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L’autorisation d’utilisation à travers les contrats de qualification complexe

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 62-67)

SECTION 2 Une qualification alternative : la licence d’utilisation

B) Prêt de consommation

IV) L’autorisation d’utilisation à travers les contrats de qualification complexe

113. Certains contrats de mise à disposition peuvent être difficiles à qualifier ou fréquemment sujets à requalification par le juge, car ils possèdent les caractéristiques de plusieurs contrats nommés proches – louage, vente, transport, etc. – comme dans certains contrats maritimes (a) ou le contrat d’entreprise (b). Pour autant, ces « contrats frontière » sont, avec le temps, de mieux en mieux distingués de leurs voisins et leurs spécificités sont reconnues. Toutefois, leur nature parfois singulière et leur régime souvent particulier n’empêchent pas de reconnaître en leur sein une licence d’utilisation.

A) L’autorisation d’utilisation dans le domaine maritime

114. Le contrat d’affrètement est défini par l’article L5423-1 du Code des transports comme le contrat par lequel « le fréteur s'engage, moyennant rémunération, à mettre un navire à la disposition d'un affréteur ». Il existe deux types d’affrètements : l’affrètement simple et l’affrètement croisé. L’affrètement simple se subdivise en trois sous-catégories : l’affrètement coque-nue, l’affrètement à temps et l’affrètement au voyage.

115. L’affrètement coque-nue est délimité par l’article L5423-8 du Code des transports. Ce dernier dispose : « Par le contrat d'affrètement coque nue, le fréteur s'engage, contre paiement d'un loyer, à mettre à la disposition d'un affréteur un navire déterminé, sans armement ni équipement ou avec un équipement et un armement incomplets pour un temps défini », alors que l’article L5423-10 du même code définit l’affrètement à temps comme le contrat par lequel « le fréteur s'engage à mettre à la

disposition de l'affréteur un navire armé, pour un temps défini ». Dans le premier,

l’affréteur gère la partie commerciale ainsi que la partie nautique du transport, alors que, dans le second, le fréteur conserve la gestion nautique du navire, tandis que l’affréteur n’en assure que la gestion commerciale. Dans les deux cas, l’objet du contrat est l’exploitation commerciale du bateau, donc l’utilisation de l’embarcation, mais la chose mise à disposition n’est pas exactement la même. En effet, dans l’affrètement coque-nue, le fréteur autorise l’affréteur à utiliser l’embarcation seule, ce qui est une licence d’utilisation relativement classique (souvent soumise au droit international en fonction du

contexte qui l’entoure). Il en va différemment de l’affrètement à temps dans lequel le fréteur met non seulement le navire à disposition, mais également son équipage. L’objet du contrat est toujours l’exploitation commerciale du bateau, mais la chose mise à disposition a une nature complexe. Le fréteur assure la gestion de l’équipage et la responsabilité en cas de faute de celui-ci. Pourtant, l’utilité tirée du travail de cet équipage profite à l’affréteur, qui paye un fret plus important que dans un affrètement coque-nue.

116. S’agit-il là d’une mise à disposition (du navire) qui aurait pour accessoire un service (faire fonctionner le navire par l’équipage), à l’instar d’une location d’appartement associée à un service de ménage ? Ou s’agit-il seulement d’une mise à disposition d’un bien à double nature (navire et force de travail de l’équipage) ? Les textes offrent peu d’indices en faveur de l’une ou l’autre des hypothèses, mais la rédaction de la loi nous amène à trancher en faveur de la seconde solution. En effet, l’article L5423-10 du Code des transports dispose simplement que « le fréteur s'engage à mettre à la disposition de l'affréteur un navire armé ». Le terme « armé » signifie que le fréteur fournit l’équipage, le matériel, le ravitaillement et, d’une manière générale, l’ensemble de ce qui est nécessaire à l’expédition. Le fait d’inclure sous une même dénomination tant les biens meubles que l’équipage indique, à notre sens, une nature unitaire du contrat, qui serait donc une mise à disposition d’un bien (le navire) et des accessoires utiles à son fonctionnement (biens meubles d’équipement et force de travail d’un équipage) et non un contrat complexe associant une convention de mise à disposition et un contrat de service. Cette vision impose nécessairement d’adhérer à une conception de la force de travail comme bien – conception qui n’est pas sans soulever de controverse165 – ou, mieux encore, comme une chose à usage.

117. L’analyse est différente en matière d’affrètement au voyage. L’article L5423-13 du Code des transports dispose : « Par le contrat d'affrètement au voyage, le fréteur

met à la disposition de l'affréteur, en tout ou en partie, un navire en vue d'accomplir un

ou plusieurs voyages ». Cette définition est, à première vue, très proche de celle de

165 V. Thierry REVET, La force de travail : étude juridique, Paris : Litec, 1992, [Th. doct. : Droit privé : Montpellier I : 1991], 727 p., déjà évoquée V. supra : développements sur la nature de bien de la force de travail, Titre 1, Chapitre 2.

