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L’absence de numerus clausus

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 189-192)

DE DROITS REELS

SECTION 2 La mise à disposition opérant transfert de droits réels

I) L’absence de numerus clausus

396. L’un des arguments fréquemment avancés naguère pour refuser à certains droits le qualificatif de « réels » était que lesdits droits ne figuraient pas dans la liste des droits réels telle qu’établie par le législateur. Selon cette doctrine, la loi, et en particulier l’article 543 du Code civil, établirait une liste exhaustive, sorte de numerus clausus des droits réels, qu’il ne serait pas possible de dépasser. L’article 543 du Code civil dispose en effet : « On peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre ». Une lecture restrictive de cet article a amené ces auteurs à penser que les seuls « droits sur les biens », entendus comme droits réels, qu’il puisse y avoir seraient la propriété (expressément visée), l’usufruit et le droit d’usage et d’habitation – qui, seuls, correspondraient, selon eux, au « simple droit de jouissance » mentionné par le législateur – et les servitudes (« services fonciers »). Toutefois, cette vision étriquée des droits réels a été vivement contestée et ne rallie plus, désormais, qu’une partie très minoritaire de la doctrine.

397. En effet, il apparaît clair que l’article 543 du Code civil n’établit pas une liste exhaustive des droits réels, mais constituerait plutôt, ainsi que le souligne le professeur R. LIBCHABER, une « annonce [du] plan » 407 des dispositions du Code portant sur les droits classiquement considérés comme réels : la propriété408, l’usufruit409, le droit d’usage et d’habitation410 et, enfin, les servitudes411.

398. Quoi qu’il en soit, d’une part, le législateur n’indique à aucun moment de façon expresse que l’article 543 du Code civil constituerait une liste limitative. Dans le silence de la loi, il n’est pas interdit de penser que la liste puisse être non exhaustive. D’autre part, le législateur lui-même, comme l’indique la dizaine de droits réels consacrés dans les différents codes, ne semble pas considérer qu’il y ait un nombre limitatif de droits réels412 et la jurisprudence, depuis presque deux siècles, n’hésite pas non plus à consacrer ponctuellement de nouveaux droits réels. Ainsi, dès 1834, la Cour de cassation estimait que « ni [les articles 544, 546 et 552 du Code civil], ni aucune autre loi n’excluent les diverses modifications et décompositions dont le droit ordinaire de propriété est susceptible » 413, rejetant ainsi tout caractère exhaustif d’une quelconque liste de droits réels. Divers arrêts ultérieurs ont allongé la liste des droits réels reconnus, tels un droit de

407 Rémy LIBCHABER, « Les habits neufs de la perpétuité », Revue des contrats, 01 avril 2013, n° 2, p. 584 : à propos de la faculté de dépasser le numerus clausus des droits réels : « On s'en émouvra d'autant

moins que celui-ci n'a jamais existé que dans la pensée d'un certain nombre d'auteurs des siècles passés, qui l'ont assis sur l'article 543 du Code civil au mépris de sa fonction manifeste. La lecture la moins informée de ce texte montre qu'il s'agit d'une annonce de plan, destinée à dévoiler la variété des utilités foncières qui vont être décrites – la propriété, les droits réels, les servitudes enfin ».

408 Articles 544 et suivants du Code civil.

409 Articles 578 et suivants du Code civil.

410 Articles 625 et suivants du Code civil.

411 Articles 637 et suivants du Code civil.

412 La « liste » établie par l’article 543 du Code civil – et réduite à la propriété, à l’usufruit, au droit d’usage et d’habitation et aux servitudes – se trouve déjà dépassée par la loi elle-même, puisque d’autres codes qualifient ainsi de réels l’emphytéose, le bail à construction et le bail réel immobilier, la concession de mines et d’installations hydrauliques.

413 Req. 13 février 1834, arrêt « Caquelard », S. 1834, 1, p. 205 ; H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les

superficie414, un droit de jouissance sur les parties communes d’un immeuble415 ou sur un emplacement de stationnement416, un droit de crû et à croître417

399. Rien dans la loi ni dans la jurisprudence n’interdit donc la création de nouveaux droits réels et, comme le fait remarquer J.-L. BERGEL, « la multitude des démembrements de propriété dans l’ancien droit et la diversité des droits réels en droit comparé illustrent la variété de leurs possibles applications »418. Les seules limites à la création de nouveaux droits réels sont donc l’imagination des parties et le respect de l’ordre public. Il s’agit là d’une nouvelle illustration du pouvoir créateur de la volonté des parties419 : les parties peuvent non seulement choisir une qualification, mais également en inventer une nouvelle si le panel des qualifications existantes ne répond pas à leurs besoins. Ce faisant, elles créent un droit nouveau, souvent qualifié de sui generis, et parfois intégré dans un contrat innomé420.

400. En matière de mise à disposition, comme dans d’autres domaines, rien de s’oppose donc, a priori, à la découverte d’un droit réel d’un nouveau genre : un droit réel d’usus sur le bien mis à disposition. Cette reconnaissance du caractère réel des mises à disposition en général est d’autant plus envisageable que certaines mises à disposition en particulier comptent déjà parmi les droits réels établis.

414 3e Civ., 6 mars 1991, pourvoi n° 89-17.786, Bull. 1991, III, n° 84, pour un droit d’usage sur une parcelle de terrain consenti sans limitation de durée à une commune.

415 3e Civ., 4 mars 1992, pourvoi n° 90-13.145, Bull. 1992, III, n° 73, admettant l’existence d’un droit de jouissance exclusif et perpétuel sur une partie commune d’un immeuble en copropriété.

416 3e Civ., 2 décembre 2009, pourvoi n° 08-20.310, Bull. 2009, III, n° 266 : « si le seul droit de

jouissance exclusif sur un ou plusieurs emplacements de stationnement ne conférait pas la qualité de copropriétaire, son titulaire bénéficiait néanmoins d’un droit réel et perpétuel ».

417 Cass. 3e civ., 23 mai 2012, pourvoi n° 11-13.202, FS P+B, reconnaissant même un caractère perpétuel à ce droit.

418 Jean-Louis BERGEL, « Du numerus clausus des droits réels ? », RDI, 2010, p. 409.

419 V. sur ce pouvoir de la volonté individuelle : François TERRÉ, L'influence de la volonté individuelle

sur les qualifications, L.G.D.J., 1957, [th. doct. : Droit privé : Paris : 1955].

420 « Innomé » au sens juridique du terme, étant entendu que, bien souvent, les parties donnent un titre – donc un nom – à leur convention, titre qui peut parfois perturber la bonne requalification et oblige le juge à rechercher quelle était la volonté des parties, i. e. quel était le régime qu’elles souhaitaient se voir appliquer.

II) L’existence déjà reconnue de mises à disposition opérant

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