• Aucun résultat trouvé

L’autorisation d’utilisation dans le domaine bancaire

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 55-60)

SECTION 2 Une qualification alternative : la licence d’utilisation

B) Prêt de consommation

II) L’autorisation d’utilisation dans le domaine bancaire

99. La mise à disposition se retrouve également dans le domaine des sûretés. Le nantissement de créances est un moyen souvent utilisé par les professionnels pour obtenir des avances de trésorerie. Il existe, dans la pratique commerciale, plusieurs moyens de crédit. Or, la mise à disposition se retrouve à la fois dans l’escompte, la cession Dailly, l’affacturage et le crédit-bail. L’opération d’escompte d’effets de commerce entre dans la définition large posée par le législateur et, parmi les effets de commerce usités dans l’escompte, se trouvent le billet à ordre et la lettre de change.

100. Dans la lettre de change, le tireur met sa créance à disposition du bénéficiaire. C’est une mise à disposition de la provision. L’article L511-7 du Code de commerce, en son troisième alinéa, dispose sans équivoque : « La propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change ». La mise à disposition par lettre de change opère donc bien cession de créance. Cela étant, le mécanisme de la lettre de change n’est pas unitaire. Il opère à la fois cession de la créance de provision et action directe (via le recours cambiaire) contre chacun des sous-débiteurs. Il y a donc une double mise à disposition : de la créance et du droit de paiement.

101. La cession Dailly se fait par le bordereau Dailly, qui est un moyen simplifié par rapport aux effets de commerce. C’est une mise à disposition par cession de créance (qui plus est simplifiée, car au lieu d’y avoir un billet à ordre par créance primaire, il y a un bordereau qui liste toutes les créances cédées).

102. Le crédit-bail, lui, est un mécanisme assimilé à une opération de crédit149. Dans la mise en place du crédit-bail entre les différents acteurs s’opèrent deux types de mises à disposition : une mise à disposition-opération juridique entre le bailleur et le crédit-preneur et une mise à disposition-opération d’exécution150 entre le fournisseur et le crédit-preneur. Cette dernière mise à disposition, entre deux parties qui ne sont pas

149 Cf article L313-1 du Code monétaire et financier.

directement liées par un contrat, s’explique par le mandat et la stipulation pour autrui, qui forment un lien de fait entre les deux parties.

103. À propos du billet à ordre, dans la partie afférente au crédit à long terme, le législateur fait particulièrement emploi de mise à disposition. À titre d’exemple, l’article L313-45 du Code monétaire et financier dispose : « [al. 1] La mise à la disposition au profit du porteur du billet à ordre de créances ou d'effets emporte, sans autre formalité, constitution de gage au profit des porteurs successifs. [al. 2] Le droit du porteur du billet à ordre s'exerce sur l'intégralité des créances nées au profit de l'organisme prêteur du fait des contrats et des effets qui ont été mis à la disposition de ce porteur en application du présent paragraphe, sans autre formalité. Il porte également sur tous intérêts et frais accessoires ainsi que sur les garanties hypothécaires ou autres assortissant les prêts, même si ces garanties résultent d'actes distincts des contrats ou des effets. (…) [al.4] Pendant la mise à disposition au profit du porteur du billet à ordre, l'organisme prêteur ne peut transmettre ces créances ou ces effets sous quelque forme que ce soit ». À première vue, la loi est claire : la mise à disposition emporte constitution de gage. Il y a, en quelque sorte, mise à disposition du droit au paiement. Le terme de « gage » est en lui-même contestable, puisqu’il désigne classiquement une sûreté portant sur un meuble corporel, par opposition au nantissement qui porte sur un meuble incorporel151, c’est ce dernier terme qui aurait dû être retenu en l’espèce. Cela étant, c’est l’un des rares articles dans lesquels le législateur établit un lien aussi direct entre mise à disposition et gage.

104. Cependant, la signification, dans ce contexte, du terme de mise à disposition n’est pas claire pour autant. En effet, cette mise à disposition qui « emporte constitution d’un gage » est-elle une opération matérielle ou juridique ? Sans doute, dans les deux premiers alinéas, le législateur entend-il viser, à travers la mise à disposition, l’établissement du billet à ordre – donc une mise à disposition en tant que création d’un effet de commerce –, mais, dans le quatrième alinéa, l’article dispose « pendant la mise à disposition au profit du porteur du billet à ordre, l'organisme prêteur ne peut transmettre ces créances », ce qui ne vise plus la formation du gage, mais l’un de ses effets, la

151 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris : Presses Universitaires de France - P.U.F., 2007, 986 p..

constitution du gage emporterait ainsi mise à disposition des créances. L’emploi du terme de mise à disposition, au sein de ce seul et même article, est donc paradoxal, puisque la mise à disposition serait, en suivant la lettre du texte, à la fois la constitution du gage et l’un de ses effets !

