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La mise à disposition comme élément de prolongation forcée d’une exclusivité

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 119-122)

Titre II I DENTIFICATION DES CARACTERISTIQUES DE LA MISE A DISPOSITION

1) La mise à disposition comme élément de prolongation forcée d’une exclusivité

235. Dans des domaines où l’enjeu concurrentiel est important, la stipulation d’une clause d’exclusivité courant pendant la durée autorisée (cinq ou dix ans selon l’envergure du marché pertinent) peut être insuffisante du point de vue du fournisseur qui présente un intérêt à garder le distributeur sous sa coupe plus longtemps pour éviter de le voir se fournir chez un concurrent. Les moyens juridiquement approuvés pour prolonger la période d’exclusivité (notamment par le biais d’une mise à disposition d’un local266) ne sont pas toujours adaptés à la situation des parties, le fournisseur doit alors trouver un biais pour conserver le bénéfice de cette exclusivité. La principale « parade » consiste à mettre un bien à disposition dont les difficultés de restitution risquent de dissuader le distributeur de mettre fin au contrat.

236. L’un des exemples fréquemment cités est celui de la mise à disposition de cuves par les fournisseurs d’hydrocarbures au bénéfice de pompistes distributeurs267. Le fournisseur, sous couvert de la fourniture d’une « assistance » au distributeur, équipe en partie la station-service. Il met à sa disposition des citernes, destinées à stocker les hydrocarbures avant leur revente aux clients finaux. Ces cuves, pour des raisons de sécurité et de place, doivent être enterrées sous la station-service. Pendant toute la durée

266 V. supra, §1 : la mise à disposition comme moyen approuvé d’éviction de la concurrence.

267 V. supra, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, §2, III : courts développements sur le contentieux des pompistes de marque.

du contrat, le distributeur est lié au fournisseur par une clause d’exclusivité d’achat. Lorsque le contrat prend fin, si le distributeur souhaite changer de fournisseur, ce dernier n’a pas de moyen strictement juridique pour s’y opposer. Cependant, c’est à ce moment-là que les conditions qui entourent la mise à disposition du bien lui offrent un levier lui permettant de contraindre le pompiste à renouveler son contrat. En effet, la mise à disposition, généralement analysée en un prêt268, prend fin en même temps que le contrat de fourniture dont elle est un accessoire. Or, la fin d’un commodat entraîne la restitution en nature du bien par l’emprunteur. L’obstacle n’est pas juridique (sur le plan théorique, rien n’empêche le distributeur de restituer les cuves, d’autant qu’en cas de passage à la concurrence, il est fort possible que le nouveau fournisseur puisse lui en proposer de nouvelles), mais c’est un obstacle pratique : souvent enterrées au moment de la construction du poste d’essence, la restitution des cuves implique quasi systématiquement la démolition d’une grande partie de la station-service, ce qui représente un coût de travaux et un temps de cessation d’activité dissuasif pour le distributeur. Ce n’est donc pas la mise à disposition en elle-même qui empêche le distributeur de faire jouer la concurrence entre les fournisseurs, mais les circonstances de la mise à disposition et la nature du bien mis à disposition.

237. Ce procédé, particulièrement efficace, a généré moult contentieux, à l’initiative des pompistes qui souhaitaient se défaire de ce lien imposé au-delà de la durée initialement convenue. Après de longues errances, ces clauses de restitution en nature ont pu être annulées sur le terrain du droit de la concurrence, comme caractérisant « une entente limitant la fluidité du marché des distributeurs »269. Cette sanction, si elle permet, in fine, de protéger les distributeurs de ce « détournement » de la mise à disposition opéré par les fournisseurs d’hydrocarbures, a parfois été critiquée quant à son fondement. Le professeur FERRIER regrette ainsi que « la jurisprudence antérieure n’ait tout simplement pas relevé dans l’exigence d’une restitution en nature formulée par les fournisseurs pétroliers un moyen de tourner la prohibition des engagements d’exclusivité d’une durée supérieure à dix ans »270.

268 Didier FERRIER, Droit de la distribution, 6ème éd., Paris : LexisNexis, 2012, 432 p.

269 Cons. Conc. du 29 septembre 1987, décision n°87-D-34.

238. Le raisonnement aurait pu être similaire en matière de mise à disposition de signes distinctifs, notamment à travers le contrat de franchise. En effet, au moment de la fin de contrat, le franchisé doit cesser d’utiliser le nom, l’enseigne ou la marque qui a été mise à sa disposition. Or, une partie de la clientèle du franchisé est attachée à ce signe distinctif et un changement d’enseigne entraîne bien souvent une diminution de fréquentation du magasin. La perspective de perdre un élément si attractif de clientèle (ajoutée à la stipulation fréquente d’une clause de réaffiliation ou de non-concurrence) peut suffire à décourager le franchisé et garantir ainsi au franchiseur sa fidélité. Comme en matière de cuves d’hydrocarbures, ce n’est pas la mise à disposition en elle-même qui évince, de fait, les fournisseurs concurrents, mais la nature du bien mis à disposition (en l’occurrence, un bien particulièrement attractif de clientèle). Cependant, la mise à disposition de signes distinctifs est souvent au cœur du contrat de franchise et l’obligation pour le franchisé en fin de contrat de cesser leur utilisation est nécessaire à la protection légitime des intérêts du franchiseur qui ne peut abandonner l’utilisation de son nom à un distributeur qui sortirait de son réseau (ce serait d’ailleurs trompeur pour les propres clients du distributeur !).

239. La mise à disposition d’un bien peut donc être, dans certains cas, un moyen pour le fournisseur de décourager le distributeur de mettre fin au contrat d’exclusivité qui les lie. Toutefois, il arrive qu’une mise à disposition puisse produire, au cours même de l’exécution du contrat, un effet comparable à celui d’une clause d’exclusivité, rendant celle-ci inutile.

2) La mise à disposition comme élément remplaçant une clause

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