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L’existence déjà reconnue de mises à disposition opérant transfert de droits réels

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 192-197)

DE DROITS REELS

SECTION 2 La mise à disposition opérant transfert de droits réels

II) L’existence déjà reconnue de mises à disposition opérant transfert de droits réels

401. Certaines mises à disposition sont déjà reconnues comme entraînant un transfert de droits réels. Ainsi, l’article 543 du Code civil énonce les dispositions du Code portant sur les droits classiquement considérés comme « réels » : la propriété421, l’usufruit422, le droit d’usage et d’habitation423 et, enfin, les servitudes424. S’y ajoutent également l’emphytéose425, le bail à construction426 et le bail réel immobilier427, la concession de mines428 et d’installations hydrauliques429. Les contrats portant sur le transfert de l’un de ces droits opèrent donc bien transfert d’un droit réel, le caractère réel dudit droit ressortant directement de la loi. Or, il s’agit bien de contrats qualifiés de mises à disposition : la grande majorité des ventes, les conventions d’usufruit, les baux et concessions de tous types forment une large partie des mises à disposition telles qu’elles se manifestent dans la pratique.

402. Nombre de contrats portant sur des droits réels sont des mises à disposition, mais toutes les mises à disposition ne seraient-elles pas, in fine, un transfert de droit réel ? Au vu des éléments déjà soulevés, notamment quant à l’obligation de conservation430 et quant à l’immédiateté de la jouissance du bénéficiaire431, l’hypothèse que toutes les mises à disposition opéreraient transfert d’un droit réel d’usus est envisageable.

403. Le nombre de droits réels n’étant pas limité par un quelconque numerus clausus législatif432, la jurisprudence en a d’ores et déjà « découvert » de nouveaux : droit

421 Articles 544 et suivants du Code civil.

422 Articles 578 et suivants du Code civil.

423 Articles 625 et suivants du Code civil.

424 Articles 637 et suivants du Code civil.

425 Articles L451-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime.

426 Articles L251-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation.

427 Articles L254-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation.

428 Article L132-8 et suivants du Code minier.

429 Articles L511-15 du Code de l’énergie.

430 V. supra : Partie II, Titre I, Chapitre 1, Section 1, §2, I. L’obligation de conservation que l’on retrouve à la charge du bénéficiaire dans nombre de mises à disposition résulterait du fait que le bénéficiaire se voit accorder un droit d’usus de la chose et n’en reçoit ni le fructus, ni l’abusus.

431 V. supra : Partie II, Titre I, Chapitre 1, Section 1, §2, II.

de superficie433, droit de jouissance sur les parties communes d’un immeuble434, droit de jouissance sur un emplacement de stationnement435 ou encore droit de crû et à croître436, l’ensemble de ces droits réels prétoriens étant, là encore, classés dans la catégorie des mises à disposition.

404. La doctrine a, elle aussi, proposé de reconnaître des droits réels là où il n’était classiquement question que de droits personnels. Ainsi, DERRUPPE a-t-il émis l’hypothèse que le droit du preneur à bail pourrait être un droit réel et non un droit personnel437.

405. Cette proposition fait sens, puisque le droit personnel du preneur intègre une série de prérogatives qui le rapproche sensiblement des droits réels. Ainsi, concernant l’opposabilité, si le bail a acquis date certaine, il s’impose au propriétaire du bien loué. Lorsqu’il a une durée de plus de douze ans, le bail immobilier est soumis à la même obligation de publication au fichier immobilier que les droits réels. Le preneur bénéficie de la protection possessoire contre les tiers et en cas de litige avec le bailleur, la juridiction compétente est généralement celle de la situation de l’immeuble et non pas celle du domicile du défendeur. À cela, il faut ajouter que les statuts spéciaux des baux d’immeubles confèrent aux preneurs des prérogatives exorbitantes par rapport au droit personnel pur et simple. En effet, le preneur dispose d’un droit au renouvellement du bail ou d’un droit au maintien dans les lieux. Il a également vocation à devenir propriétaire lorsque la loi lui accorde un droit de préemption. La loi donne même au preneur d’un fonds rural des prérogatives directes sur la chose, lui permettant de modifier la substance du fond loué. Toutes ces dispositions donnent incontestablement une coloration réelle au droit personnel du preneur.

433 3e Civ., 6 mars 1991, pourvoi n° 89-17.786, Bull. 1991, III, n° 84, pour un droit d’usage sur une parcelle de terrain consenti sans limitation de durée à une commune.

