec un tiers, il fait donc l’objet de développements dans le paragraphe suivant.

pension sur un terrain, la qualification oscille entre un bail de la terre (dans le cas il revient au preneur de prendre soin des animaux qui ne profitent alors que du pâturage) ou un contrat de service (dans le cas où les animaux sont entretenus par le propriétaire du terrain)111. Enfin, dans le cas de certains contrats d’amodiation112, comme la concession de carrière, l’épuisement du bien du fait de son utilisation amène la jurisprudence à rejeter la qualification de louage.

70. Quant à la jouissance du bien accordée au preneur, elle constitue à la fois le droit principal et l’objet du contrat. Ce caractère central se retrouve à travers les écrits de nombre d’auteurs, comme les professeurs P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD qui qualifient la jouissance d’« âme du bail »113, le professeur A. BENABENT pour qui elle est l’« obligation générique »114 ou encore le professeur P. PUIG qui écrit que la jouissance du bien est l’« objectif vers lequel convergent les autres obligations »115 (en l’occurrence les obligations de délivrance, d’entretien et de garantie).

71. Ce terme de « jouissance » s’apparente tout à fait à la notion d’utilisation116, puisqu’il s’agit, pour le preneur, de « jouir des utilités du bien », ce qui est redondant. La mise à disposition par le bail induit donc bien une autorisation d’utilisation, délivrée par le bailleur au profit du preneur.

72. Au-delà de la question de la nature du droit accordé au preneur à bail, la démarcation entre le bail et d’autres contrats voisins n’est pas nette. Ainsi, certaines conventions, comme le contrat de stationnement ou le contrat de coffre-fort, peuvent être

111 V. sur ce point : Pascal PUIG, Contrats spéciaux, 4ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 510 p., op. cit.

112 V. supra : Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §1 : Exclusion de la vente.

113 Paul-Henri ANTONMATTÉI et Jacques RAYNARD, Droit civil, Contrats spéciaux, 7ème éd., LexisNexis, 2013.

114 Alain BÉNABENT, Contrats spéciaux, civils et commerciaux, 9ème éd., Montchrestien, 2011, op. cit.

115 Pascal PUIG, Contrats spéciaux, 4ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 510 p.

116 Cependant, de nombreux auteurs considèrent le bail comme une figure de l’obligation de praestare, reprenant ainsi expressément l’analyse du professeur G. PIGNARRE (Geneviève PIGNARRE, « A la redécouverte de l'obligation de praestare, Pour une relecture de quelques articles du code civil », RTD Civ., 2001, p. 41). Comme cela a été démontré (V. supra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, §2, III), l’assimilation de l’obligation de

praestare à une mise à disposition est historiquement erronée, car le sens historique de l’obligation de praestare,

qui signifie « garantir », est en fait plus proche de l’obligation de couverture (N. KANAYAMA, «De l'obligation de "couverture" à la prestation de "garantir" : donner, faire, ne pas faire... et garantir ?», in Mélanges Christian

Mouly, Paris : Litec, 1998, 2 vols., p. 375), « découverte » par Ch. MOULY (C. MOULY, Les causes d'extinction

du cautionnement, Librairies techniques, 1979, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier : 1977], 721 p), que de

l’obligation de mise à disposition. Pour cette raison, le droit de jouissance contenue dans le contrat de bail ne peut coïncider avec l’obligation de praestare.

alternativement qualifiées de louage ou de dépôt117. Plus largement, c’est la séparation entre bail et contrat d’entreprise est délicate à percevoir. Ceci n’est pas sans rappeler que les deux notions relèvent de la catégorie du louage, louage des choses pour l’un, louage d’ouvrage pour l’autre. Dans les contrats de spectacle ou d’hôtellerie, par exemple, la mise à disposition d’un bien peut participer à la réalisation du service commandé118. La qualification est alors fonction du « dosage » entre la mise à disposition du bien et les autres services, afin de déterminer si ce sont les services qui complètent la mise à disposition ou si c’est la mise à disposition qui complète les services, basculant ainsi d’un contrat de bail à un contrat d’entreprise. Le critère de l’autonomie est également fréquemment invoqué – le louage étant retenu lorsque le bénéficiaire a le plein contrôle du bien : l’exemple le plus souvent cité est celui de la mise à disposition d’un véhicule avec chauffeur, qui est un louage si le bénéficiaire décide du trajet sur le moment, mais qui est un contrat de prestation de service si le trajet est convenu par avance avec le prestataire.

73. Quoi qu’il en soit, dans tous ces contrats, il s’agit bien pour le disposant d’autoriser le bénéficiaire à utiliser la chose mise à disposition : le véhicule, la place de stationnement, le siège de la salle de spectacle ou le coffre-fort, pour reprendre les précédents exemples. L’hypothèse de la mise à disposition comme procédant à une autorisation d’utilisation se vérifie donc également pour ces contrats.

74. L’analogie avec la location-vente, qui n’est autre qu’un bail couplé à une promesse unilatérale de vente, et avec le crédit-bail, qui est une combinaison complexe d’une promesse de vente, d’un mandat, d’une vente avec stipulation pour autrui et d’un bail dans une relation tripartite, vaut également s’agissant de mise à disposition. En effet, dans ces différents contrats, le disposant autorise le bénéficiaire à utiliser le bien sous certaines conditions. Il y a donc bien une mise à disposition - licence d’utilisation.

