• Aucun résultat trouvé

Mise à disposition au bénéfice du « public »

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 140-144)

Conclusion du chapitre 1 : Les caractéristiques intrinsèques de la mise à disposition

Chapitre 2 L ES CARACTERISTIQUES EXTRINSEQUES DE LA MISE A DISPOSITION

II) Mise à disposition au bénéfice du « public »

278. La mise à disposition au profit du public313, de façon large, est visée dans environ le quart des articles de codes étudiés. Le bénéficiaire direct n’est donc pas contractuellement déterminé et le lien qui l’attache normalement à celui qui opère la mise à disposition demeure flou, ce qui diffère largement des autres cas, puisque, que le bénéficiaire soit une personne publique ou privée, la mise à disposition s’effectue habituellement dans le cadre d’un contrat entre personnes déterminées, la forme du contrat important peu.

279. Définir le « public » n’est pas chose aisée. En effet, le langage commun lui prête déjà plusieurs formes : « Ensemble de la population, des usagers d’un service. Ensemble de la clientèle visée ou atteinte par un média, à qui s’adressent un écrit, un spectacle, etc. Ensemble des gens présents » 314. En définitive, il semble que le public soit constitué de l’ensemble des personnes visées par une opération. La question demeure de savoir quelles sont les personnes en question lorsque le seul terme utilisé est le mot « public ». En somme, chaque tentative pour définir le « public » se solde par un renvoi à l’interrogation initiale : quels sont les individus qui constituent ce public ? Seul le contexte de la phrase peut apporter des indices quant à cette détermination315. À l’instar de la notion de mise à disposition, la notion de public n’est donc pas clairement définie. De manière similaire à la mise à disposition, on peut même suggérer qu’il n’y a pas un, mais des publics différents selon les utilisations du mot.

280. Dans le cadre de la mise à disposition d’un bien au profit du public, le bénéficiaire est indéfini (il est néanmoins déterminable) et il reste souvent anonyme (le passant qui prend un prospectus mis à disposition sur un étal ne donne pas son nom, par exemple) même après avoir bénéficié de la mise à disposition à laquelle il avait ainsi

313 Comme, par exemple, dans l’article R822-44 du Code de commerce, l’article 1609 sexdecies B du Code général des impôts ou l’article L335-2-1 du Code de propriété intellectuelle.

314 Larousse, 2014.

315 Par exemple, on peut supposer qu’une offre adressée au « public » de reprise d’un véhicule de plus de dix ans pour tout achat d’un nouveau véhicule s’adresse nécessairement aux personnes propriétaires d’un véhicule remplissant cette condition, à l’exclusion des autres lecteurs de l’offre. Pour autant, rien n’indique à première vue si l’offre s’adresse à des particuliers ou à des professionnels par exemple. L’indétermination du terme demeure donc.

accès. De ce fait, ne serait-ce qu’en raison de cet anonymat, le public bénéficiaire ne peut être soumis aux mêmes obligations que les bénéficiaires individuellement désignés, notamment en termes de contrepartie ou de restitution.

281. La première raison de l’existence de particularité tient à la difficulté de mettre en œuvre des sanctions en cas d’inexécution par une partie dont l’identité est inconnue. Le bon sens amène donc bien souvent à renoncer à imposer des obligations, surtout si elles sont lourdes, à une partie que l’on ne sera pas en mesure de contraindre à l’exécution, voire dont on ne pourra même pas contrôler si elle a ou non exécuté ses obligations. Parfois, un système global est mis en place pour tenter de contrôler de manière collective l’exécution des obligations par les membres du public, comme ce peut être le cas en matière de parkings de grandes surfaces dont les aménagements sont pensés pour empêcher les départs des clients avec les Caddies mis à disposition, mais cette méthode empirique demeure assez limitée.

282. La seconde raison tient à ce que l’acteur de la mise à disposition peut parfois trouver sa contrepartie ailleurs que dans le cadre direct de la mise à disposition. Ainsi, il est possible de distinguer principalement deux environnements à la mise à disposition d’un bien au profit du public. Le premier est un environnement institutionnel. Le bien mis à disposition doit pouvoir bénéficier à tous les citoyens sans distinction (ce sont eux qui constituent le « public » dans ce cas précis), afin de répondre à des principes fondamentaux (égalité, transparence, etc.). C’est le cas pour les documents légaux mis à disposition du public dans les mairies et préfectures316. La mise à disposition répond alors à un impératif de libre accès à l’information317.

