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La mise à disposition, qualifiant les autorisations administratives

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 150-153)

Conclusion du chapitre 1 : Les caractéristiques intrinsèques de la mise à disposition

SECTION 2 La vraie singularité des objets mis à disposition

I) La mise à disposition, qualifiant les autorisations administratives

301. À première vue, les autorisations délivrées par une administration quelconque ne devraient pas appartenir à la catégorie des biens. L’une des raisons de cette exclusion tient au fait que, l’action publique étant désintéressée, ce caractère devrait exclure toute idée de patrimonialité de l’autorisation délivrée. Cependant, si l’autorisation est délivrée sans contrepartie financière par l’administration, une fois accordée, cette autorisation représente bien une valeur dont le bénéficiaire pourra se prévaloir à l’égard des tiers. Le professeur L. LORVELLEC notait ainsi que « les filets usés des principes d’égalité et de gratuité n’ont pu [les] retenir longtemps hors du commerce »329.

302. Il existe un véritable marché pour certaines autorisations, comme les licences (licences de taxi, licences pour les débits de boissons, licences de l’ARS pour les offices de pharmacie, etc.), les charges (notariales, d’huissiers ou encore d’avocats à la Cour de cassation ou au Conseil d’État) ou les quotas (quotas agricoles, quotas d’émission de gaz à effet de serre…). Le professeur Th. REVET s’interroge sur ce point en ces termes : « La multiplication contemporaine des autorisations administratives indispensables à l’exercice d’activités professionnelles (...) pose la question de leur insertion parmi les biens » 330. Étudiant la question des quotas betteraviers, il note que, bien qu’il ne soit pas possible de céder les droits de livraison séparément des droits sur la parcelle agricole, cette « objection ne tient pas, car la qualité de bien s’accommode de restrictions au droit de disposer : l’impossibilité d’engager une chose dans telle opération d’échange ne la place pas hors des biens chaque fois que cette même chose s’ouvre à d’autres opérations, spécialement si ces dernières assurent nettement l’entrée dans un marché »331. Le professeur Th. REVET en conclut que le quota betteravier est assurément un bien, bien d’exploitation présentant la particularité d’être attaché à la terre exploitée.

303. L’analyse est similaire pour d’autres hypothèses que les quotas agricoles. En matière de charges et de licences, le caractère incessible de l’autorisation a amené

329 Louis LORVELLEC, « Quotas laitiers et exploitation agricole », Revue de droit rural, 1985, 137, p. 417.

330 Thierry REVET, « Notion de bien - (Civ. 3ème, 1er octobre 2003, X..., pourvoi n°02-14958) », RTD

Civ., 2003, p. 730. 331 Ib id.

plusieurs auteurs à s’interroger sur la qualification à donner à la permission ainsi délivrée. Dans ces cas, la valeur que le titulaire de l’autorisation peut retirer de l’abandon de sa charge ou de sa licence au profit d’un tiers est bien réelle et la question se pose de savoir quel en est le support – la valeur patrimoniale correspondant à la représentation monétaire d’un bien332. Pour Monsieur Th. DOUVILLE, qui écrit à propos de la licence de taxi, la valeur patrimoniale repose sur le contrat de présentation de successeur conclu entre le titulaire de l’autorisation et le repreneur333. Maître J. HERAIL rappelle que « le droit conféré à l’officier public ou ministériel par l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 est considéré comme un droit mobilier incorporel. Il est hors commerce et, relevant de l’intérêt public, ne peut être licitement cédé à un tiers334. Il a été jugé que, si l’office notarial et le titre de notaire ne sont pas dans le commerce, le droit, pour le notaire, de présenter un successeur à l’autorité publique constitue un droit patrimonial qui peut faire l’objet d’une convention régie par le droit privé335 »336. La charge ou la licence serait donc hors commerce, tandis que la convention à titre onéreux porterait sur le droit d’être présenté à l’administration.

