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Nature du pouvoir

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 180-187)

DE DROITS REELS

B) Nature du pouvoir

374. La mise à disposition étant de nature contractuelle, elle ne peut être appréhendée uniquement comme une situation de fait et correspond donc nécessairement au transfert d’un droit. Cependant, la mise à disposition dans la doctrine est souvent rapprochée des notions de transfert de garde. Ceci s’explique par l’objet du droit transmis. En effet, par la mise à disposition, le disposant autorise le bénéficiaire à utiliser le bien, il lui transmet donc un droit d’utilisation. Or, l’utilisation en elle-même implique un rapport matériel au bien, de l’ordre de la mainmise et du pouvoir de fait, ce qui explique le rapprochement fréquemment fait entre ces notions.

375. Toutefois, s’agissant d’un transfert de droit, le disposant, pour mettre un bien à disposition, doit donc, au-delà d’un simple pouvoir de fait ou de la garde de la chose, être titulaire d’un véritable droit d’utilisation sur le bien, droit qu’il peut ensuite être en mesure de transmettre. Certains auteurs considèrent que mettre une chose à disposition consiste, essentiellement, à ne pas s’opposer à l’utilisation de la chose par le bénéficiaire, cette opération impliquant en ce sens une « attitude plus passive que dynamique »393, pourtant, il y a bien une autorisation du disposant qui octroie un droit sur un bien sur lequel il détient un pouvoir, peu important qu’elle soit implicite ou explicite. L’opération de mise à disposition d’une chose viserait à permettre de conférer à l’accipiens « un certain pouvoir sur le bien qui n’est pas sans rappeler, mais hors du domaine contractuel, celui qui est conféré aux héritiers sur une universalité par la saisine ou l’envoi en possession »394. Quelle que soit l’analyse qui est faite de la mise à disposition, la notion de pouvoir sur la chose semble bien centrale.

376. Pourtant, pour certains biens, le pouvoir détenu est particulièrement complexe à appréhender. Les noms de domaine, par exemple, dont plusieurs millions sont mis à disposition d’usagers privés ou publics en France, ont une origine obscure. Répondre à la question « à qui appartiennent les noms de domaine ? » est malaisé. En effet, les

393 Anne-France EYRAUD, Le contrat réel – Essai d’un renouveau par le droit des biens, [Th. doct. : Droit privé : Paris I : 2003].

394 Sabine MAZEAUD-LEVENEUR, « Les conventions de mise à disposition temporaire en droit rural », in Mélanges en l'honneur de Ph. MALAURIE, Liber Amicorum, 1ère éd., Paris : Defrénois, 2005, p. 339.

structures fondamentales d’Internet sont sous le contrôle de l’ICANN (l'Internet corporation for assigned names and numbers) qui est un organisme à but non lucratif, soumis au droit californien, mais composé de plusieurs commissions dont les membres viennent de différents pays. Cet organisme encadre le fonctionnement des adresses IP (Internet Protocol, les adresses de machines et de sites sur le réseau) et les noms de domaine d’une manière générale. L’ICANN fixe les règles et enregistre les données, mais n’est pas à proprement parler « propriétaire » des noms de domaine. Il existe plusieurs extensions (.com, .fr, .org, etc.), gérées par des « registres » différents, répartis dans le monde (l’AFNIC, qui est l’Association française pour le Nommage Internet en Coopération, pour l’extension .fr, entre autres). La distribution des noms de domaine aux utilisateurs du web est officiellement opérée par ces registres, mais il est complexe de maîtriser les règles d’attribution et les formalités propres à chaque registre, raison pour laquelle des sociétés se sont spécialisées dans le rôle de « guichet unique », se chargeant d’accomplir les formalités de dépôt pour le compte de l’utilisateur. Pour enregistrer un nom de domaine, il faut ainsi passer par les services de l’un de ces « bureaux d’enregistrement » qui font donc office d’intermédiaire entre les utilisateurs et les organismes de gestion. Ces sociétés sont, contrairement aux organismes qui gèrent les bases de données des noms de domaine, clairement à but lucratif et font donc payer, au tarif de leur choix, le service d’enregistrement du nom de domaine choisi par l’utilisateur, souvent par voie d’abonnement mensuel ou annuel. Il est fréquent de lire ou d’entendre qu’un utilisateur serait « propriétaire » de son nom de domaine une fois les formalités accomplies. Ce terme serait inapproprié, puisque à aucun moment, en amont de la chaîne de gestion des noms de domaine, il n’est question de propriété. Les « registres » tiennent la base de données à jour, mais ne sont pas propriétaires des noms de domaine et les bureaux d’enregistrement font payer leur service de formalités, mais ne transmettent aucun droit de propriété395. Il semble plutôt que l’enregistrement opéré confère une autorisation exclusive d’utilisation, lorsque le nom de domaine est mis à la disposition de l’utilisateur. C’est ce droit d’utilisation, détaché d’une véritable notion de propriété du nom de domaine, qui peut ensuite être monétisé, cédé, voire loué. Le pouvoir sur le bien mis à disposition est donc fort particulier en matière numérique.