105. Cette présence de la mise à disposition dans des mécanismes de garantie ouvre, en dehors des cas de mises à disposition strictement matérielles, une réflexion sur le plan théorique. En effet, dans un article écrit en hommage à Ch. MOULY, « découvreur » des obligations de règlement et de couverture152 dans le cautionnement, le professeur KANAMAYA propose une relecture153, que nous rejoignons154, de la summa divisio française. En effet, le droit romain distinguait les obligations de dare, facere et praestare. Or, cette dernière doit être traduite par « garantir »155 et non, comme la transparence pourrait le laisser croire, par « réaliser une prestation », ni même, comme le suggère le professeur G. PIGNARRE156, par « transférer la possession »157. Cette obligation de praestare peut donc tout à fait être reconnue dans notre droit positif en l’obligation de couverture dégagée par Ch. MOULY. Ainsi, la summa divisio serait composée des obligations de donner158, de faire ou de ne pas faire et de garantir159. Cela amène à constater que la mise à disposition correspond bien à l’obligation de praestare160, mais seulement dans le contexte précis et restreint du nantissement de créances. Cette obligation de praestare peut donc tout à fait être reconnue dans notre droit positif en

152 Christian MOULY, Les causes d'extinction du cautionnement, Librairies techniques, 1979, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier : 1977], 721 p..

153 Naoki KANAYAMA, « De l'obligation de "couverture" à la prestation de "garantir" : donner, faire, ne pas faire... et garantir ? », in Mélanges Christian Mouly, Paris : Litec, 1998, p. 375.

154 V. notamment les propos introduisant cette étude.

155 David DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, 1ère éd., Paris : Economica, coll. Corpus Histoire du Droit, 2007, 916 p.

156 Geneviève PIGNARRE, « A la redécouverte de l'obligation de praestare, Pour une relecture de quelques articles du code civil », RTD Civ., 2001, p. 41.

157 Dans un article ultérieur, Madame le professeur Pignarre jugeait toutefois que la mise à disposition a un « caractère neutre, par trop générique, et emprunté au langage courant », Geneviève PIGNARRE, « L'obligation de donner à usage dans l'avant-projet CATALA - Analyse critique », Dalloz, 2007, n° 25, 393.

158 Pour autant que celle-là existe bien, V. notamment Muriel FABRE-MAGNAN, « Le mythe de l'obligation de donner », RTD civ., janv.-mars 1996, p. 85.

159 Le professeur KANAMAYA préfère le terme de « garantir », plus large que celui de « couverture ».

l’obligation de couverture dégagée par Ch. MOULY161. Ainsi, le triptyque serait composé des obligations de donner162, de faire ou de ne pas faire et de garantir163.

106. Vu sous cet angle, il reste à évaluer l’adéquation de cette analyse avec notre proposition présentant la mise à disposition comme une autorisation d’utilisation. Le cas du crédit-bail ne soulève pas de difficulté particulière, l’opération juridique de mise à disposition étant depuis longtemps reconnue comme s’apparentant à un louage et l’opération matérielle de mise à disposition relevant de la remise. La reconnaissance de l’autorisation d’utilisation dans les autres opérations de crédit est plus complexe. Toutefois, dans le cas très précis de la mise à disposition de créances, si la mise à disposition est une garantie/couverture, elle recèle tout de même une autorisation d’utilisation. En effet, tout d’abord, dans ce que le législateur qualifie de crédit à moyen terme, l’opération consiste à céder à son créancier une créance que l’on détient sur son propre débiteur ou à lui céder son droit au paiement. Ceci revient à autoriser son créancier à utiliser la créance que l’on a contre son propre débiteur. Il y a donc bien là une autorisation d’utilisation de la créance.

107. En matière de crédit à long terme, la loi parle clairement de « gage ». En principe, le gage devrait être exclu de la mise à disposition, définie comme une autorisation d’utilisation, puisque, au même titre que le dépôt, l’utilisation du bien gagé est, a priori, proscrite. Toutefois, dans ce cas particulier, la nature du bien gagé offre une vision duale. En effet, il est clair que lorsqu’une voiture est mise en gage, le créancier impayé qui souhaite réaliser le gage ne pourra pas conduire le véhicule, il ne peut que la vendre et se faire payer sur le prix de vente. Par la constitution du gage, le débiteur n’autorise normalement pas son créancier à utiliser le bien. Cependant, lorsque le bien gagé (ou, plus proprement, nanti) est une créance, le résultat est tout autre. En effet, la façon la plus commune « d’utiliser » une créance est de se faire payer par le débiteur. Or, la réalisation du gage consiste également à se faire payer du débiteur. Dans ce cas précis,

161 Christian MOULY, Les causes d'extinction du cautionnement, Librairies techniques, 1979, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier : 1977], 721 p. : l’auteur y distingue l’obligation de couverture et l’obligation de règlement.

162 Pour autant que celle-là existe bien, V. notamment Muriel FABRE-MAGNAN, « Le mythe de l'obligation de donner », RTD civ., janv.-mars 1996, p. 85.

l’utilisation commune du bien et la réalisation de la sûreté se confondent. Il y a donc bien autorisation d’utilisation de la chose dans la mise à disposition de créance.

108. L’analyse de la mise à disposition comme une autorisation d’utilisation est plus évidente en matière d’usufruit.

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 55-60)

Documents relatifs