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Intérêt de l’opération

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 174-180)

DE DROITS REELS

B) Intérêt de l’opération

358. La mise à disposition naît d’une manifestation de volonté. Si les parties expriment ainsi une telle volonté, c’est qu’elles y trouvent un intérêt, tant pour le bénéficiaire que pour le disposant.

359. Pour autant, comme cela a été évoqué, l’intérêt375 des parties ne consiste pas toujours en l’existence d’une contrepartie pécuniaire à leur engagement. Ainsi, dans l’article L330-3 du Code du commerce, la mise à disposition se fait en raison d’un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité. Il existe également des mises à disposition qui ne sont pas des contrats synallagmatiques, mais des actes unilatéraux. C’est le cas, par exemple, de la mise à disposition offre de prêt à usage376. Dans cette hypothèse, si la mise à disposition est un acte unilatéral, le disposant agit, théoriquement377, sans attendre une contrepartie. Ensuite, il est des cas où la mise à disposition est, certes synallagmatique, mais s’opère à titre gratuit : donation ou prêt. L’existence d’une contrepartie au fait que le disposant autorise le bénéficiaire à utiliser son bien ne peut donc être systématisée et la recherche de la présence d’une contrepartie ne se fait plus uniquement dans le seul sein du contrat : la jurisprudence accepte depuis de nombreuses années de prendre en compte l’économie générale du contexte contractuel pour vérifier l’existence d’une contrepartie378.

360. Toutefois, même à l’échelle de l’opération contractuelle, l’absence de contrepartie, monétaire ou non, ne peut suffire à disqualifier l’acte. D’une part, la dichotomie acte gratuit/acte onéreux doit être dépassée, car il existe nombre d’actes qui, bien que ne prévoyant pas de contrepartie directe, n’en sont pas pour autant gratuits et ne révèlent aucunement un animus donandi – les actes intéressés, notamment en matière de

375 Faut-il le rapprocher de « l’intérêt » entendu un temps comme substitut de la cause dans la réforme en cours du droit des contrats ?

376 V. supra.

377 V. toutefois supra la sous-partie concernant le caractère intéressé de certains contrats.

prêt, sont légion379. D’autre part, comme le note le professeur P. PUIG en matière de contrat d’entreprise, « il est permis de douter de la pertinence d’une discrimination fondée sur la seule présence d’une contrepartie »380. La remarque est transposable en matière de mise à disposition : rien ne justifie que l’onérosité emporte ou, à l’inverse, exclue la qualification de mise à disposition. Entre dans le champ des mises à disposition toute opération dans laquelle le disposant autorise le bénéficiaire à utiliser la chose mise à disposition, qu’il y ait ou non une contrepartie.

361. En ce sens, l’interdiction, posée à l’article L2222-7 du Code général de la propriété des personnes publiques, des « opérations de mise à disposition réalisées […] à titre gratuit [ou] à un prix inférieur à la valeur locative » ne disqualifie pas les mises à disposition sans contrepartie ou avec une contrepartie insuffisante, elle ne fait que les prohiber dans le cadre spécifique de l’utilisation du domaine privé mobilier des personnes publiques. Au contraire, la formulation de l’article induit bien que le terme d’ « opérations de mise à disposition » englobe en principe les actes faits à titre onéreux (à un prix inférieur, supérieur ou égal à la valeur locative) ou à titre gratuit.

362. L’existence d’une contrepartie exerce naturellement une influence sur la lourdeur des obligations mises à la charge du bénéficiaire, mais aussi, à l’instar de ce que constate le professeur P. PUIG en matière de contrats d’entreprise381, sur le degré d’exigence pesant sur le disposant. Par exemple, lorsqu’un disposant met gratuitement un bien à disposition d’un bénéficiaire, il se voit, le plus souvent, appliquer, selon que la mise à disposition soit ou non accompagnée d’un transfert de propriété, le régime du prêt ou de la donation, tandis que si la mise à disposition est effectuée à titre onéreux, le régime applicable est, symétriquement, celui du bail ou de la vente. Or, les obligations à la charge du vendeur sont plus lourdes que celles du donateur382, de même que les

379 C’est le cas, par exemple, des contrats de sponsoring, des distributions d’échantillons, des mises à disposition de caddies ou d’autres produits destinés à inciter le bénéficiaire à conclure un autre contrat qui, lui, comportera une contrepartie.