395 D’ailleurs, la notion de propriété en matière numérique, a fortiori dans le monde d’Internet, n’a pas toujours une place centrale, l’utilisation primant sur l’appropriation.

377. Le raisonnement est différent en matière d’amodiation, mais rejoint la même idée d’un pouvoir sur la chose, en dehors de toute notion de propriété. En effet, le terme d’« amodiation » concerne le droit concédé à un particulier ou à une société à utiliser une partie du domaine public pour une période déterminée396. Émanant du droit territorial, les places de ports appartiennent ainsi aux mairies relayées par les capitaineries. Conformément à la loi Littoral française, toutes les côtes sont en effet la propriété inaliénable de l’État. Cette concession ne cesse d’appartenir à la commune, seuls les ports de rivière ne sont pas concernés par cette mesure. Nombreux sont les contrats de « mise à disposition d’un anneau » (pour amarrer un bateau au port), mais dans ces contrats, le disposant n’est pas propriétaire dudit anneau, mais il a un pouvoir sur le bien. Ce qui est ici visé, n’est pas l’anneau à proprement parler, mais le droit concédé par la commune pour stationner un navire en son port.

378. La nature du pouvoir détenu et transmis par le disposant est donc parfois complexe à cerner, mais ce pouvoir est toujours nécessaire pour que le disposant soit en mesure d’autoriser le bénéficiaire à utiliser le bien. Une fois l’autorisation délivrée, l’utilisation doit, elle aussi, respecter certaines conditions communes à toutes les mises à disposition.

396 V. supra : Titre 1, Chapitre 2, la mise à disposition : une autorisation d’utilisation, section 2 ? §2, IV), A) L’autorisation d’utilisation dans le domaine maritime.

§2 : Les conditions de l’utilisation

379. Deux points communs se retrouvent dans l’analyse de toutes les mises à disposition : le bénéficiaire bénéficie d’une utilisation directe de la chose mise à disposition (I) et il est soumis à une obligation de conservation du bien (II).

I) Une utilisation immédiate de la chose

380. Lorsque le disposant met la chose à disposition du bénéficiaire, il autorise ce dernier à utiliser ladite chose. Et ce que le bénéficiaire recherche397 justement à travers la mise à disposition, c’est l’utilisation de la substance de la chose. L’identité du disposant importe généralement peu, seule la qualité de la chose compte. Plus encore, c’est l’utilisation immédiate de la chose qui intéresse le bénéficiaire. Le preneur à bail ne veut pas, en pratique, jouir du bien par l’intermédiaire du bailleur, mais il souhaite en jouir directement, de même que le ferait l’emprunteur d’un bien. Le transfert du droit d’utilisation s’accompagne donc, dès lors que le bénéficiaire accepte de réaliser effectivement cette utilisation, d’un transfert de garde (le preneur reçoit les clefs, il n’attend pas que le bailleur lui ouvre la porte tous les soirs). Défini de longue date par la jurisprudence398, le gardien est celui qui a sur la chose les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction, ce qui correspond parfaitement à l’emprise du bénéficiaire sur la chose mise à disposition.

381. Or, le doyen CORNU définit le droit personnel comme « celui pour le créancier d’exiger de son débiteur (jus ad personam) l’exécution de son engagement »399 et le droit réel comme « un droit qui porte directement sur une chose (jus in re) et procure à son titulaire tout ou partie de l’utilité économique de cette chose »400. À la lumière de cette définition classique, il est loisible de s’interroger quant à la nature du droit transmis lors d’une mise à disposition, usuellement considéré comme personnel. Ce d’autant plus

397 Exception faite bien sûr des cas où le bénéficiaire est soumis à une utilisation obligatoire de la chose où il subit plus qu’il ne « recherche » l’utilisation.

398 Arrêt « Franck » des chambres réunies de la Cour de cassation du 2 décembre 1941.

399 Ib id., V. « Personnel ».

400 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris : Presses Universitaires de France - P.U.F., 2007, 986 p., V. « Réel ».

