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L’autorisation d’utilisation en matière de droits intellectuels

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 50-55)

SECTION 2 Une qualification alternative : la licence d’utilisation

B) Prêt de consommation

I) L’autorisation d’utilisation en matière de droits intellectuels

92. Le terme de licence a un temps été utilisé pour désigner tant des actes apparentés à une vente que des actes s’apparentant à un bail. Certains auteurs ont suggéré de réserver le terme à une licence qui emprunte les caractéristiques du louage afin d’englober sous un même mot deux mécanismes différents –vente et louage. Ainsi, pour Monsieur A. BOISSON, il est important de « défendre la licence comme formule contractuelle concurrente à la cession »132. En 1954, dans le droit fil de la jurisprudence du début du siècle133, le doyen ROUBIER notait que « s'il est vrai que le contrat de licence confère au licencié la jouissance du droit d'exploitation, qui est un des attributs du brevet, il n'y a rien de plus que dans le contrat de louage, où le preneur obtient aussi la jouissance de la chose par le moyen d'un droit, qui n'est qu'un droit de créance »134. À quelques détails près, cette appréhension de la licence n’a pas changé et elle demeure associée, par analogie, à un louage. La licence est donc définie comme un contrat par lequel le titulaire d’un droit particulier concède à un tiers la jouissance de son droit, moyennant le paiement d’une redevance.

132 Alexis BOISSON, La licence de droit d'auteur, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier I : 2011], 874 p..

133 V. Cour d'appel d’Orléans du 13 juillet 1892 ou encore Cour d'appel de Paris du 22 juin 1922, entre autres exemples.

134 Paul ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, 1 éd., Sirey, 1954, t. 2. V. aussi Jean-Jacques BURST, Breveté et licencié, leurs rapports juridiques dans le contrat de licence, Litec, 1970, [Th. doct. : Droit privé : Strasbourg : 1968].

93. La licence peut avoir, principalement, trois objets : une invention brevetée, une œuvre de l’esprit ou une marque135. La définition est donc déclinée selon l’objet de la licence136. Quelles qu’en soient les formalités – contrat solennel pour l’un, contrats consensuels pour les deux autres137 - il demeure que la licence constitue, dans toutes ces déclinaisons, une mise à disposition-licence d’utilisation au sens d’autorisation d’utilisation, à l’exception du cas, relativement marginal, des licences obligatoires, dans lesquelles il n’y a pas de volonté du disposant d’autoriser le bénéficiaire à utiliser le bien138.

94. L’hypothèse d’une mise à disposition à titre gratuit de brevet, marque ou œuvre de l’esprit est envisageable et de plus en plus répandue (surtout en matière de droit d’auteur)139. Le prêt à usage d’une œuvre de l’esprit, d’un brevet ou d’une marque correspond à une mise à disposition-autorisation d’utilisation, le disposant autorisant

135 V. i. a. pour plus de détails : Jacques LARRIEU, Les marques de fabrique, de commerce et de

service, L'Hermès, 1996.

136 Ainsi, la licence de droit d’auteur est « un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir

l'autre d'une œuvre de l’esprit pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer » (Alexis BOISSON, La licence de droit d'auteur, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier I : 2011], 874 p.,

op. cit.). La licence de brevet d’invention est définie comme « le contrat par lequel le titulaire d'un brevet

concède à un tiers, en tout ou en partie, la jouissance de son droit d'exploitation, moyennant le paiement d'une redevance » (Yann BASIRE, « Formation du contrat - Conclusion du contrat », in Licence de brevet - Jurisclasseur, 2014 éd., LexisNexis, 2012. V. aussi : Yann BASIRE, Les fonctions de la marque : essai sur la cohérence du régime juridique d'un signe distinctif, [Th. doct. : Droit privé : Strasbourg : 2011]). La licence de

marque est, elle, « le contrat par lequel le titulaire d'une marque confère à un tiers la jouissance de son droit

d'exploitation moyennant le paiement d'une redevance ». « une autorisation contractuelle d’exploiter une œuvre de l’esprit » ( Paul ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, 1 éd., Sirey, 1954, t. 2., op. cit., V. aussi :

Elisabeth TARDIEU-GUIGUES, « Exploitation du droit de marque : l'article L714-1 du code de la propriété intellectuelle », in JCl Marques - Dessins et modèles, Paris : LexisNexis, 2011, p. Fasc. 7400. et Elisabeth TARDIEU-GUIGUES, La licence de marque, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier : 1991].)