380 Pascal PUIG, La qualification du contrat d'entreprise, Paris : EPA, 2002, [Th. doct. : Droit privé : Paris II : 1999], 1041 p..

381 « La contrepartie n’exerce, au mieux, d’influence que sur le degré d’exigence pouvant être mis à la

charge du prestataire », Pascal PUIG, La qualification du contrat d'entreprise, Paris : EPA, 2002, [Th. doct. :

Droit privé : Paris II : 1999], 1041 p., op. cit.

obligations du bailleur sont plus lourdes que celles du prêteur à titre gratuit383. Ainsi, dans les deux cas, le caractère gratuit de la mise à disposition allège les obligations du disposant à l’égard du bénéficiaire. Lorsque la mise à disposition n’est pas à titre gratuit, mais à titre « intéressé », la jurisprudence aligne fréquemment les obligations du disposant sur celles qui pèsent sur lui en cas de mise à disposition à titre onéreux384.

363. Par conséquent, l’existence d’une contrepartie peut avoir des conséquences en matière de régime – mais elle ne modifie nullement la qualification de mise à disposition. L’opération de mise à disposition est, certes, le plus couramment, faite à titre onéreux ou intéressé, l’intention libérale étant généralement écartée de la vie des affaires, mais ceci n’exclut pas pour autant les actes gratuits du champ des mises à disposition. Les raisons qui peuvent amener le disposant à mettre son bien à disposition du bénéficiaire sont donc multiples, bien que souvent spéculatives, mais toujours indifférentes à la qualification de l’opération de mise à disposition.

364. Quoi qu’il en soit, la volonté du disposant de mettre son bien à disposition du bénéficiaire ne suffit pas, encore faut-il qu’il en ait le pouvoir.

383 En termes d’entretien, par exemple.

II) Pouvoir

365. Analyser le pouvoir nécessaire afin d’autoriser un tiers à utiliser un bien soulève deux questions : doit-on être propriétaire dudit bien (A) et quelle est la nature du pouvoir en jeu (B).

A) Mise à disposition de chose d’autrui

366. La mise à disposition de chose d’autrui est toujours possible dans la limite de l’adage « nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet ». Celui-ci traduit clairement l’idée que le disposant doit avoir le pouvoir nécessaire pour autoriser le bénéficiaire à utiliser le bien. La nature de ce « pouvoir requis » dépend du contexte contractuel dans lequel la mise à disposition est effectuée.

367. Ainsi, lorsque la mise à disposition s’inscrit dans le cadre d’un louage, la mise à disposition de la chose d’autrui est possible dans une certaine mesure. En effet, le bail de la chose d’autrui n’est pas nul. Inter partes, il est valable et produit bien ses effets entre bailleur et preneur385. Simplement, il demeure, le plus souvent, inopposable au propriétaire du bien, sauf dans le cas d’une erreur commune, car, dans cette hypothèse, le bail, fut-il à long terme, consenti par le propriétaire apparent est valable et opposable au véritable propriétaire386. De plus, en dehors de la particularité des baux ruraux ou commerciaux, l’article 595 du Code civil autorise l’usufruitier à « donner à bail à un autre », ce qui démontre bien qu’il n’est nul besoin de disposer de l’entière propriété d’un bien pour le donner à bail.

368. Concernant le commodat, aucun texte n’interdit expressément de prêter la chose d’autrui. Certains auteurs estiment que l’article 1877 du Code civil, qui dispose que « le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée » semble poser un sous-entendu concernant la qualité de propriétaire du prêteur. Toutefois, il nous semble que cet article

385« Le bail de la chose d'autrui, qui n'est pas nul, mais inopposable au propriétaire, produit ses effets

dans les rapports entre le bailleur et le preneur, tant que celui-ci en a la jouissance paisible », Cass. Civ. 3ème du 2 février 2010, pourvoi n°08-11233.

(qui ne dit pas que le prêteur doit être propriétaire de la chose, mais plutôt que s’il était propriétaire avant le prêt, il le reste pendant le prêt, puisqu’il n’y a pas transfert de propriété) doit être lu davantage comme mettant en exergue la différence entre le prêt à usage, n’entraînant pas de transfert de propriété et le prêt de consommation, qui, lui, entraîne bien un transfert de propriété entre le prêteur et l’emprunteur.