l’affrètement coque-nue. Cependant, dans l’affrètement au voyage, non seulement le navire en question est entièrement armé, à l’instar de l’affrètement à temps, mais, au surplus, le fréteur conserve l’entière gestion du bateau, tant nautique que commerciale. L’objectif visé par les parties n’est plus l’exploitation du navire par l’affréteur, mais seulement le déplacement des marchandises que l’affréteur confie au fréteur. Dans cette hypothèse, la configuration est très proche d’un contrat de transport maritime, puisque l’affréteur conclut le contrat dans le seul but de voir sa cargaison transportée. La part de la force de travail est, dans ce cas, très importante. Pour autant, l’affrètement au voyage n’est pas considéré comme un contrat de transport maritime en tant que tel, les dispositions légales sont d’ailleurs clairement distinctes166. Dans le contrat de transport, le transporteur s’engage à prendre en charge des marchandises, à les déplacer d’un point à un autre et à les livrer à destination. Dans l’affrètement au voyage, l’affréteur autorise l’affréteur à utiliser un espace à bord (ce peut être une partie ou la totalité de la capacité d’emport de l’embarcation). L’affréteur au voyage peut, dans cet espace, faire transporter sa propre marchandise, sous-fréter ou conclure lui-même un contrat de transport avec un tiers. Bien que la distinction soit fine, elle demeure marquée, le contrat de transport étant un service portant sur une marchandise déterminée ou déterminable, tandis que l’affrètement au voyage est une mise à disposition d’espace sur un navire effectuant un trajet donné. Dans l’affrètement, le navire mis à disposition est déterminé ou déterminable, ce qui importe moins en matière de contrat de transport. Le professeur Ph. DELEBECQUE résume ainsi la différence : « Il y a donc transport lorsque le débiteur contractuel s’est engagé à déplacer une marchandise, quelle qu’elle soit, d’un point à un autre avec la maîtrise du déplacement et à la livrer à destination. L’affrètement est, de son côté, caractérisé lorsqu’un armateur s’est engagé à l’égard d’un chargeur à mettre à sa disposition, moyennant le versement d’un prix, un navire ou une partie d’un navire »167. In fine, c’est l’intention des parties, révélée par le contenu des clauses contractuelles, qui marque la véritable distinction entre les deux types de contrats.

166 La réglementation en matière de transport maritime, notamment en droit international, est beaucoup plus développée qu’en matière d’affrètement au voyage.

167 Philippe DELEBECQUE, « Contrats de "services" : quelle qualification ? », Gazette de la Chambre -

118. Une telle mise à disposition d’espace d’emport sur un navire se retrouve dans l’affrètement croisé. L’affrètement croisé est une sorte d’échange (au sens commun et le plus global du terme, sans transfert de propriété en la matière) : afin d’assurer des déplacements réguliers de marchandises sur un trajet donné, des armateurs mutualisent leurs moyens. Chacun obtient un espace de chargement total sur les autres navires équivalent à l’espace d’emport qu’il met à disposition des autres sur son propre bateau.

119. Ainsi, bien que certains types de contrats concernent des choses de nature complexe (biens ? choses à usage ? services ?) et malgré les similitudes parfois troublantes avec le contrat de transport, la théorie de la licence d’utilisation trouve bien à s’appliquer pour toutes les sortes d’affrètements maritimes et constitue d’ailleurs l’objectif principal des parties. Le raisonnement est transposable en matière d’affrètement aérien et routier, car, même si certaines dénominations diffèrent, les différents mécanismes de mise à disposition demeurent identiques à ceux du nolisement.

120. Dans le contrat de mise à disposition d’un anneau de mouillage dans un port, l’objectif des parties n’est pas tant la mise à disposition de l’anneau en lui-même que de l’emplacement de mouillage qu’il représente. Certes, l’anneau rend le mouillage nettement plus confortable qu’un simple « corps mort » plus éloigné du port168, mais il ne demeure, pour les parties, qu’un moyen de matérialiser l’emplacement concédé. La mise à disposition d’emplacement de mouillage qui transparaît à travers la mise à disposition d’anneau au port existe sous deux formes : l’amodiation ou la location. Émanant du droit territorial, les places de ports sont gérées par les mairies relayées par les capitaineries. Toutes les côtes sont la propriété inaliénable de l’État – seuls les ports de rivière sont soumis à une réglementation différente –, c’est la raison pour laquelle les communes n’accordent qu’une concession limitée (35 ans au plus). Le plus souvent, de nombreuses clauses limitent l’usage de l’anneau, notamment l’interdiction de le louer, de le modifier et de le vendre sans l’aval et la coopération de la capitainerie. Qu’elle prenne la forme d’une amodiation ou d’un louage, la mise à disposition d’anneau est donc une mise à

168 En l’absence d’anneau en port, l’amarrage se fait sur un corps mort, situé plus au large, qui nécessite l’utilisation d’un canot pour atteindre le navire. Autre solution : le port à sec (avec « racks » ou avec terre-plein), qui nécessite des engins de levage spécifiques pour mettre le bateau à l’eau. L’anneau permet, sans conteste, l’utilisation la plus confortable.

disposition de « confort » symbolisant la véritable mise à disposition d’emplacement de mouillage qu’elle représente, mais elle constitue bien, sur les deux plans, une autorisation d’utilisation (de l’emplacement principalement et de l’anneau lui-même, accessoirement).

121. Au-delà du domaine maritime, l’autorisation d’utilisation se retrouve dans un contrat plus répandu (mais dont la qualification est parfois également source d’interrogations) : le contrat d’entreprise.

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