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La mise à disposition comme élément remplaçant une clause d’exclusivité

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 122-125)

Titre II I DENTIFICATION DES CARACTERISTIQUES DE LA MISE A DISPOSITION

2) La mise à disposition comme élément remplaçant une clause d’exclusivité

240. Stipuler une clause d’exclusivité dans un contrat peut dissuader un distributeur de s’engager, surtout sur une durée aussi longue que dix ans et la présence d’une telle clause peut, de plus, entraîner l’application de règles protectrices de concurrence que le fournisseur peut vouloir éviter. Toutefois, il est souvent avantageux pour un acteur économique de limiter l’accès de ses concurrents au marché et de s’assurer de la fidélité de ses clients. Bien sûr, la qualité de ses produits et l’adéquation de ses prix sont un bon moyen d’y parvenir, mais ceci n’est parfois ni évident ni suffisant. Certains fournisseurs ont alors développé des techniques permettant de contraindre (ou d’encourager fortement) les distributeurs de leur réseau à ne pas acheter à des concurrents. La mise à disposition participe de ces techniques.

241. Les distributeurs sont soumis à des impératifs matériels qui sont connus et globalement prévisibles, comme la taille de leurs locaux ou le type de matériel technique nécessaire à leur activité. Les fournisseurs peuvent jouer sur leurs besoins et leurs contraintes pour « occuper » la place disponible. Par exemple, en matière de distribution de glaces de consommation, les distributeurs ont besoin de congélateurs pour conserver leurs produits, mais leurs locaux ne peuvent abriter qu’un nombre restreint de compartiments frigorifères. Des fournisseurs ont donc eu l’idée de mettre à disposition de leurs distributeurs des congélateurs en stipulant que lesdits congélateurs ne pouvaient servir à conserver que les glaces fournies par eux. Le congélateur mis à disposition étant choisi d’un format bas et large, le distributeur ainsi équipé n’avait généralement pas la place de loger un autre congélateur pour accueillir les produits concurrents. Par cette simple mise à disposition, le fournisseur évince ses concurrents, sans avoir besoin de stipuler une clause d’exclusivité dans le contrat global de fourniture : l’exclusivité apparaît ipso facto, souvent même sans que le distributeur en prenne conscience lors de la signature du contrat. Ce mécanisme peut aussi être utilisé en renforcement d’une clause d’approvisionnement exclusif.

242. Un tel barrage pour les concurrents n’a pas pu rester sans réaction. Dans les années 1990, HB, un producteur de glaces, filiale d’Unilever, occupant la grande majorité

du marché en Irlande, utilisait cette technique de mise à disposition de congélateurs pour empêcher toute autre possibilité d’approvisionnement de la part de ses détaillants. Une entreprise concurrente, filiale de Mars, souhaitant intégrer le marché irlandais, se mit à encourager les distributeurs à ne pas respecter la clause et à stocker ses propres produits dans les congélateurs de la société HB. En opposition sur ce marché, les deux concurrents introduisirent simultanément deux procédures devant les juridictions irlandaises271, l’une tendant à la condamnation du nouveau venu sur le marché à cesser d’inciter les distributeurs à violer la clause, l’autre ayant pour objet la constatation de la nullité de la clause. L’affaire est parvenue devant la Commission européenne qui a décidé de condamner la société HB sur le fondement des articles 85 et 86, sanctionnant ainsi un comportement restrictif de concurrence272. Cette barrière empêchant les concurrents d’accéder au marché a été sanctionnée, alors même que la mise à disposition, en elle-même, n’était pas illégale et que l’interdiction faite d’utiliser les congélateurs pour conserver d’autres produits que les siens relève du simple exercice par la société HB de son droit de propriété sur les congélateurs, qui lui appartiennent toujours, puisque la mise à disposition en question n’opérait pas transfert de propriété. Pourtant, la mise à disposition avait bien un effet anticoncurrentiel et c’est ce qui a été sanctionné. Comme le souligne le professeur S. POILLOT-PERUZZETTO : « Limiter les droits de HB ne revient pas à remettre en cause le principe du droit de propriété, mais tout au plus leur exercice (l’on retrouve ici la théorie développée en propriété intellectuelle qui distingue l’existence du droit sur laquelle le droit de la concurrence n’intervient pas et son exercice qui peut être limité par le droit de la concurrence) et cette limitation est elle-même restreinte à ce qui est nécessaire au maintien de la concurrence » 273. La décision de la Commission, maintes fois commentée274, condamne la seule mise à disposition de congélateur et les modalités d’exclusivité y afférant et non les contrats d’approvisionnements exclusifs dans leur ensemble. On peut s’interroger sur la raison qui

271 V. à propos des conflits de juridictions auxquels cette affaire a donné lieu : Jean-Claude FOURGOUX, « Concurrence : les conflits de compétence entre la Commission et les juridictions nationales, sources d'insécurité juridique », Recueil Dalloz, 2001, p. 1863.

272 Décision de la Commission du 11 mars 1998, Van den Bergh Foods Limited, JOCE L. 246 4 sept. 1998. V. aussi CJCE du 1er octobre 1998, affaire C-279/95-P, Langnese Iglo Gmbh c/ Commission.

273 Sylvaine POILLOT-PERUZZETTO, « L'effet cumulatif d'un réseau d'accords d'approvisionnement exclusif vaut entente », RTD Com., 1999, p. 234.

274 V., i. a., Jean-Bernard BLAISE et Laurence IDOT, « Chronique de droit communautaire de la concurrence - 1er juillet 1997 au 31 décembre 1998 », RTD Eur., 1999, p. 271 ou encore Sylvaine POILLOT-PERUZZETTO, « L'effet cumulatif d'un réseau d'accords d'approvisionnement exclusif vaut entente », RTD

pousse la Commission à sanctionner peut-être davantage la clause d’utilisation exclusive du congélateur que le contrat d’approvisionnement exclusif en lui-même. La raison tient peut-être en ce que, de la même manière que dans le contentieux lié aux cuves d’hydrocarbures, la mise à disposition est ici un moyen détourné d’obtenir une exclusivité dont le disposant n’aurait pas pu bénéficier autrement (ou, du moins, pas dans les mêmes conditions). Le procédé n’est pas aussi « franc » qu’une clause d’exclusivité classique et, bien que les conditions n’en soient pas toutes réunies, il semble empreint de déloyauté et d’abus de droit275.

243. La mise à disposition peut donc se révéler être un moyen original, et sans doute initialement imprévu (au moins pour l’une des parties !), permettant au disposant d’évincer ses concurrents auprès du distributeur bénéficiaire. Ce procédé anticoncurrentiel, probablement du fait de son efficacité, s’est vu sanctionné à plusieurs reprises par les instances nationales et européennes. Il n’en demeure pas moins un dispositif utile et utilisé par les fournisseurs lorsqu’il est employé dans un champ plus étroit ou par un acteur non prépondérant sur le marché.

275 L’abus de droit est d’ailleurs l’un des moyens soulevés, en vain, dans le contentieux dit des « pompistes de marque ». Il affleure également dans l’affaire « Mars », lorsque la Commission se penche sur le bon exercice par HB de son droit de propriété des congélateurs.

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