369. À l’inverse, la solution semble être différente pour le prêt de consommation. En effet, l’article 1893 du Code civil dispose clairement que « par l’effet de ce prêt, l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée ». Ce transfert de propriété au bénéfice de l’emprunteur implique nécessairement que le prêteur soit initialement le propriétaire du bien, sans quoi il ne peut transférer un droit dont il ne dispose pas lui-même. Le prêt de consommation de la chose d’autrui serait donc nul pour cette raison. Cette solution, déjà adoptée en droit romain, a été rappelée par G. BAUDRY -LACANTINERIE et A. WAHL à la fin du siècle dernier387 et reprise depuis par de nombreux auteurs388.

370. Dans le même sens, l’article 1599 du Code civil dispose que « la vente de la chose d’autrui est nulle (…) »389, le non-propriétaire n’ayant logiquement pas le pouvoir de transférer à un tiers un droit de propriété qu’il ne détient pas lui-même. Pourtant, de nombreuses ventes sont conclues en ayant pour objet des choses sur lesquelles pèse encore une clause de réserve de propriété et les mécanismes boursiers usent fréquemment de ventes de choses d’autrui390.

371. Enfin, l’usufruit de la chose d’autrui est, selon J.-B.-V. PROUDHON391, impossible pour la même raison. Ce propos peut être nuancé en ce que le bénéficiaire

387 Gabriel BAUDRY-LACANTINERIE et Albert WAHL, Traité théorique et pratique de droit civil.

10, De la société, du prêt, du dépôt, Larose, 1898.

388 V. i. a. François GRUA, « Prêt de consommation ou prêt simple », in JurisClasseur Civil Code - Art.

1892 à 1904, LexisNexis, 2013

389 L'action en nullité de la vente de la chose d'autrui ne pouvant être demandée que par l'acquéreur et non par le propriétaire qui ne dispose que d'une action en revendication (Cass. com., 15 oct. 2013, n° 12-19.756, F-D, X c/ Y : JurisData n° 2013-022850, note Leveneur : Laurent LEVENEUR, « La nullité de la vente de la chose d'autrui est relative... », Contrats Concurrence Consommation, Janvier 2014, n° 1).

390 V. sur ce point : Philippe NEAU-LEDUC, Droit bancaire, 5ème éd., Dalloz, 2015.

391 Jean-Baptiste-Victor PROUDHON, Traité des droits d'usufruit, d'usage, d'habitation et de

d’un usufruit valablement constitué par le propriétaire initial du bien peut, à son tour et bien que n’étant pas pleinement propriétaire de la chose démembrée, transmettre de son vivant l’usufruit à un tiers. Dans ces conditions précises, l’usufruit de la chose d’autrui n’est donc pas nul, puisque le constituant est bien titulaire des droits qu’il souhaite transmettre392.

372. En conséquence, dans les formules contractuelles classiquement assimilées à une mise à disposition, la mise à disposition de la chose d’autrui est tantôt possible, tantôt annulable, tantôt limitée à certains effets, et ce, en fonction de l’environnement contractuel dans lequel elle s’inscrit. La permanence tient en la symétrie qui exigée : le bénéficiaire ne peut recevoir davantage de droits que ceux dont le disposant est titulaire.

373. De ce fait, l’analyse de la mise à disposition entendue comme une licence d’utilisation amène à s’interroger quant à la nature du pouvoir concédé par le disposant : en autorisant le bénéficiaire à utiliser la chose, quel(s) droit(s) le disposant confère-t-il au bénéficiaire ? Quelle que soit la nature de ce « droit d’utilisation », il suffit que le disposant en soit titulaire pour pouvoir le transférer au bénéficiaire. La mise à disposition de la chose d’autrui est donc valable dès lors que le disposant est titulaire du « droit d’utiliser la chose ».

392 Toutefois, l’usufruit qu’il transmet dans ce cas est limité à la durée de l’usufruit initialement constitué par le propriétaire du bien, soit, généralement, à sa propre durée de vie. De plus, « autrui » vise ici le nu-propriétaire, ce qui peut être discuté. En effet, en cas de démembrement de propriété, la question de savoir à qui « appartient » véritablement la chose n’est pas toujours tranchée de façon évidente. Cette exception à la nullité de l’usufruit de la chose d’autrui est donc doublement limitée.

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