304. Ce raisonnement soulève des interrogations sur plusieurs points. Il semble tout d’abord que le droit de présenter un successeur à l’administration est intrinsèquement lié à la charge ou à la licence. L’autorisation délivrée est, à notre sens, double : l’administration autorise le titulaire à conclure différentes sortes d’actes : d’une part, des conventions constituant l’exercice de l’activité (vente de médicaments pour un pharmacien, élaboration d’actes juridiques pour un notaire, transport régulier de passagers pour un taxi, etc.) et, d’autre part, une convention concernant la cessation de l’activité (la convention de présentation de successeur). L’autorisation délivrée a donc une valeur fondée sur une double source de revenus : le potentiel revenu de l’activité et celui de la présentation d’un repreneur. L’une comme l’autre ne nous paraît pas détachable de l’autorisation en elle-même et ces deux aspects représentent les utilités du

332 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris : Presses Universitaires de France - P.U.F., 2007, 986 p..

333 Thibault DOUVILLE, « Nature juridique de la valeur patrimoniale d'une licence de taxi taxi au regard du droit des régimes matrimoniaux », Recueil Dalloz, 2008, p. 2264.

334 Riom, 10 févr. 1845, DP 1845. 2. 190.

335 Civ. 1re, 16 juill. 1985, RTD civ. 1987. 88, note J. Mestre, Defrénois 1986. 785, obs. J.-L. Aubert, JCP 1986. II. 20595, note M. Dagot.

bien qu’est la licence ou la charge. Il nous semble donc que le support de la valeur patrimoniale est la licence ou la charge, plutôt que l’une des conventions qu’elle autorise (d’autant que l’objet de la convention de présentation est au moins autant d’accéder à l’autorisation d’exercer que d’accéder à l’autorisation de présenter à son tour un successeur).

305. Ensuite, la doctrine et la jurisprudence estiment majoritairement que l’autorisation est un bien hors commerce, avançant notamment le fait que le prix payé par le repreneur potentiel n’est que la contrepartie de l’engagement du titulaire de le présenter à l’administration. Or, le simple fait que le candidat à la succession ne soit pas tenu de payer le prix, dès lors que l’administration refuse sa candidature, alors même que le titulaire a bien exécuté son obligation, nous paraît démontrer que cette conception est erronée. En effet, si le prix était réellement la contrepartie de la présentation, dès lors que le titulaire appuierait son successeur potentiel, ce dernier devrait lui payer le prix, peu important que l’administration ait ou non accepté in fine sa candidature, ce refus ne dépendant pas du titulaire de l’autorisation. Toutefois, il n’en est rien. Le prix n’étant dû que lorsque l’autorisation est délivrée au successeur, il constitue, à nos yeux, la contrepartie de la transmission de la charge ou de la licence. Ceci n’occulte pas le fait que le titulaire de l’autorisation administrative ne peut, seul, céder son droit. L’opération pourrait être vue comme une cession avec clause d’agrément, comme ceci est fréquemment le cas en droit des sociétés, par exemple. Le titulaire de l’autorisation cède son droit, sous condition de l’agrément de l’administration.

306. Une telle vision confirmerait l’appréhension de l’autorisation administrative comme un bien à part entière, à l’instar de ce qui est progressivement reconnu pour la clientèle337, la rendant ainsi susceptible d’être un objet cohérent de mise à disposition338. L’éclairage de la mise à disposition pourra sans doute ouvrir de nouvelles perspectives quant à sa qualification. La même difficulté de qualification s’est posée pour d’autres choses immatérielles, notamment dans le domaine numérique.

337 Voir, notamment, à propos de la clientèle civile : Cass. Civ. 1ère du 7 novembre 2000, pourvoi n° 98-17731, Bulletin 2000 I N° 283 p. 183.

338 Le terme de mise à disposition est notamment utilisé en matière de licence de taxi : Cass. Civ. 1ère du 10 juillet 2014, pourvoi n°13-13966.

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