137 Le contrat de licence de brevet est un contrat solennel, puisque l’article L613-8 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « les actes comportant une transmission ou une licence, visés aux deux premiers

alinéas, sont constatés par écrit, à peine de nullité ». A l’inverse, la loi n’impose pas d’écrit pour la licence de

droit d’auteur, ni pour la licence de marque (l’écrit n’est imposé que pour la cession ou la mise en gage d’une marque (article L714-1 du Code de la propriété intellectuelle).

138 Les licences obligatoires ou « autoritaires » peuvent être à caractère judiciaire ou administratif. Ceci concerne principalement le domaine de la santé, cette licence contrainte devant servir dans l’intérêt général, comme le prévoit l’article L613-16 du Code de la propriété intellectuelle, le ministre peut soumettre un brevet au régime de la licence d’office « si l'intérêt de la santé publique l'exige et à défaut d'accord amiable avec le

titulaire du brevet », dans le cas où les médicaments brevetés « ne sont mis à la disposition du public qu'en quantité ou qualité insuffisante ou à des prix anormalement élevés ».

139 Cependant, afin d’éviter toute confusion, le terme de licence doit alors être rejeté, car il ne peut se concevoir de bail à titre gratuit, la qualification appropriée étant alors le commodat. Le professeur M. VIVANT constate avec regret cette polysémie du terme de licence, que nous choisissons donc d’écarter en la matière pour plus de clarté. Sur ce point, V. notamment : Régis FABRE, « Le prêt à usage en matière commerciale », RTD

clairement le bénéficiaire à utiliser le bien en question140. La réservation du droit d’auteur, de marque et de brevet étant analysée en termes de droit de propriété, Monsieur BOISSON

en conclut justement que « la « banalité » du droit ne pouvait que favoriser celle des contrats qui l’actionnent »141. La seule originalité de la mise à disposition par licence tient donc bien à la chose qui en est l’objet.

95. Le droit de jouissance concédé par la mise à disposition-licence d’utilisation peut être plus ou moins important en fonction des stipulations contractuelles dont il fait l’objet. En matière de brevet, la licence peut être accordée pour fabriquer un bien et/ou le vendre grâce au procédé breveté, selon que le licencié a ou non les moyens de mettre l’un et l’autre en œuvre142. Dans le domaine des marques, la licence peut être concédée en tant qu’enseigne, afin d’identifier un point de vente, par exemple, ou bien à des fins d’apposition sur une production destinée à la commercialisation, voire, les deux. Enfin, en matière de droit d’auteur, la licence a pour but de permettre au bénéficiaire de la mise à disposition d’exploiter l’œuvre, ce qui peut passer, notamment, par sa reproduction et sa diffusion. L’utilisation autorisée par le biais de la licence peut alors être délimitée sur plusieurs plans : la licence peut être partielle (limitée à certaines applications du bien mis à disposition), territorialement limitée et exclusive au bénéfice du licencié ou non, selon les modalités prévues au contrat de mise à disposition.

96. En matière de droits intellectuels, en dehors de la licence et au-delà de la seule mise à disposition d’un support matériel qui n’appelle pas de développement particulier, il existe les accords de « know-how », dont l’objet est également particulier. Ces conventions sont considérées comme une mise à disposition de faire. Or, le savoir-faire est défini comme « un ensemble d'informations pratiques non brevetées, résultant

140 Ainsi, le terme de « licence libre » fréquemment utilisé dans le domaine informatique n’est pas une licence au sens de louage, habituellement entendu en matière de propriété intellectuelle, mais c’est une licence, au sens d’autorisation. Il s’agit clairement d’une mise à disposition-licence d’utilisation : le titulaire du droit d’auteur autorise ses cocontractants à utiliser et modifier son œuvre, dans un esprit de partage et de collaboration.

141 Alexis BOISSON, La licence de droit d'auteur, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier I : 2011], 874 p., op. cit.

142 A propos de certaines pratiques consistant à déposer un brevet sans intention de l’exploiter, V. Christian LE STANC, « Les malfaisants lutins de la forê t des brevets, à propos des ‘patent trolls‘ », Revue

