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La mise à disposition, moyen d’influence sur le cocontractant

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 109-114)

Titre II I DENTIFICATION DES CARACTERISTIQUES DE LA MISE A DISPOSITION

I) La mise à disposition, moyen d’influence sur le cocontractant

214. L’autorisation d’utilisation accordée par la mise à disposition est rarement désintéressée et peut se révéler utile à l’une des parties pour exercer une pression sur son cocontractant ou simplement pour orienter le comportement de l’autre partie.

215. La mise à disposition, employée comme sûreté247, constitue un véritable moyen de pression, engageant le disposant à exécuter ses obligations contractuelles au profit du bénéficiaire. Dans d’autres hypothèses, la mise à disposition peut constituer un moyen d’incitation moins contraignant qu’une sûreté, mais tout aussi efficace.

216. D’une manière générale, toutes les mises à disposition comprises comme un « accessoire » ou comme un moyen d’améliorer le confort durant l’exécution d’un contrat donné248 constituent des arguments pour l’une des parties, incitant l’autre à conclure le contrat en question. Par exemple, le garagiste qui propose de mettre à disposition de ses clients un véhicule de remplacement pendant la durée de réparation incite lesdits clients à contracter avec lui plutôt qu’avec un garagiste ne proposant pas cette facilité. Toutefois, ces mises à disposition font partie du contrat qu’elles incitent à conclure. In fine, ce n’est

247 En raison de la nature particulière du bien, la mise à disposition de créances constitue bien une autorisation d’utilisation accordée au bénéficiaire, V. supra, §1, B) 5).

que le contenu du contrat, plus ou moins avantageux, qui encourage le cocontractant à conclure, ce qui est, somme toute, assez classique.

217. Là où la mise à disposition appelle davantage de développements, c’est lorsqu’elle constitue l’essence d’un contrat à part entière et que ce contrat a pour unique but, dans l’esprit de la partie disposante, d’inciter le bénéficiaire à conclure un second contrat. L’exemple le plus flagrant est celui de la mise à disposition de Caddie. Les juges utilisent le terme de mise à disposition de manière assez confuse en la matière, l’employant tantôt pour désigner une offre de contrat de prêt249, tantôt pour désigner le contrat de prêt en lui-même250. Quoi qu’il en soit, le prêt à usage de chariot constitue bien une mise à disposition-autorisation d’utilisation, puisque le disposant autorise le bénéficiaire à utiliser le chariot pour faire ses courses.

218. Or, si la possibilité, pour les clients d’un magasin, de profiter d’un chariot pour transporter leurs achats est un service rendu par le disposant, cette mise à disposition gratuite n’en est pas pour autant désintéressée. Le système de prêt de chariot a été conçu pour encourager les clients à consommer plus au sein du magasin. En effet, le client qui parcourt le magasin muni d’un simple panier met fin à ses achats dès que le panier, plein, ne lui permet plus de transporter d’autres victuailles, le contenant d’un Caddie étant beaucoup plus important que celui d’un panier, le chariot permet au client d’acheter beaucoup plus de choses en une seule visite. Ce procédé s’inscrit plus largement dans un courant qui suscite nombre de polémiques : dans la droite ligne de « l’architecture de contrôle »251, les procédés de la grande distribution sont, sous couvert d’améliorer le

249 V., par exemple, Cass. Civ. 2ème du 6 avril 1987, pourvoi n° 85-13278, D. 1987, inf. rap. p. 113 ; Gaz. Pal. 1987.3 somm.490, obs. F. Chabas ou encore Cass. Civ. 2ème du 14 janvier 1999, Lesage c/ Etablissements

Leroy Merlin et autres, pourvoi n°97-11527, Bull. civ. 1999, II, n°13 ; RTD civ. 1999, p. 630, obs. P. Jourdain ;

Resp. civ. et assur. 1999, comm. 94.

250 V. i. a. : Cass. Civ. 2ème du 13 janvier 2012, pourvoi n°11-11047, Contrats, conc., consom. 2012, comm. 85, note Leveneur L.

