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(A) Les particularités de la norme constitutionnelle

Les particularités de l’interprétation constitutionnelle peuvent tout d’abord être liées aux caractéristiques de la Constitution en tant que norme. Quatre aspects des normes constitutionnelles démontrent leur particularité : leur caractère idéologique, leur indétermination, leur rédaction vague et leur généralité 191 . En effet, les règles constitutionnelles se caractérisent par leur texture ouverte192

: dans des nombreux cas, elles contiennent des principes ou des valeurs plus que des règles déontiques, qui nécessitent donc une concrétisation par le biais de l’interprétation. De plus, il est souvent avancé que les normes constitutionnelles ont un caractère éminemment politique, voire même idéologique, et que, à la différence de la loi, elles sont censées avoir une certaine permanence dans le temps, ce qui justifierait une différence dans leur interprétation.

La fonction constituante de toute norme fondamentale contribue aussi à la particularité de la Constitution. Le fait de mettre en place le pacte fondamental à partir duquel une

189 F. D

ELPÉRÉE, « La Constitution et son interprétation », in M. VANDE KERCHOVE (dir.), L’interprétation en

droit. Approche pluridisciplinaire, Bruxelles : Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 1978, p. 187.

190 V. R. A

RNOLD, « Réflexions sur l’argumentation juridique en Droit constitutionnel allemand », op. cit., p. 52.

191 O. P

FERSMANN, « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaître. L’interprétation de la Constitution », in F. MELIN-SOUCRAMANIEN (dir.), L’interprétation constitutionnelle, op. cit., p. 35.

192 Expression expliquée par H. L. A. H

communauté politique s’organise rend particulièrement délicate la tâche de l’interprétation des normes émanant de ce pacte et pourrait notamment restreindre le recours à une approche évolutive193. Cette fonction constituante implique la nécessité de donner un poids plus grand aux éléments extra-juridiques dans la détermination du sens de la norme. Ainsi, « l’influence de développements non-juridiques, de tendances sociales, de courants philosophico- historiques est beaucoup plus forte en la matière que ce n’est le cas pour de simples lois. La Constitution n’a dans ce sens pas seulement une fonction directrice de modelage de la société, mais aussi réceptive de développements externes »194.

Toutefois, pour le professeur R. GUASTINI, ces arguments ne sont pas convaincants

puisqu’ils ne s’appliquent pas à toutes les constitutions, ni même à toutes les dispositions à l’intérieur d’une Constitution195

. De plus, il est tout à fait plausible de retrouver des dispositions vagues, des principes ou de valeurs dans des normes infra constitutionnelles, notamment dans les lois de programme. De manière plus générale, pour les tenants d’une théorie réaliste de l’interprétation196, « l’interprétation de la constitution n’a rien de spécifique, elle n’exige aucun savoir-faire particulier, aucune méthode originale. Interpréter la constitution, c’est interpréter un texte – retrouver sous l’énoncé les diverses normes que cet énoncé permet de justifier »197

. Tout au plus, les particularités de l’interprétation constitutionnelle seraient liées à la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes et au résultat de l’opération d’interprétation. Ainsi, pour le professeur M. TROPER, « la spécificité

193 Ainsi l’explique J. B

ELL :« La Constitution est le fondement sur lequel les gens ont convenu de former une communauté politique. Permettre une approche évolutive impliquerait de permettre une modification des termes sur lesquels repose la société. Bien qu’il existe des dispositions constitutionnelles spéciales permettant sa révision, ce processus ne peut pas être contourné par une simple mise à jour via une interprétation judiciaire » [The constitution forms the basis on which people have agreed to form a political community. To permit an updating approach is to allow the alteration of the terms on which society is founded. While there may be special constitutional provisions permitting constitutional amendments, this process cannot be bypassed by mere updating judicial interpretation]. (J. BELL, « Interpreting statutes over time » in F. OST et M. VAN HOECK (dir.),

Time and law, is the nature of law to last ?, Bruxelles : Bruylant, Coll. Bibliothèque de l’Académie européenne de théorie du droit, 1998, p. 47).

194 R. A

RNOLD, « Réflexions sur l’argumentation juridique en Droit constitutionnel allemand », op. cit., p. 49-50.

195 R. G

UASTINI, « L’interprétation de la Constitution », in M. TROPER, D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité

international de droit constitutionnel, Paris : Dalloz, Coll. Traités, Tome 1, 2012, p. 479-481 (465-503).

196 Le professeur M. T

ROPER résume ainsi le postulat principal de sa théorie réaliste : « Si l’interprète peut déterminer la signification d’un texte et si la norme n’est pas autre chose qu’une signification, il faut considérer que c’est l’interprète qui est lui-même l’auteur de la norme qu’il est chargé d’appliquer » (M. TROPER, « La liberté de l’interprète », in L’office du juge. Actes du colloque réalisé au Sénat, Paris, 2006, p. 29).

197 P. B

RUNET, « Le juge constitutionnel est-il un juge comme les autres ? Réflexions méthodologiques sur la justice constitutionnelle », in C. GREWE et al. (dir.), La notion de justice constitutionnelle, Paris : Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, 2005, p. 120.

de l’interprétation constitutionnelle réside dans le fait qu’elle […] construit la relation hiérarchique entre la constitution et d’autres normes »198.

Le professeur O. PFERSMANN,de son côté,s’oppose aussi à l’idée de lier la spécificité de l’interprétation constitutionnelle aux caractéristiques intrinsèques de la norme. Pour lui, la particularité de l’interprétation réside dans le fait que « la constitution détermine la structure dynamique de l’ordre juridique »199

. La spécificité herméneutique de la Constitution se trouverait plutôt dans la fonction de la norme plus que dans sa caractérisation. Cette position est aussi défendue par DWORKIN, pour qui la spécificité de l’interprétation constitutionnelle est liée au fait que la Constitution sert de fondement aux autres lois et au système, ainsi son interprétation doit être aussi « fondationnelle »200

.

La justification des différences d’approche entre l’interprétation constitutionnelle et les autres opérations d’herméneutique juridique peut toutefois être recherchée dans la fonction et les caractéristiques des interprètes constitutionnels.

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