434 3e Civ., 4 mars 1992, pourvoi n° 90-13.145, Bull. 1992, III, n° 73, admettant l’existence d’un droit de jouissance exclusif et perpétuel sur une partie commune d’un immeuble en copropriété.

435 3e Civ., 2 décembre 2009, pourvoi n° 08-20.310, Bull. 2009, III, n° 266 : « si le seul droit de

jouissance exclusif sur un ou plusieurs emplacements de stationnement ne conférait pas la qualité de copropriétaire, son titulaire bénéficiait néanmoins d’un droit réel et perpétuel ».

436 Cass. 3e civ., 23 mai 2012, pourvoi n° 11-13.202, FS P+B, reconnaissant même un caractère perpétuel au droit de crû et à croître.

437 Jean DERRUPPÉ, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et

406. Une confusion s’ensuit concernant la nature du droit accordé au preneur. Selon le professeur P. PUIG, il s’agirait soit d’un droit réel, qui se traduirait par « des prérogatives d’usage (ius utendi) et de jouissance438 (ius fruendi) » et qui induirait, comme tout droit réel, un lien direct entre le bénéficiaire et le bien, soit d’un droit personnel, qui induirait alors un lien indirect entre le bien et le bénéficiaire. L’appréhension classique du bail tend à y reconnaître un droit personnel, le lien juridique existant entre le preneur et son bailleur et non entre le preneur et le bien. Pour autant, cet auteur note que « l’obligation de praestare porte plus sur le bien que sur le débiteur et n’implique pas d’activité de la part du débiteur »439. Indépendamment des réserves déjà émises quant à l’emploi du terme de praestare à propos d’une mise à disposition, cette affirmation sème le doute quant à la nature du droit dont bénéficie le preneur440.

407. Dans un sens similaire, le professeur Ch. GOYET se rapproche de la qualification de droit réel à propos du droit du crédit-preneur441. Plus récemment, le groupe de travail de l’Association CAPITANT a estimé opportun de « créer un droit réel ouvert qui, contrairement à l’usufruit, ne porte pas sur la totalité de l’usage d’un bien, mais seulement sur une ou plusieurs de ses utilités, au choix du constituant »442 : ce droit est nommé « droit réel de jouissance spéciale »443. Ce terme a d’ailleurs été repris par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 31 octobre 2012444. Pour J.-L. BERGEL, « ce nouveau droit réel pourrait susciter de multiples applications d’ordre économique et le moyen de répondre aux besoins de notre civilisation de loisirs actuelle... qu’il s’agisse d’utilisations particulières de l’air, de l’eau, de l’ensoleillement, de l’énergie, d’installations et d’équipements divers, de biens incorporels, voire de droits

438 Cette dernière dénomination, prêtant à confusion, pourrait être avantageusement remplacée par « perception des fruits ».

439 Pascal PUIG, Contrats spéciaux, 4ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 510 p.

440 Sur la nature de ce droit, v. les développements ultérieurs, infra, Partie 2, Titre 2.

441 Le crédit-preneur aurait la propriété économique du bien, le crédit-bailleur n’ayant qu’une propriété juridique abstraite et dématérialisée réduite à sa fonction de garantie, V. Charles GOYET, Le louage et la

propriété à l'épreuve du crédit-bail et du bail superficiaire, L.G.D.J., 1983, [Th. dotc. : Droit privé : Strasbourg :

1981].

442 Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française, Proposition de réforme du

Livre II du Code civil relatif aux biens, 2008. 443 Ib idem, article 608.

444 Civ. 3e, 31 oct. 2012, FS-P+B+R, n° 11-16.304. Dans cet arrêt, la Cour reconnaît l’existence d’un droit réel de jouissance spéciale d’une durée qui peut excéder trente ans au bénéfice d’une personne morale. D’aucuns en ont déduit que ce droit pouvait donc être perpétuel, ce à quoi la Cour de cassation semble s’être opposée dans un arrêt du 28 janvier 2015 (Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 14-10.013).

réels de jouissance spatio-temporelle »445. Ce droit réel de jouissance spéciale s’accorderait parfaitement avec nombre de mises à disposition sui generis, établies par la pratique en marge des catégories classiques de bail, prêt et convention d’occupation précaire, et qui ne correspondent aujourd’hui à aucun régime légal déterminé.

