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L’autorisation d’utilisation dans les contrats de nature complexe

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 69-74)

SECTION 2 Une qualification alternative : la licence d’utilisation

B) L’autorisation d’utilisation dans le contrat d’entreprise

V) L’autorisation d’utilisation dans les contrats de nature complexe

126. Certains contrats, bien que clairement dénommés, ont une nature mixte ou complexe, combinaison de plusieurs formes existant de manière autonome – comme le louage, le service ou la vente – sans que l’une des formes ne l’emporte sur l’autre de par son importance. Le critère de l’accessoire ne permettant pas d’identifier une qualification unitaire, la nature complexe du contrat apparaît.

127. C’est notamment le cas des contrats d’hôtellerie ou de restauration. Comme le souligne le professeur P. PUIG, « la finalité de ces contrats ne réside dans aucune des obligations élémentaires dont ils sont composés, mais seulement dans le but commun que la combinaison de ces obligations permet d’atteindre »172. Ainsi, dans le contrat d’hôtellerie, « le bail devient lui-même le moyen d’un service »173. Cependant, si la mise à disposition d’une chambre meublée est indispensable à la prestation, d’autres mises à disposition comme la mise à disposition de « mignonettes » et de friandises ou la mise à disposition d’un coffre-fort à l’intérieur de la chambre sont nettement secondaires. Ces éléments participent à la réalisation du contrat (c’est d’ailleurs par l’ensemble de ces menus services que le contrat d’hôtellerie se distingue du contrat de louage), mais l’objectif des parties pourrait être atteint sans ces mises à disposition. Certains hôtels ne proposent d’ailleurs pas certains de ces services (alors qu’un contrat d’hôtellerie sans mise à disposition d’une chambre disposant d’un lit verrait sa qualification certainement discutée !).

128. De même, l’article R123-168 du Code de commerce dispose, en matière de domiciliation bancaire : « (…) Le domiciliataire met à la disposition de la personne domiciliée des locaux dotés d'une pièce propre à assurer la confidentialité nécessaire et à permettre une réunion régulière des organes chargés de la direction, de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise ainsi que la tenue, la conservation et la consultation des livres, registres et documents prescrits par les lois et règlements (…) ». La mise à disposition de ces éléments est impérative. Par contre, certaines sociétés de

172 Pascal PUIG, Contrats spéciaux, 4ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 510 p.

domiciliation proposent, en plus, la mise à disposition de lignes téléphoniques et de salles de réunion équipées. Ce service supplémentaire n’est pas indispensable à la réalisation de l’objectif recherché par les parties (à savoir, domicilier une société à une adresse précise), mais il augmente, de fait, le confort dans lequel la prestation est exécutée.

129. Cette configuration se retrouve, par exemple, en matière de santé. En effet, dans certaines conventions liant un praticien à un établissement de santé, il est stipulé que l’établissement met à disposition du médecin des moyens destinés à son exercice. Le but des parties est que le praticien exerce son art à travers la structure de la société accueillante (une clinique, par exemple). Le médecin bénéficie de la patientèle apportée par l’établissement et ce dernier bénéficie de la renommée du praticien le cas échéant et, en toute hypothèse, d’une contrepartie financière directe (par le paiement d’une redevance versée par le praticien) et/ou indirecte (par le paiement par les patients du praticien de prestations annexes à celle du médecin, type forfait à la journée). Dans ce type d’accord, l’établissement doit obligatoirement mettre à la disposition du praticien du matériel conforme à la réglementation en matière sanitaire et des locaux respectant les normes d’hygiène applicables en ce domaine. Nombre de conventions prévoient également la mise à disposition de matériel et de personnel permettant d’assister le médecin dans sa pratique quotidienne ou lors d’interventions plus ponctuelles. S’il est difficile d’imaginer un praticien opérant sans l’assistance d’un personnel qualifié pour certaines spécialités (infirmier, par exemple), la mise à disposition d’un secrétariat peut paraître moins indispensable174.

130. En matière de contrat de travail, la mise à disposition de matériel, comme un téléphone portable ou un véhicule de service ou de fonction par exemple, est courante175. Rarement indispensable à l’exécution du contrat de travail, il n’en demeure pas moins

174 La question se pose alors de savoir au regard de quoi la mise à disposition est-elle indispensable : au maintien de la rentabilité de l’exercice du praticien ou au bon déroulement des soins ? Quel est le réel objectif des parties en matière médicale ?

175 V. i. a. : Cass. Soc. Du 02 juillet 2003, pourvoi n°01-41728 : « Attendu que pour débouter M. X... de sa

demande d'une indemnité au titre de l'avantage en nature constitué par la mise à la disposition d'un véhicule de fonction à usage professionnel et personnel dont il avait été privé en raison de l'inobservation du délai-congé, l'arrêt retient que cet avantage était lié à l'exercice de ses fonctions par le salarié ; Qu'en statuant ainsi, alors que l'inexécution du préavis ne doit entraîner aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait reçus s'il avait accompli son travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

que cette mise à disposition améliore les conditions de travail du salarié et qu’elle peut être un argument en faveur de la conclusion du contrat pour le salarié.

