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La mise à disposition comme acte d’exécution

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 99-103)

Titre II I DENTIFICATION DES CARACTERISTIQUES DE LA MISE A DISPOSITION

I) La mise à disposition comme acte d’exécution

193. Une partie des occurrences du terme concerne une mise à disposition entendue comme une opération matérielle, c’est-à-dire un acte d’exécution. La construction et le sens des phrases employées en rendent compte. Ainsi, lorsque les magistrats de la Cour de cassation écrivent que « le contrat de bail stipulait la mise à disposition d’un réfrigérateur »224, évoquent « la liste des dossiers à mettre à la disposition des contrôleurs »225 ou rappellent qu’un centre équestre « mettra à la disposition de M. X un cheval »226, ils ne désignent pas un acte juridique, mais un simple acte matériel qui, dans la plupart des cas, constitue le moyen d’exécuter un acte juridique. Cette acception de la mise à disposition n’est pas propre au domaine juridique, mais relève du langage commun. Il s’agit là d’appréhender une réalité physique, sensible, factuelle.

194. La fonction de la mise à disposition est toujours de rendre possible l’utilisation du bien par une tierce personne. Cependant, la nature de la mise à disposition diffère selon qu’elle est une opération d’exécution ou une opération juridique, ne serait-ce qu’en termes de qualification et de règles applicables. Le contenu de la mise à disposition, entendue comme une opération d’exécution, varie selon le contexte, selon le bien, sa situation ou l’usage qui en est envisagé. Ainsi, lorsqu’une personne physique souhaite mettre son véhicule à disposition d’un tiers, l’action peut simplement consister à lui tendre les clefs, mais, selon la situation du véhicule mis à disposition, cela peut aussi s’accompagner de la transmission d’un code de démarrage, d’un badge de parking ou autre. En somme, la mise à disposition de la chose correspond à la réalisation d’un ensemble d’actions rendant effectivement possible son utilisation par le tiers. Elle constitue le procédé qui permet au tiers de disposer du bien – disposer, là encore au sens courant du terme, puisqu’il s’agit plus souvent d’actes d’administration que d’actes de disposition au sens juridique. La mise à disposition, dans son aspect corporel, est même susceptible de n’être qu’une abstention, si cette dernière est le moyen de permettre l’utilisation du bien par le tiers.

224 Civ. 3ème, 18 février 2014, pourvoi n°12-13271.

225 Civ. 2ème, 19 décembre 2013, pourvoi n°12-20144.

195. Ce mode de transfert n’est pas sans rappeler la traditio du droit romain. En effet, ce mécanisme, plus simple que la mancipatio, ne nécessite aucune forme particulière. Il ne provient pas en tant que tel du droit civil de la cité de Rome, mais du ius gentium. Il s’agit d’une pratique habituelle répandue entre les habitants des cités. La raison tient sans doute en ce que, étant un mécanisme dénué de formalisme, la traditio constitue le geste « naturel » de transmission d’un bien entre deux personnes. Toutefois, la traditio en droit romain n’est pas un élément entièrement matériel. En effet, elle est constituée de deux unités : un élément matériel, appelé traditio corporis et un élément moral, appelé iusta causa. Ce dernier est, en quelque sorte, le fondement juridique, la cause du transfert. La mise à disposition, en tant qu’opération d’exécution, s’assimile donc plutôt à la traditio corporis, c’est-à-dire à l’élément corporel de la traditio. Il s’agit de la transmission du corps de la chose objet du transfert. Cependant, déjà à l’époque romaine, le caractère strictement corporel de la transmission a connu des aménagements. Ainsi, à l’époque classique, afin de simplifier encore cette pratique, des traditions « feintes » ont été admises, c’est-à-dire des situations dans lesquelles, sans que les parties ne se remettent physiquement la chose, la traditio était réputée accomplie. Plusieurs déclinaisons ont été mises en lumière, notamment les cas de « longue main », qui permettait aux parties de se transmettre le bien en le désignant, et de « brève main », qui permettait à l’une des parties de modifier le titre de sa possession (par exemple, un locataire qui devient propriétaire). Au fil des années, la traditio est devenue réalisable par la seule transmission d’un élément de la chose, comme la clef d’une maison pour opérer le transfert de la chose entière – la maison, en l’occurrence. La traditio corporis se rapproche donc de la mise à disposition matérielle. Cela étant, elle s’en distingue par deux aspects. Tout d’abord, la traditio a un objectif davantage symbolique, tandis que la mise à disposition a une visée plus pratique. La traditio est une opération matérielle qui entraîne la création d’une opération juridique, alors que la mise à disposition est une opération matérielle effectuée la plupart du temps en exécution d’une opération juridique227. Ensuite, la mise à disposition matérielle ne couvre pas l’entier mécanisme de la traditio. En effet, la traditio est, à l’instar de la remise en droit français, la combinaison de deux étapes : dans un premier temps, le remettant se dépouille du bien et, dans un

227 Sauf, peut-être, dans le cas des contrats réels, qui se forment par la remise d’une chose, mais cette catégorie diminue fortement dans le droit positif.

second temps, le bénéficiaire enlève le bien228. Or, la mise à disposition, en tant qu’opération matérielle, ne correspond qu’à la première partie, puisque le fait que le tiers choisisse finalement d’utiliser ou non le bien mis à sa disposition importe peu. La mise à disposition matérielle n’implique qu’une action ou une abstention de la seule personne qui met le bien en question à disposition.