408. Ainsi, la loi, la jurisprudence et la doctrine ont déjà qualifié de transfert de droits réels maintes opérations de mise à disposition. La généralisation de ce qualificatif à l’ensemble des actes de mise à disposition est envisageable, car toutes les mises à disposition semblent correspondre, au premier abord, à la définition classique du droit réel (« un droit qui porte directement sur une chose et procure à son titulaire tout ou partie de l’utilité économique de cette chose »446) et il a été démontré que la liste des droits réels établie par le législateur n’était pas exhaustive447. Certes, toutes les mises à disposition n’emportent pas de transfert du droit de jouissance des fruits au sens de droit de fructus448, cependant, il est possible de concevoir un transfert de l’usus seul, détaché du fructus et de l’abusus. L’« autorisation d’utilisation » que constitue la mise à disposition serait donc un transfert d’usus. Ceci expliquerait pourquoi, ne pouvant tirer avantage que de l’usus, le bénéficiaire d’une mise à disposition a une double obligation de conservation : ne pas détruire le bien, car il n’en a pas l’abusus, et entretenir le bien, car il ne doit pas empêcher le détenteur du fructus de récolter les fruits (or, un bien mal entretenu risque de ne plus produire de fruits ou d’en produire moins449). Cette analyse concorde également avec la volonté des parties pour qui l’intérêt de la convention réside essentiellement en la faculté qu’a le bénéficiaire de pouvoir tirer immédiatement du bien toutes les utilités qui l’intéressent, la personne du disposant n’ayant qu’une importance que secondaire, voire nulle. L’intervention du disposant au cours de l’utilisation du bien

445 Jean-Louis BERGEL, « Du numerus clausus des droits réels ? », RDI, 2010, p. 409, op. cit.

446 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris : Presses Universitaires de France - P.U.F., 2007, 986 p., V. « Réel », op.cit.

447 V. paragraphe précédent : l’absence de numerus clausus.

448 L’utilisation des termes « jouir » et « user » est souvent ambiguë. Souvent synonymes, ils sont pourtant parfois employés de façon distincte, y compris par le législateur lui-même, « user » correspondant au droit d’usus et « jouir » correspondant au droit de fructus. Nous n’employons pas ici cette distinction qui nous semble source de confusion et employons « user » et « jouir » de manière synonyme à propos du droit d’usus. Le terme français de « fruit » nous semble indispensable pour parler sans équivoque du droit de fructus (donc « jouir des fruits », « bénéficier des fruits », « utiliser les fruits »…)). V. sur ce point, Partie I, Titre II, Chapitre 2.

449 C’est le cas pour des fruits naturels (un arbre mal taillé produit moins de fruits), mais aussi pour des fruits civils (un appartement mal entretenu se loue moins cher ou ne se loue pas du tout !).

est d’ailleurs généralement faible, signe que, dans la pratique, la jouissance se fait, le plus souvent, « immédiatement » – au sens de « sans intermédiaire ». À titre d’exemple, après la remise des clés, le bailleur n’intervient que très ponctuellement auprès de son locataire au cours de la jouissance du bien (parfois même moins que ce qu’un vendeur peut intervenir auprès de son acheteur au titre de la garantie qui lui est due), la formule établissant que « c’est le bailleur qui fait jouir le preneur du bien » relève, selon nous, davantage de la construction juridique que de la réalité pratique450 – et cette construction intellectuelle aurait pu (et peut encore) être tout autre.

409. Une telle lecture des mises à disposition comme transférant des droits réels offrirait un éclairage nouveau451 et en adéquation avec la situation actuelle dans laquelle de multiples mises à disposition, bien que classées dans la catégorie des droits personnels, bénéficient déjà de règles les rapprochant du régime des droits réels452. Cette analyse des mises à disposition comme des opérations transférant un droit réel d’usus présente des avantages en termes de régime, notamment au profit du bénéficiaire de la mise à disposition.

450 Comme le faisait justement remarquer le doyen CARBONNIER, aux yeux d’un passant, « rien ne distingue un preneur à bail d’un usufruitier », seule la construction juridique que l’on a élaborée autour de ces deux régimes, distingue les relations entre les acteurs de ces deux mises à disposition. Jean CARBONNIER,

Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10ème éd., L.G.D.J., 2013.

451 La nouveauté résidant seulement dans le fait de considérer l’ensemble des mises à disposition comme opérant un transfert de droits réels, puisque, individuellement, nombre des mises à disposition ont déjà été considérées comme telles.

452 Tel est, par exemple, le cas du bail d’immeuble que l’article 1743 du Code civil rend opposable au nouveau propriétaire du bien, alors même qu’en principe, en vertu de l’article 1165 du Code civil, l’effet relatif des contrats devrait rendre le droit – classiquement qualifié de personnel – du preneur inopposable à un tiers au contrat de bail.

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