131. La mise à disposition peut ainsi être révélatrice du « niveau » d’une prestation. Similairement à ce qui s’observe en matière d’hôtellerie ou de restauration, les mises à disposition accessoires à un contrat d’entreprise peuvent justifier un prix plus élevé. Ainsi, un garagiste qui propose à ses clients la mise à disposition d’un véhicule de remplacement pendant la durée d’immobilisation de l’engin en réparation améliore la qualité de son service et présente ainsi un argument commercial non négligeable. Cette mise à disposition est analysée par la jurisprudence comme un prêt à usage176. Ce prêt peut être conclu sur un instrumentum distinct du contrat de réparation, mais il y a toujours un lien de dépendance entre les deux, car le prêt ou la location de véhicule isolément n’entre pas dans l’activité du garagiste177.

132. Il existe une autre illustration, encore plus répandue, d’une mise à disposition de confort qui « incarne » un ensemble contractuel plus vaste : le contrat de spectacle. Dans ce type de contrat d’entreprise, le spectateur « paie sa place ». Toutefois, ce qui l’intéresse réellement n’est pas le fauteuil qui est mis à sa disposition, mais la prestation à laquelle il peut assister depuis ce fauteuil. C’est ce que souligne le professeur PUIG : « cette place assise ne constitue qu’un moyen de procurer au créancier le service culturel pour la prestation duquel il a payé. Le but du contrat n’est pas de jouir paisiblement de ce fauteuil (ce qui évoquerait le bail ou le prêt), mais d’assister, tout aussi paisiblement, au spectacle »178. Nombre de prestations culturelles n’offrent d’ailleurs pas de places assises. La mise à disposition d’un siège est un élément accessoire destiné à rendre l’exécution du contrat plus confortable (au sens strict du terme en l’espèce !), mais elle

176 V. pour un exemple récent, Cass. Civ. 1ère du 10 juillet 2014, pourvoi n°12-25551 : « Qu'en signant

le contrat de prêt d'un véhicule de remplacement (…) l'emprunteur n'est tenu des dommages survenus à la chose prêtée que si les dommages sont survenus par sa faute ; que le fait de parcourir six cents kilomètres est l'usage normal d'un véhicule automobile, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, sans caractériser une faute de l'emprunteur, la cour d'appel a violé les articles 1880 et 1884 du code civil (…) ».

177 La mise à disposition d’un véhicule de remplacement peut également être prévue dans un contrat d’assurance, elle est alors une prestation de garantie en nature et n’intervient qu’en cas de réalisation des conditions stipulées au contrat d’assurance (le plus souvent panne ou accident du véhicule assuré impliquant son immobilisation pendant une durée définie).

représente plus largement le droit d’entrée, le droit d’assister à la représentation, qui est réellement l’objet du contrat.

133. Lorsque la mise à disposition ressort de l’objectif commun des parties, qu’elle en soit l’essence ou qu’elle ne constitue qu’un moyen – indispensable ou simplement d’agrément – de le réaliser, la volonté des parties doit être finement analysée afin d’accorder à la mise à disposition sa juste place dans l’économie du contrat (et donc, incidemment, les conséquences éventuelles sur le contrat en cas de défaillance dans la mise à disposition).

134. Ainsi, lorsqu’un animal est mis à disposition afin d’accompagner le bénéficiaire en promenade, la mise à disposition peut n’être qu’un accessoire améliorant le confort de la balade ou l’objet central du contrat et la distinction est très factuelle. Si la promenade organisée vise, par exemple, la découverte de sites touristiques accompagnée d’un guide et comporte un ensemble de prestations (des dégustations, des visites de musées…) et que des ânes sont mis à disposition des visiteurs pour porter leurs bagages ou agrémenter les trajets, la mise à disposition des animaux n’est qu’un moyen plus commode (et plus commercialement attractif ?) de réaliser la prestation, mais celle-ci peut tout à fait se faire sans la présence des animaux. Si, à l’inverse, le contrat porte uniquement sur une balade équestre, n’ayant d’autre but que le trajet, en lui-même, à dos d’équidé, la mise à disposition du cheval constitue alors l’objet principal du contrat (que le cavalier soit autonome ou non).

135. Cependant, dans tous ces cas et quelle que soit la façon dont la mise à disposition concourt à la réalisation du service, il y a toujours une autorisation d’utilisation : l’hôtelier autorise son client à utiliser le lit, le coffre-fort ou les produits de toilette, la clinique autorise le praticien à utiliser le bloc opératoire, l’entreprise de domiciliation autorise son client à utiliser ses locaux, l’employeur autorise son salarié à utiliser l’ordinateur, le téléphone portable ou le véhicule, etc.

136. La mise à disposition, comme objet principal ou comme accessoire plus ou moins indispensable au contrat, connaît donc de multiples déclinaisons dans lesquelles la théorie de la licence d’utilisation trouve à s’appliquer.

137. Dans chaque mise à disposition, le disposant autorise le bénéficiaire à utiliser la chose mise à disposition. Seules les conditions entourant cette licence varient : contrepartie, entretien de la chose, restitution éventuelle, exclusivité – la liste des modalités n’a de limites que celles de l’imagination des parties et du respect de l’ordre public. Selon le contrat choisi, les parties stipulent des conditions plus ou moins strictes pour encadrer l’autorisation d’utilisation et leur énumération n’aurait que peu d’intérêt et serait nécessairement très éloignée de toute exhaustivité.

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 69-74)

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