251 Sont désignées sous ce terme des « avancées » présentées comme une amélioration pour les usagers, mais qui sont en fait conçue pour favoriser un certain contrôle sur une part précise de la population. Ainsi, la percée des grands boulevards parisiens, présentée au XIXème siècle comme destinée à améliorer les conditions de circulation et d’hygiène dans la ville, avait également pour but d’empêcher la construction de barricades par d’éventuels contestataires et de faciliter le déplacement des troupes dans Paris. L’ajout d’un accoudoir central sur les bancs publics n’a pas pour véritable objectif d’améliorer le confort d’assise, mais d’empêcher les sans-abris de s’allonger sur ledit banc. L’emplacement en hauteur des fenêtres de certaines écoles ne vise pas à faire profiter davantage les élèves de la luminosité extérieure, mais de les empêcher de se laisser distraire en regardant par la vitre ! Les exemples sont nombreux et fréquemment modernisés par de nouvelles techniques (lumière

confort de ses clients, une méthode d’incitation à consommer davantage. D’autres techniques sont mises en œuvre comme la présence d’espaces de dégustation, l’installation de rayons boulangerie et fleurs à l’entrée du magasin pour stimuler les sens des clients et augmenter ainsi leur disposition à l’achat, la dispersion des produits de première nécessité dans tout le magasin pour inciter le client à parcourir tous les rayons ou encore l’utilisation appropriée de la musique diffusée dans les rayons (douce pour ralentir les consommateurs, classique pour encourager les achats plus onéreux, forte pour les adolescents afin d’inciter les parents à les y laisser seuls avec leurs moyens de paiement, etc.)252. Parmi tout ceci, la pratique de la mise à disposition reste la plus efficace : une étude montre qu’en doublant la taille des chariots, les clients achètent en moyenne 40 % de produits supplémentaires253 ! La mise à disposition est donc très utile (et très utilisée !) pour le disposant afin d’inciter le bénéficiaire à conclure un contrat de vente avantageux pour le disposant. Cette réalité rappelle que le contrat, s’il est à titre gratuit, n’est absolument pas un « service d’ami » désintéressé.

219. Le fait que le disposant soit intéressé à l’opération ne suffit pas à exclure la qualification de prêt à usage et la jurisprudence considère que la mise à disposition de chariots par les supermarchés est bien faite à titre gratuit254. Le caractère intéressé du prêt en matière commerciale a d’ailleurs été reconnu depuis longtemps par une partie de la doctrine255. Toutefois, ce caractère intermédiaire d’une telle mise à disposition, gratuite, mais qui apporte tout de même un avantage au disposant soulève quelques interrogations quant à la cause de la mise à disposition.

220. Ainsi, la reconnaissance de la nature consensuelle du prêt de sommes d’argent par un professionnel du crédit256 a amené plusieurs auteurs à revoir la théorie de la cause

bleue contre les toxicomanes, ultrasons contre les adolescents, etc.). V., par exemple : Bruce SCHNEIER, « Architectures of Control in Design ».

252 V. notamment : Nicolas GUÉGUEN, et al., « Effect of background music on consumer's behaviour », European journal of Scientific Research (2007), p. 268-272, Université de Bretagne-Sud et Université de Rouen.

253 Etude de M. LINDSTROM : Martin LINDSTROM, « Marketing in Whole Foods », MSNBC (2012).

254 V., par exemple, cour d'appel de Rennes du 19 décembre 1972, RTD civ. 1973, p.587, obs. G. CORNU.

255 Régis FABRE, « Le prêt à usage en matière commerciale », RTD com., 1977, p. 193.

256 Cass. Civ. 1ère du 28 mars 2000, pourvoi n°97-21422, JCP 2000 éd. E.898, concl. Sainte-Rose ; ibid., p. 1383, note Leveneur ; Dalloz, 2000.482, note Piedelièvre : « Mais attendu que le prêt consenti par un

en matière de prêt. Classiquement, le prêt était considéré comme un contrat réel257, la cause du contrat était alors constituée par la remise du bien (dans cette vision, la remise était alors à la fois la cause et l’élément formateur du contrat, ce qui a suscité de vives critiques doctrinales, notamment de la part de PLANIOL). La remise en cause de la nature du contrat de prêt a suscité des propositions différentes, basées sur la notion de mise à disposition. Ainsi, le professeur CHENEDE estime que la conception erronée de cause en matière de prêt a été induite par une confusion de la doctrine et de la jurisprudence entre la remise du bien, qui forme le contrat de prêt, et la mise à disposition du bien, qui constitue une obligation continue du prêteur : « La délivrance du bien ne met pas fin à la mission contractuelle du prêteur qui est encore tenu, selon l’article 1888 du Code civil, de ne pas retirer la chose prêtée avant le terme convenu. Cette obligation de ne pas reprendre son bien n’est en réalité rien d’autre que la formulation négative de la prestation positive qui pèse sur le prêteur : l’obligation de mise à disposition »258. Pour lui, en matière de cause, la distinction n’est pas à faire entre contrat de prêt réel ou contrat de prêt consensuel, mais entre contrat de prêt gratuit ou contrat de prêt à titre onéreux. Dans le cas d’un contrat de prêt à titre gratuit, la cause de l’obligation de mise à disposition résiderait dans la satisfaction extrapatrimoniale du service rendu, tandis que dans le cadre d’un contrat à titre onéreux, la cause se trouverait dans les intérêts perçus dans l’opération. Il résume : « La nature consensuelle ou réelle du contrat de prêt ne change rien à cette réalité. (…) En identifiant correctement la prestation caractéristique du contrat, on s’aperçoit que la cause de l’obligation ne présente aucune spécificité dans les contrats réels : elle ne réside pas dans la remise de la chose, mais, comme dans tous les contrats, soit dans une satisfaction morale (contrats à titre gratuit), soit dans une contrepartie matérielle (contrats à titre onéreux) ».

