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(A) Le recours au contexte de rédaction de la Convention

Durant les premières années de la Cour, ceux qui s’opposaient à une conception extensive de la Convention et à l’interprétation évolutive de ses dispositions trouvèrent dans le recours à sa contextualisation historique un argument pour défendre leur approche minimaliste. Ainsi, en plus de la supposée volonté des premiers pays signataires de la

410 V. J. M

ORANGE,« La déclarationet le droit de propriété », Droits, nº 8, 1988, p. 106.

411 F. L

UCHAIRE,« La lecture actualisée de la Déclaration de 1789 », op. cit., p. 233.

412 J-F. F

LAUSS,« L’histoire dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2006, p. 5.

Convention, le contexte même de sa rédaction pouvait servir à démontrer que cette dernière fut avant tout conçue comme un barrage pour freiner l’avancée de régime totalitaires et protéger un status quo démocratique. Dans l’affaire Marckx c. Belgique qui avait trait à la filiation maternelle naturelle en Belgique413

au regard de l’article 8 de la Convention, le juge FITZMAURICE, dans son opinion dissidente, considéra que cet article visait uniquement la

protection domiciliaire de l’individu. Pour cela, il expliqua qu’il fallait faire appel au « climat dans lequel l’idée de la Convention européenne des Droits de l’Homme a été conçue »414.

Pour lui, l’objet de l’article 8, replacé dans son contexte historique, était de garantir que l’individu et sa famille ne soient plus exposés :

« au sinistre toc-toc de quatre heures du matin à la porte, aux intrusions domestiques, perquisitions et interrogatoires, aux contrôles, retards et confiscations de correspondance, à l’installation d’appareils d’écoute (mouchards), aux restrictions d’emploi de la radio et de la télévision, à l’écoute ou au débranchement du téléphone, aux mesures privatives comme les coupures d’électricité ou d’eau, à des abominations comme le fait d’obliger les enfants à rapporter les activités de leurs parents, et même parfois des époux à témoigner l’un contre l’autre, bref à toute la gamme des pratiques inquisitoriales fascistes et communistes […] »415

Il considéra ainsi que les griefs présentés par les requérantes étaient différents en genre et en degré à ceux pour lesquels l’article 8 avait été conçu et il conclut à la non-violation de cet article. La Convention n’est qu’un point de départ pour assurer une protection a minima, mais, au-delà de ce seuil, il revient à chaque État, dans le respect de sa marge d’appréciation, d’assurer un développement plus poussé des droits et des libertés garantis par la CEDH.

Cette position illustrée par le juge FITZMAURICE fut rapidement abandonnée et la

grande majorité des juges adoptèrent l’approche évolutive dans l’interprétation de la Convention. Néanmoins, dans le cadre de cette approche, le rappel du contexte historique de rédaction peut être utile. Il peut ainsi servir de point de départ pour mesurer l’évolution des situations historiques et justifier ainsi une interprétation qui se sépare du sens originel de la Convention. Par exemple, dans l’affaire Soering, concernant un détenu qui faisait l’objet d’une procédure d’extradition aux États-Unis pour un crime passible de peine de mort, le juge DE MEYER,dans son opinion concordante, considéra que l’interprétation évolutive utilisée par

413 En effet, en droit belge, aucun lien de filiation entre la mère célibataire et son enfant ne résultait de

l’accouchement à lui seul: tandis que l’acte de naissance inscrit au registre de l’état civil suffit à prouver la filiation maternelle des enfants d’une femme mariée (article 319 du code civil), celle d’un enfant « naturel » s’établissait au moyen soit d’une reconnaissance volontaire par la mère, soit d’une action en recherche de maternité.

414 Cour EDH, plénière, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, req. nº 6833/74, Opinion dissidente du juge

FITZMAURICE.

la Cour pour l’article 3 devait aussi être utilisée pour interpréter la seconde phrase de l’article 2 de la Convention. Pour justifier cette position, il souligna la nécessité de prendre en compte les évolutions depuis l’adoption de la Convention. Il considérait ainsi que « La seconde phrase de l’article 2 § 1 (art. 2-1) de la Convention fut adoptée, voici près de quarante ans, dans un contexte historique particulier, peu après la Seconde Guerre mondiale. Pour autant qu’elle puisse encore sembler autoriser, sous certaines conditions, la peine capitale en temps de paix, elle ne reflète pas la situation contemporaine et se trouve aujourd’hui dépassée par l’évolution de la conscience et de la pratique juridiques »416. Pour le juge, le fait que la Convention avait maintenu la possibilité de recourir à la peine de mort, sous certaines conditions, devait être interprétée eu égard au contexte historique du moment de sa rédaction : la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, étant donné que ces conditions n’étaient plus maintenues, il fallait considérer qu’actuellement ces dispositions étaient dépassées et c’était le consensus entre la pratique des États signataires qui ne reconnaissaient plus la peine de mort en temps de paix qui devait guider l’interprétation.

Le recours au contexte de la rédaction de la Convention s’avère alors assez rare. C’est avant tout dans les opinions séparées qu’il est possible de trouver des traces de son influence directe. Le recours à la contextualisation de la législation nationale est, en revanche, utilisée de façon explicite par la Cour, dans la motivation principale de ses arrêts.

(B) La prise en compte du contexte d’adoption de la

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