de l'expérience et testées, qui est secret, substantiel et identifié »143. Tout d’abord, qualifier là encore « un ensemble d’informations » de bien est loin d’être évident144. Ensuite, pour que l’opération relève du champ de la mise à disposition, encore faut-il, à notre sens, qu’il s’agisse d’une autorisation d’utilisation. La question dépasse le seul savoir-faire et englobe, plus largement, la question de la transmission de connaissances145. L’objectif des parties qui concluent un tel contrat est-il toujours d’utiliser les connaissances transmises ? En matière commerciale, rares sont les acteurs qui investissent dans un domaine sans avoir le dessein d’utiliser les connaissances acquises. Cependant, dans d’autres matières, l’évidence n’apparaît plus si clairement. Les contrats de transmission de connaissances se développent de plus en plus à l’égard de simples consommateurs : enseignements théoriques (universités, cours privés, etc.), mais aussi enseignements pratiques et, de plus en plus, tournés vers l’artisanat (cours de broderie ou de mécanique, ateliers cuisine..). Or, dans l’un ou l’autre cas, rien n’indique que le bénéficiaire de la transmission entretient réellement l’envie d’utiliser les connaissances acquises et nombre de ces consommateurs ne sont là que pour « le plaisir d’apprendre », la mise en pratique par la suite n’étant pas recherchée. Ainsi, peut-on encore parler de mise à disposition, au sens d’une licence d’utilisation ? La réponse à cette question nous semble à rechercher, comme c’est communément le cas, dans l’intention des parties. Si l’intention de celui qui détient initialement la connaissance est d’autoriser le bénéficiaire à utiliser l’information qu’il lui délivre, alors il s’agit bien d’une mise à disposition, peu important que, par la suite, le bénéficiaire utilise effectivement ou non ce savoir nouvellement acquis. Enfin, l’utilité d’une information étant généralement relative à la personne qui la détient, son contenu ne peut systématiquement être objectivement désigné comme « utile », au sens « utilisable »146.

143 Règlement CE n°772/2004 de la Commission du 27 avril 2004 concernant l'application de l'article 81 de Rome, paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords de transfert de technologie.

144 V. supra, sur la notion de bien, Titre 1, Chapitre 2, Section 2 : la qualification de chose à usage paraît plus adéquate.

145 Le savoir-faire présente, certes, un aspect assurément pratique, mais il demeure, avant tout, un savoir.

146 Ainsi, pour reprendre l’exemple précédemment cité, on peut tout à fait imaginer qu’un cours de philosophie soit utilisé par une partie comme base d’un article ou d’un manuel, tandis qu’une autre personne pourrait se former auprès d’un artisan et apprendre à réparer des souliers simplement pour le plaisir de « savoir faire » et continuerait d’aller chez le cordonnier.

97. La licence de droit d’auteur est donc bien une forme de mise à disposition-autorisation d’utilisation. Toutefois, il est des cas dans lesquels cette licence est « entourée » d’un tissu contractuel permettant l’exploitation de l’œuvre dont les droits ont été concédés. Dans ce cas, comme le note Monsieur A. BOISSON, « ces contrats d’exploitation [doivent être appréhendés] non pas comme des formes originales de mise à disposition, mais comme un ensemble cohérent d’obligations de faire s’ajoutant à l’autorisation donnée par l’auteur »147. Dans ce cadre, la mise à disposition ne peut rester isolée. Ainsi, cet auteur affirme : « Si l’auteur autorise l’exploitation de son œuvre, c’est précisément dans le but de la voir exploitée. Or, le contrat qui pourvoit à cette exploitation (…) met aux prises un auteur et son exploitant, dont le rôle ne se résume pas à recevoir l’œuvre qui lui est « confiée » par l’auteur. Car l’exploitant, fort de l’autorisation de l’auteur (…) devra accomplir une série d’actes matériels, et contracter à son tour (…) »148. Le bénéficiaire de l’autorisation d’utilisation doit donc, pour réaliser cette utilisation conclure d’autres contrats – par exemple, pour publier l’œuvre dans le cadre d’un contrat d’édition. Dans ces contrats qui découlent directement des conditions dans lesquelles la licence d’utilisation a été accordée, le bénéficiaire de la mise à disposition est relativement libre de choisir ses cocontractants (imprimeur et libraires, pour rester dans le même exemple). Cet ensemble complexe de contrats d’exploitation est toujours basé sur une mise à disposition (la licence de droits d’auteur) et entraîne la conclusion d’autres contrats directement liés à la mise à disposition initiale. Un tel lien entre les parties à une convention de mise à disposition et un tiers existe également dans l’exemple de la sous-location.

98. Dans une ligne de démonstration différente, mais aboutissant à la même conclusion quant à l’autorisation d’utilisation, se trouvent les contrats du domaine bancaire.

147 Alexis BOISSON, La licence de droit d'auteur, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier I : 2011], 874 p., op. cit.

148 Ib id. : Alexis BOISSON, La licence de droit d'auteur, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier I : 2011], 874 p..

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