196. Le terme réellement adapté pour désigner la mise à disposition matérielle sans risque de confusion est celui de dessaisissement, qui correspond exactement à l’action physique qui constitue la mise à disposition – opération d’exécution. Dans cette acception de dessaisissement, la mise à disposition est à rapprocher de la locution « tenir à disposition » qui est employée dans le même sens par la jurisprudence, comme l’illustre l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 9 janvier 2014229 dans lequel l’action de « tenir le bien à disposition » est effectuée « dans l’attente de prise de l’objet », qui constitue clairement un enlèvement. On retrouve donc bien le diptyque dessaisissement-enlèvement, caractéristique de la remise.

197. La mise à disposition-dessaisissement apparaît également sous d’autres formes dans le cadre de l’exécution de contrats divers. Ainsi, la mise à disposition des fonds dans le cadre d’un prêt d’argent est une forme de dessaisissement. Cependant, celle-là est particulière dans la mesure où, dans la très grande majorité des cas, les fonds ne sont pas « liquides », mais inscrits en compte. Or, le moyen le plus évident pour un organisme financier de se dessaisir des fonds prêtés est de les inscrire sur le compte du bénéficiaire de la mise à disposition. Dans ce cas précis, le dessaisissement empiète sur l’enlèvement qui ne peut que se réduire à la volonté du bénéficiaire de prendre acte de la mise à disposition de ces fonds sur son compte.

198. Par ailleurs, la mise à disposition/dessaisissement apparaît d’une manière générale dans la formation des contrats de prêt, comme composante de la remise, voire dans la constitution d’un gage avec dépossession, qui s’apparente, en fait, à un gage avec

228 Johann LE BOURG, La remise de la chose : Essai d'analyse à partir du droit des contrats, [Th. doct. : Droit privé : Chambéry : 2010], 551 p..

dessaisissement, ainsi que dans l’exécution des contrats consensuels, notamment comme moyen matériel de réaliser l’obligation de délivrance et l’obligation de restitution230.

199. Le choix d’un terme précis, comme le dessaisissement plutôt que la mise à disposition, pour désigner une opération matérielle est important, d’une part, parce que l’opération matérielle est le siège de certaines opérations juridiques – dont elle constitue l’acte conclusif, comme dans les contrats réels, ou qu’elle exécute, comme dans la plupart des contrats –, d’autre part, parce que séparer les termes permet de ne pas confondre les réalités désignées : un même signifiant pour plusieurs signifiés est source d’une confusion malvenue dans le domaine juridique.

200. Monsieur J. LE BOURG affirme, en reprenant partiellement la définition du professeur C. REGNAUT-MOUTIER, qu’il est possible de cerner un « minimum irréductible » de la mise à disposition qui serait de « permettre au créancier d’exercer certaines prérogatives sur le bien qui en est l’objet »231. Selon lui, « la nature du pouvoir dont la mise à disposition permet l’acquisition est indifférente. Seul apparaît déterminant le fait de rendre possible l’obtention du pouvoir sur la chose »232. Cela rejoint notre proposition en ce que la mise à disposition-dessaisissement permet au bénéficiaire qui le désire de prendre un pouvoir de fait sur le bien, tandis que la mise à disposition, en tant qu’opération juridique, lui permet d’obtenir un pouvoir de droit sur l’objet mis à disposition. Comme le suggère le professeur P. PUIG, « la mise à disposition n’est pas tant la possibilité d’un transfert que le transfert d’une possibilité »233. Dans son aspect matériel, la mise à disposition est un dessaisissement qui offre la possibilité au bénéficiaire de se saisir physiquement du bien. De manière similaire, la mise à disposition, en tant qu’opération juridique, correspond également à ce transfert de possibilités, mais offre, évidemment, de grandes distinctions avec le dessaisissement.

230 Voir, par exemple, l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 20 mars 2014, pourvoi n°13-11084 qui assimile mise à disposition matérielle et restitution.

231 Corinne REGNAUT-MOUTIER, La notion d'apport en jouissance, LGDJ, 1994, [Th. doct. : Droit privé : Caen : 1992].

232 Johann LE BOURG, La remise de la chose : Essai d'analyse à partir du droit des contrats, [Th. doct. : Droit privé : Chambéry : 2010], 551 p., op. cit.

233 Pascal PUIG, La qualification du contrat d'entreprise, Paris : EPA, 2002, [Th. doct. : Droit privé : Paris II : 1999], 1041 p.

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 99-103)

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