75. Détenir la propriété du bien n’est pas une condition préalable pour que le disposant puisse le mettre à disposition du bénéficiaire119. Selon les stipulations prévues

117 V. supra, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §2.

118 Pour ces différents contrats, V. Paragraphe suivant.

par les parties, il est possible que le bien mis à disposition fasse l’objet d’une seconde mise à disposition, au bénéfice d’un tiers choisi, là aussi, par le bénéficiaire de la mise à disposition initiale. Il s’agit de l’hypothèse d’une sous-location. La sous-location est encadrée et souvent soumise à l’accord écrit du bailleur initial, notamment quant au prix de la sous-location, en matière de bail d’habitation120, voire nécessite la participation du bailleur en matière de bail commercial121. Toutefois, il n’en demeure pas moins que, une fois ces conditions remplies, le preneur, donc le bénéficiaire de la première mise à disposition, autorise à son tour le tiers qui entrera dans la relation contractuelle – sous-locataire –à utiliser le bien sous-loué122.

76. Il existe plusieurs contrats, proches du louage, dont l’objet principal est également d’accorder au bénéficiaire une licence d’utilisation. Seuls certains points particuliers diffèrent, comme la nature de la chose objet du contrat ou les modalités de la jouissance.

77. La différence en termes de modalités de jouissance s’illustre, par exemple, par la convention d’occupation précaire123. Cette convention, issue de la pratique, est un contrat par lequel le disposant reconnaît au bénéficiaire un droit de jouissance précaire moyennant une rétribution modeste124. La validité de la convention d’occupation précaire n’est reconnue que dans le cas où la précarité est justifiée par des circonstances indépendantes de la seule volonté des parties et sous réserve que cette qualification n’ait pas été retenue dans le but de soustraire les parties à un régime légal impératif. Ces

120 Article 8 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986 : « Le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni

sous-louer le logement sauf avec l'accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer. Le prix du loyer au mètre carré de surface habitable des locaux sous-loués ne peut excéder celui payé par le locataire principal ».

121 Selon les termes de l’article L145-31 du Code de commerce, « toute sous-location totale ou partielle

est interdite, sauf stipulation contraire du bail ou accord du bailleur ; en cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l’acte ».

122 Bien que le sous-locataire ne contracte pas directement avec le bailleur (et inversement), un lien se crée entre eux, de par l’application de la loi. En effet, l’article 1753 du Code civil ouvre une action directe en paiement du bailleur contre le sous-locataire. Le disposant initial peut donc être amené à entretenir un rapport de droit avec un tiers choisi par le bénéficiaire de la première mise à disposition.

123 D’autres illustrations sont envisageables, notamment au travers de contrats innomés, mais leur analyse n’apporte rien de spécifique et leur portée est plus limitée.

124 V. i. a. : Cass. Civ. 3ème, 29 juin 1994, pourvoi n°92-18617, « Mais attendu qu'ayant (…)

souverainement retenu l'absence de fraude, en déduisant le caractère précaire des engagements des occupants tant du faible montant de la redevance que de la volonté du liquidateur judiciaire de conserver libre de tout bail commercial un immeuble qu'il avait mission de vendre au meilleur prix, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

circonstances sont évaluées au jour de la conclusion de la convention125. En effet, la convention d’occupation précaire est une déclinaison du bail, mais dont la durée est incertaine puisque le terme peut intervenir de manière subite. Les obligations des parties en sont quelque peu allégées, mais ceci n’enlève rien au fait qu’il s’agit bien là d’une autorisation donnée par le disposant au bénéficiaire d’utiliser le bien mis à disposition. Il y a donc bien une licence d’utilisation comme objet principal de la convention d’occupation précaire et cette dernière peut tout à fait exister de manière autonome, elle n’engendre la conclusion d’aucun autre contrat particulier.

78. Un autre exemple est celui de l’apport en société. En effet, l'apport en société est, soit une forme particulière de contrat de vente, soit, lorsque l'apport est en jouissance, une forme particulière de contrat de louage de chose. Dans ce dernier cas, l'apporteur reste propriétaire du bien apporté qu’il peut récupérer son bien à la dissolution de la société 126. Dans les deux cas, l’apporteur – disposant – autorise bien la société – bénéficiaire – à utiliser le bien apporté.

79. Le bail, tout comme les contrats qui en sont une déclinaison, illustre ainsi pleinement la théorie de l’autorisation d’utilisation, puisque le terme de « mise à disposition » au sein du bail désigne clairement une autorisation d’utilisation comme objet principal du contrat. Si les conditions qui l’entourent diffèrent, le lien qui relie louage et mise à disposition demeure identique à celui qui lie la mise à disposition au prêt : ils ont tous deux comme objet principal une licence d’utilisation.

125 V. i. a. : Cass. Civ. 3ème, du 29 avril 2009, pourvoi n°08-10506, « Qu'en statuant ainsi, par des motifs

impropres à caractériser, s'agissant d'un local d'habitation, l'existence au moment de la signature de la convention, de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une convention d'occupation précaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

126 V. notamment, à propos du droit de marque : Elisabeth TARDIEU-GUIGUES, « Exploitation du droit de marque : l'article L714-1 du code de la propriété intellectuelle », in JCl Marques - Dessins et modèles, Paris : LexisNexis, 2011, p. Fasc. 7400.

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