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Exclusion du dépôt

Dans le document La mise à disposition d'une chose (Page 89-93)

Conclusion du Chapitre 1 : Qualification de la mise à disposition

SECTION 2 Exclusion du dépôt

172. La première approche du dépôt à l’aune des acceptions proposées de la mise à disposition, conduit à en exclure le dépôt (§1). Pourtant, dans certains cas, le dépôt ouvre un droit à utilisation et peut donc être réintégré parmi les mises à disposition (§2).

§1 : Exclusion générale du dépôt

173. Le contrat de dépôt est, selon l’expression de TUNC, un « contrat de garde »201. Le dépôt sert un double objectif : le déposant veut voir son bien conservé par le dépositaire et il entend se le faire restituer au moment qu’il juge opportun. Ce dessein explique notamment la différence que présente le dépôt par rapport aux contrats de bail et de prêt, dans lesquels la jouissance du bien par le preneur constitue l’élément essentiel de la volonté des parties, par rapport au contrat d’entreprise, qui est conclu afin de créer une « valeur nouvelle »202, ou encore par rapport au mandat, qui a pour objet de conclure des actes juridiques.

174. Il s’agit d’une convention ne pouvant avoir pour objet qu’un bien meuble. En matière d’immeuble, pour un objectif similaire, on emploie le contrat de gardiennage ou bien un contrat innomé. Comme le remarque le professeur PUIG, il est évident que le contrat de dépôt ne peut s’appliquer à des personnes, à moins qu’il ne s’agisse de personnes décédées, donc de corps sans vie203. Pour ce type de « choses », objets du dépôt, comme avec la multiplication des dépôts numériques, tant décriés par le professeur REMY204, la qualification de « bien » n’est pas évidente. Les produits issus du corps humains, tels qu’un cadavre bien sûr, mais aussi des greffons ou des gamètes, expressément visés par l’article L1418-1 8° du Code de la santé publique, posent des difficultés particulières quant à leur qualification, la catégorie des choses à usages pouvant, là encore, sembler plus adaptée en n’exigeant pas de faculté d’appropriation.

201 Insérer la référence de sa thèse.

202 Expression du professeur PUIG, op. cit.

203 Le professeur PUIG rappelle notamment les obligations de l’hôpital dépositaire des corps des patients décédés, cf Pascal PUIG, Contrats spéciaux, 4ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 510 p., p. 533.

204 Philippe RÉMY, « Le dépôt est un contrat comme les autres (une relecture de Flexible droit) », Revue des contrats, 01 mars 2014, n° 1, p. 143.

175. L’évolution du contrat de dépôt doit tout de même être signalée, à l’instar de ce que certains auteurs ont déjà fait205. En effet, le dépôt, issu du droit romain, était initialement vu comme un contrat réel, habituellement conclu entre deux personnes de confiance. Les transformations économiques et sociales profondes qu’a connues notre pays depuis le début du XIXe siècle ont conduit de multiples candidats au dépôt à faire appel à un professionnel pour confier leurs biens. Cette professionnalisation du dépôt s’est naturellement accompagnée d’un affaiblissement du caractère gratuit du dépôt. Ce dernier, originellement « gratuit par essence », est devenu « essentiellement gratuit »206, pour n’être plus, aujourd’hui, que potentiellement gratuit, alors que, pour POTHIER, le caractère onéreux de l’opération devrait être la marque d’un louage d’ouvrage207. Si le dépôt peut être conclu à titre gratuit, il est donc désormais (et depuis longtemps) admis qu’il peut également être conclu à titre onéreux.

176. L’apparition du dépôt salarié a également un impact sur la nature du contrat en lui-même. En effet, à l’origine, le dépôt était considéré comme un contrat réel, donc seulement formé par la remise de la chose par le déposant au dépositaire et non par un simple échange des consentements. Le dépôt gratuit, étant réputé conclu dans le seul intérêt du déposant, était presque un « contrat de fait »208. La stipulation d’un prix a rendu le contrat intéressant pour les deux parties et en a donc modifié l’économie en profondeur. Tout d’abord, il a été reconnu que le dépositaire, agissant souvent en tant que professionnel, pouvait être contraint d’accepter un bien en dépôt, en reconnaissant la validité d’une promesse de dépôt209. À l’inverse et par déduction, un dépositaire qui compte sur l’obtention du prix convenu pourrait forcer le déposant à déposer son bien ou, tout au moins, pour le moment, à payer le prix du dépôt à travers l’allocation de dommages et intérêts. La reconnaissance de la validité de la promesse de prêt (autre

205 Dont les professeurs PUIG et REMY, op. cit.

206 Rédaction retenue dans l’article 1917 du Code civil.

207 Robert-Joseph POTHIER, Traités des contrats de dépôt, de mandat, de nantissement, d'assurance,

de prêt et du jeu, Nouvelle éd., Siffrein - Chanson, 1821, t. VI, cité, entre autres par le professeur REMY (in Philippe RÉMY, « Le dépôt est un contrat comme les autres (une relecture de Flexible droit) », Revue des

contrats, 01 mars 2014, n° 1, p. 143, op.cit.).