283. L’autre cadre dans lequel on trouve fréquemment la mise à disposition au bénéfice du public est mercantile. Il s’agit de publicité (par la mise à disposition de prospectus ou de brochures, notamment) ou d’incitation à l’achat (le « public » visé est alors l’ensemble des clients potentiels en un lieu donné). Le disposant, même dans les cas

316 Cf,, i.a., les articles L2313-1 ou LO1112-8 du Code des collectivités territoriales.

317 Le bien réellement mis à disposition sur le plan juridique relève d’ailleurs souvent de la catégorie des « biens informationnels », dont la nature juridique est ambiguë, V. Section suivante quant à la nature des choses mises à disposition.

où les obligations du bénéficiaire sont contractuellement « allégées », y trouve malgré tout une contrepartie, la mise à disposition n’est donc pas désintéressée dans cette hypothèse, ce qui la distingue de la précédente.

284. Le public bénéficiaire de la mise à disposition peut même, dans certains cas, n’être que « potentiel ». Dans l’arrêt du 7 décembre 2006318, la CJCE relève que « le droit de communication au public comprend la mise à la disposition du public des œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. Or, ledit droit serait manifestement vidé de sa substance s’il ne portait également sur les communications effectuées en des lieux privés » (pt 51). Maître B. EDELMAN en conclut que le « droit de communication au public […] bouleverse nos catégories traditionnelles de droit de reproduction et de représentation. Ce qui est fondamental dans ce droit, c’est qu’il se résume à une simple “mise à disposition” des œuvres, à une offre permanente si l’on préfère, peu important que le public en jouisse effectivement. En d’autres termes, le public existe du seul fait de cette mise à disposition, ce qui explique qu’il puisse n’être que potentiel ; il est libre d’utiliser ou non l’information qui lui est proposée »319. Le public, bénéficiaire de la mise à disposition, peut donc n’être que potentiel, puisqu’il peut ne pas exister (en l’espèce, si l’hôtel n’a pas de client, les œuvres audiovisuelles qui y sont mises à disposition n’auront pas de public), c’est dire à quel point la catégorie est vaste !

285. La mise à disposition au bénéfice du public peut donc, à notre sens, se diviser en deux types : la mise à disposition en tant qu’offre de contracter et la mise à disposition en tant que contrat à part entière. Lorsqu’elle est offre, la mise à disposition au public est une offre à personne indéterminée. Lorsqu’elle est contrat, elle est en fait convenue avec un cocontractant qui est, à défaut d’être nommément déterminé, demeure déterminable par d’autres biais (un individu ne se limite pas à un nom). La situation est comparable, toute mesure gardée (les personnes étant toujours difficilement comparables aux choses), aux contrats portant sur les choses de genre. Le bien, objet du contrat, demeure

318 CJCE 7 déc. 2006, D. 2007. AJ 91, obs. Daleau; Jur. 1236, note Edelman ; RTD com. 2007. 85, obs. Pollaud-Dulian; CCE 2007, comm. no 24, obs. Caron; Légipresse 2007, II, p. 185, obs. Alleaume; Propr. intell. 2007, no 22, p. 86, obs. Lucas.

319 B. EDELMAN, «Vers une définition du droit de communication au public», Recueil Dalloz, 03 mai 2007, n° 18, p. 1236.

indéterminé jusqu’à son individualisation. Une offre de mise à disposition « adressée au public » n’est en fait qu’une mise à disposition comme une autre, si ce n’est que le cocontractant n’est « individualisé », sorti de l’ensemble que représente le public, qu’au moment où il consent au contrat. Le fait que, dans la plupart de ces hypothèses, le contrat ne soit pas écrit ne présente pas d’originalité particulière. Par ailleurs, le fait que le cocontractant final demeure anonyme n’est pas non plus une situation nouvelle, puisque le contrat de vente conclu entre un consommateur et un commerçant, entre autres exemples, est parfait sans que le client n’ait à donner son nom. De même, il est fréquent qu’un contrat soit conclu au bénéfice d’une personne dont l’existence n’est que potentielle et qui n’est donc pas déterminée, mais simplement déterminable, comme un enfant à naître, par exemple.

286. Malgré ce, le fait que, par la mise à disposition, le législateur fasse d’une personne qui n’est pas déterminée ou qui n’a pas la personnalité morale un sujet de droit soulève des interrogations.

§2 : La mise à disposition, créatrice de sujets fictifs ?

287. La présence d’une fiction serait révélatrice d’une faille dans la construction juridique (I). Toutefois, si en érigeant certaines entités, habituellement non dotées d’une personnalité juridique, comme bénéficiaires de l’opération, la mise à disposition semble créer un tel artifice, cette éventualité doit être rejetée (II).

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 140-144)

Documents relatifs