qu’en contrepartie de ce transfert de garde, naît une forme d’obligation de conservation à la charge du bénéficiaire qui peut être analysée en termes de droits réels401. Une définition doit être le reflet d’une certaine réalité, sans quoi elle est arbitraire et infondée. Or, s’il est possible de dire que, sur le plan factuel, le bénéficiaire d’une prestation induisant l’utilisation d’une chose à son profit par le prestataire ne jouit de la chose que par l’intermédiaire du prestataire (qui demeure gardien de la chose), il n’en est pas de même en matière de mise à disposition. En effet, dès lors que le disposant autorise le bénéficiaire à utiliser la chose (et que ce dernier profite de ladite autorisation !), le bénéficiaire prend possession de la chose et en devient le gardien. Il en jouit alors sans intermédiaire – toujours sur le plan factuel. Du point de vue juridique, l’intermédiation est davantage vue comme l’entremise du disposant qui, par son intervention, autorise le bénéficiaire à user de la chose. Ce dernier ne peut jouir du bien que parce que le disposant l’y a autorisé, donc il ne peut jouir que par l’intermédiaire du disposant. Ce raisonnement se conçoit aisément, mais en l’appliquant de façon rigoureuse, la totalité des droits transmis par mise à disposition répond à la définition des droits personnels. En effet, si le preneur à bail ne jouit du bien loué que parce que le bailleur l’y a autorisé (ce qui en ferait un titulaire de droit personnel), l’acheteur aussi ne jouit du bien acheté que parce que le vendeur a accepté de lui transférer le bien (et le pouvoir de l’utiliser dans le même temps). Suivant ce raisonnement, l’acheteur ne jouirait donc du bien que par l’intermédiaire du vendeur, ainsi, tous les droits transmis par voie contractuelle seraient personnels, car transmis par l’intermédiaire du cocontractant. Il est possible de soulever l’argument selon lequel le contrat de vente serait à réalisation immédiate, tandis que le bail serait à exécution successive, pour autant, certains baux – à exécution successive par nature ! – sont aussi considérés comme transférant des droits réels. Il nous semble donc difficile de détacher la définition du caractère « immédiat » de l’utilisation de l’aspect factuel, sans risquer d’importantes contradictions. En s’en tenant donc à une définition proche des faits – faits d’ailleurs issus de l’exécution du contrat donc pas si éloignés du point de vue juridique –, l’ensemble des mises à disposition remplit donc le critère de l’utilisation immédiate de la chose.

382. Cette condition d’utilisation immédiate de la chose, recherchée par le bénéficiaire à son profit, a généralement pour contrepartie le respect d’une obligation de conservation de la chose mise à disposition.

II) Une utilisation subordonnée au respect d’une obligation de

conservation

383. L’obligation de conservation est fréquemment présentée comme une obligation accessoire, découlant de l’existence d’une obligation de restitution et de la précarité de l’occupation du bien. Cependant, si cette vision est souvent juste, elle demeure partielle. En effet, d’une part, l’obligation de conservation est détachée de toute obligation de restitution402 et, d’autre part, l’obligation de conservation doit être analysée, en amont, comme une conséquence de l’absence de transfert de deux droits réels : est tenu à une obligation de conservation celui qui ne détient ni l’abusus (A), ni, de façon peut-être plus marginale, le fructus (B) du bien à conserver, chacune de ces deux composantes correspondant à une acception de l’obligation de conservation.

A) Conservation et abusus

384. Dans son acception la plus courante, la conservation – du latin servo, « je sauve » – est définie par antonymie : il s’agit de ne pas perdre, de ne pas détruire une chose. De fait, sur le plan juridique, l’obligation de conservation peut également se définir par opposition : « l’obligation de ne pas faire quelque chose » est une interdiction. Ainsi, celui qui n’a pas le droit de détruire ou d’aliéner a une obligation de conserver (dans son acception première). Or, le seul qui bénéficie du droit de détruire ou d’aliéner un bien est celui qui détient l’abusus sur ce bien.

385. Par conséquent, l’obligation de conservation n’est pas réservée au débiteur d’une obligation de restitution, mais elle pèse sur chaque personne, comme une sorte

402Par exemple, dans le cas d’un usufruit, l’usufruitier a une obligation de conservation, mais pas de restitution, car le bien sera automatiquement réintégré au patrimoine du nu-propriétaire à la fin de l’usufruit.

d’obligation universelle de « ne pas porter atteinte aux biens d’autrui ». Cette obligation générale de conservation se retrouve notamment à travers l’obligation de réparation (responsabilité civile classique qui équivaut à une interdiction de détruire la chose d’autrui403), mais aussi à travers le principe de nullité de la vente de la chose d’autrui (qui équivaut à une impossibilité d’aliéner la chose d’autrui).

386. Suivant ce raisonnement, le bénéficiaire d’une mise à disposition est bien soumis à une obligation de conservation de la chose mise à disposition, mais cette obligation ne découle pas de l’existence d’une éventuelle obligation de restitution qui pèserait sur lui, elle résulte du fait que le disposant ne transfère pas l’abusus du bien à travers la mise à disposition.

387. L’obligation de conservation peut toutefois avoir un autre sens que l’interdiction de détruire ou d’aliéner et, dans cette autre acception, elle est à nouveau confrontée à un droit réel.

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