financement avait été signée par Daniel X... et que les conditions de garanties dont elle était assortie étaient satisfaites, retient, à bon droit, que la société UFB Locabail était, par l'effet de cet accord de volonté, obligée au paiement de la somme convenue ».

257 Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS et Pierre-Yves GAUTIER, Les contrats spéciaux, 6ème éd., Paris : Defrénois, 2012, 710 p., V. aussi François COLLART-DUTILLEUL et Philippe DELEBECQUE,

Contrats civils et commerciaux, 9ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 1027 p., Alain BÉNABENT, Contrats spéciaux, civils et commerciaux, 9ème éd., Montchrestien, 2011, 718 p.ou encore Pascal PUIG, Contrats spéciaux,

4ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 510 p.

258 François CHÉNEDÉ, « La cause de l'obligation dans le contrat de prêt réel et dans le contrat de prêt consensuel », Recueil Dalloz, 2008, 2555.

221. Dans le cas particulier d’une mise à disposition incitant le bénéficiaire à conclure un second contrat, la mise à disposition est donc, pour le bénéficiaire, la cause juridique du premier contrat et la cause « économique » du second ou, du moins, son déclencheur. Toutefois, pour le disposant, il est intéressant d’insérer une catégorie intermédiaire entre celle des contrats onéreux et celle des contrats gratuits : la catégorie des contrats intéressés, comme cela a déjà été reconnu dans certains cas, notamment dans le domaine bancaire259. En l’occurrence, on ne peut pas dire qu’une mise à disposition incitant le bénéficiaire à conclure un autre contrat relève de la satisfaction d’un intérêt extrapatrimonial, de l’ordre du « moral », puisque l’avantage qui en est retiré est clairement financier (conclure par la suite un contrat de vente pour un prix plus élevé, par exemple). Pour autant, la contrepartie financière n’est pas directement inscrite dans le contrat de mise à disposition. Le professeur GHESTIN rappelait justement que l’intérêt du cocontractant peut parfois être indirect260. Son raisonnement, basé sur le contrat de cautionnement conclu au bénéfice d’un tiers, met en exergue le fait que l’intérêt pour le cocontractant peut résider en un avantage extrapatrimonial indirect (la satisfaction morale d’aider un proche, par exemple). En réalité, il peut également consister en un avantage patrimonial indirect (en permettant une augmentation de trésorerie d’une société dont il est actionnaire, notamment). Le schéma nous semble transposable en matière de mise à disposition : la cause du contrat de mise à disposition pour le disposant résiderait en un intérêt patrimonial indirect consistant en la conclusion incidente d’un contrat de vente avantageux, par exemple.

222. La mise à disposition, contournant parfois l’objectif commun affiché par les parties, devient donc un moyen entre les mains d’une seule partie afin d’influencer le comportement de son cocontractant. Toutefois, l’utilisation de la mise à disposition, un tant soit peu dévoyée, au profit du disposant peut également être faite pour contrôler le comportement de tiers, principalement à des fins anticoncurrentielles.

259 Dans le cadre d’un prêt d’argent accordé par un fournisseur, destiné à apporter une assistance à un distributeur, la doctrine a reconnu l’existence de cette catégorie intermédiaire de « prêt à titre intéressé » : Jean-Louis RIVES-LANGES et Daniel OHL, « Monopole bancaire et liberté », Banque, mai 1985, n° 33, 4395. La jurisprudence est allée dans le même sens à propos du cautionnement d’un prêt, V. i. a. Cour d'appel de Paris du 5 avril 2002, D. 2002, somm. 3005, obs. FERRIER.

260 Jacques GHESTIN, « La cause de l'engagement de l'emprunteur depuis que certains prêts ne sont plus des contarts réels », Recueil Dalloz, 2007, 50.

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