208 Sur la « tentation du « non-droit » » pour le contrat de dépôt, v. le court développement en fin de ce paragraphe.

209 En l’occurrence, il s’agit d’une « promesse de recevoir et conserver » plus que d’une « promesse de déposer ».

contrat classiquement qualifié de contrat réel) a accentué le trouble concernant le dépôt, par analogie, et la catégorie des contrats réels, d’une manière générale.

177. Dans le même temps, l’opération de dépôt s’est développée dans certains contrats complexes. En réalité, ce sont surtout les obligations principales du dépositaire (conserver et restituer) qui ont été « découvertes » dans d’autres contrats. La doctrine210 distingue habituellement le dépôt en général (dépôt volontaire) des dépôts spéciaux (nécessaire, hôtelier, hospitalier ou séquestre). Certains contrats, comme le contrat de coffre-fort ou le contrat de stationnement, sont à la frontière entre le louage et le dépôt, ce qui contraint le juge à poser des critères, parfois très factuels pour déterminer le régime applicable. Par ailleurs, le dépôt peut être principal ou accessoire. Dans ce dernier cas, la jurisprudence crée parfois des contrats mixtes, alors qu’une obligation de garde accessoire n’induit pas systématiquement la conclusion d’un contrat de dépôt. Un emprunt en termes de régime, voire simplement l’application de la théorie des risques, pourrait souvent suffire, sans nécessairement passer par le terme de « dépôt ». Comme le résume le professeur PUIG, le plus juste demeure sans doute de procéder par démarche téléologique, pour ne pas utiliser le terme de dépôt de manière inappropriée. Le dépôt-vente est d’ailleurs largement reconnu comme étant plus proche du mandat que du dépôt, au moins dans cette vision téléologique.

178. Le doyen CARBONNIER211, repris sur ce point par le professeur Ph. REMY212, se laisse tenter, à propos du contrat de dépôt hôtelier, par le « non droit », c’est-à-dire, par la considération d’une « relation contractuelle de fait » qui serait un « accord machinal entre la chambre et la valise ». Cette vision nous paraît pourtant injustifiée, car, bien que tacite, la volonté des parties, le client et l’hôtelier en l’occurrence, nous semble bien présente. Le client d’un hôtel paye pour y dormir, bien entendu, mais également pour pouvoir y déposer ses affaires. Celui qui dort dans un hôtel est généralement en transit, il a donc quasi systématiquement des bagages et l’un des principaux intérêts de l’hôtel est justement de pouvoir y déposer les bagages pour lui permettre d’évoluer sans encombre

210 Notamment le professeur PUIG (in Pascal PUIG, Contrats spéciaux, 4ème éd., Paris : Dalloz, 2011, 510 p.).

211 Op. cit.

la journée et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la remise des clés se fait très fréquemment bien avant l’heure du coucher. Les hôteliers sont tout à fait conscients du fait et la sécurité de leurs chambres (verrouillage automatique, clés magnétiques, gardiens de nuit et vidéosurveillance) est un argument commercial important derrière le confort du couchage ! Cette augmentation des moyens en la matière démontre d’ailleurs qu’il y a là plus qu’une simple tolérance ou une simple complaisance. Désormais bien loin de l’époque où l’on craignait pour sa vie dans les auberges « coupe-gorge », une relation de confiance se noue entre l’hôtelier et son client et le dépôt des effets personnels du client en est la raison essentielle. À notre sens, il ne s’agit pas là d’une « relation contractuelle de fait », mais d’une relation contractuelle classique, basée sur un échange de consentements.

179. Cependant, dans le dépôt, le bien est remis au dépositaire pour être conservé, non pour être utilisé, ce qui l’exclut, de fait, des contrats de mise à disposition, au sens de licence d’utilisation, car, dans le dépôt, il n’y a, classiquement, aucune licence donnée à ce sens. L’article 1930 du Code civil interdit clairement l’utilisation de la chose par le dépositaire, sauf volonté contraire du déposant213. Dans ce sens, comme le prévoit expressément l’article 1931 du Code civil, le dépositaire est soumis à une obligation de secret qui lui impose de ne « point chercher à connaître quelles sont les choses qui lui ont été déposées si elles lui ont été confiées dans un coffre fermé ou sous une enveloppe cachetée », cette obligation ne saurait être compatible avec une faculté d’usage de la chose. De plus, le fait d’utiliser le bien à son profit ou au profit d’un tiers peut être constitutif, pour le dépositaire, d’un abus de confiance, sanctionné sur le plan pénal par trois ans d’emprisonnement et une amende de 375 000 euros214, ce qui démontre encore davantage, si cela était encore nécessaire, que l’usage du bien par le dépositaire ne semble pas relever de l’économie du contrat de dépôt. Pourtant, il s’avère que, dans certains cas particuliers, le dépôt peut correspondre à une mise à disposition.

213 Article 1930 du Code civil : « Il ne peut se servir de la chose déposée sans la permission expresse ou

présumée du déposant ».

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