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(A) La contextualisation historique de normes anciennes encore en vigueur

Lors de la discussion de la révision constitutionnelle mettant en place le contrôle a

posteriori, se posa la question de savoir s’il fallait limiter le corpus de lois pouvant faire l’objet de ce contrôle. En effet, le projet de révision déposé à l’Assemblée nationale proposait d’ouvrir le contrôle a posteriori uniquement aux dispositions législatives promulguées postérieurement à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958355. Ce verrou a été supprimé lors de la discussion devant l’Assemblée à l’initiative de la Commission des lois, ainsi la QPC fut ouverte à toutes les dispositions législatives indépendamment de leur date de promulgation ou d’entrée en vigueur. Le juge constitutionnel peut ainsi être confronté à l’examen de la constitutionnalité de normes très anciennes356

. Il peut donc avoir recours au contexte historique de ces dispositions afin d’éclairer leur interprétation.

D’une façon générale, les documents connexes à la décision, notamment le dossier documentaire mis en place par le service de la documentation du Conseil et le commentaire « autorisé » rédigé par le Secrétaire général, permettent de constater que le juge constitutionnel prend en compte, en amont de son examen, le contexte historique de la majorité des dispositions qui sont soumises à son contrôle, indépendamment de leur ancienneté. C’est ainsi que le commentaire « autorisé » débute presque toujours par un historique de la disposition contestée qui permet de la contextualiser, non seulement par rapport aux antécédents législatifs, mais aussi au contexte historique au sens large, incluant des éléments chronologiques, sociaux et culturels, qui ont entouré l’édiction de la norme ou la naissance de la notion ou institution juridique qui fait l’objet de la norme examinée. À titre d’exemple, lors de l’examen de l’article 16 de l’ordonnance nº 58-1270 qui met en place la

355 Article 26 du projet : «Après l’article 61 de la Constitution, il est ajouté un article 61-1 ainsi rédigé : Art. 61- 1. – Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente Constitution porte atteinte aux droits et libertés que celle-ci garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, dans les conditions et sous les réserves fixées par une loi organique ».

356 Par exemple, par la décision CC nº 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, précitée, le Conseil se prononça sur la constitutionnalité de l’article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802).

condition de bonne moralité pour devenir magistrat, le commentaire autorisé débute par une rubrique intitulée « dispositions contestées et contexte » qui retrace l’origine de cette condition depuis la mise en place des enquêtes de moralité créés par François Ier dans les années 1540357

. Par rapport au contexte historique au sens large, l’examen de plusieurs dispositions du droit local alsacien-mosellan et, notamment, de dispositions héritées de l’époque de l’annexion à l’Allemagne, fut l’objet d’une contextualisation historique dans le cadre du commentaire autorisé de la décision nº 2012-285 QPC358. Le contexte de la norme analysée se confond ici avec le contexte historique des relations entre la France et l’Empire prussien, ainsi qu’avec le tumultueux destin des départements de l’Est.

La contextualisation de la norme peut aussi apparaître explicitement dans le texte de la décision du Conseil constitutionnel. Par exemple, lors de l’examen de l’article L. 5112-3 du code général de la propriété des personnes publiques concernant les propriétés se trouvant dans la zone des cinquante pas géométriques, le Conseil constitutionnel fit référence, dans le considérant 6 de sa décision, aux antécédents historiques de la législation remontant jusqu’à l’édit de Saint-Germain-en Laye de décembre 1674 afin de comprendre l’origine de la disposition réglementant les propriétés se trouvant dans cette zone359

.

La contextualisation historique des normes contrôlées par le Conseil constitutionnel obéit à plusieurs objectifs herméneutiques. Il peut recourir au contexte historique de l’édiction de la norme, afin de déterminer le but du législateur. Lors de l’examen des dispositions législatives mettant en place une allocation de reconnaissance pour les harkis et autres membres de formations supplétives ayant participé aux côtés de l’armée française pendant la guerre d’Algérie, le Conseil constitutionnel prit ainsi en compte le contexte historique et, notamment, les conséquences de l’indépendance de l’Algérie sur le statut de ces personnes, afin d’analyser les objectifs poursuivis pas le législateur dans la mise en place des allocations360

. La contextualisation peut aussi servir pour l’interprétation d’un terme de la disposition objet du contrôle. Le contexte historique de la décolonisation et des guerres

357 CC nº 2012-278 QPC du 5 octobre 2012, Mme Elisabeth B., Rec. p. 511, JO du 6 octobre 2012, p. 15655,

texte du commentaire disponible à l’adresse [http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel /root/bank/download/2012278QPCccc_278qpc.pdf].

358 CC nº 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, M. Christian S., Rec. p. 613, JO du 1er décembre 2012 p. 18908,

texte du commentaire disponible à l’adresse [http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel /root/bank/download/2012285QPCccc_285qpc.pdf], qui examine un article du code des professions, qui résulte de la loi d’Empire du 26 juillet 1900 et qui a été maintenu en vigueur par la loi du 1er juin 1924 mettant en

vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

359 CC nº 2010-96 QPC du 4 février 2011, M. Jean-Louis de L., Rec. p. 102, JO du 5 février 2011, p. 2354. 360 CC nº 2010-93 QPC du 4 février 2011, Comité Harkis et vérité, Rec. p. 96, JO du 5 février 2011 p. 2351.

d’indépendance fut ainsi mobilisé pour analyser l’article L. 253 bis du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, afin de considérer les membres de forces supplétives de l’armée française en Afrique du nord comme des anciens combattants « eu égard au caractère spécifique de la guerre d’Algérie ou des combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er

janvier 1952 et le 2 juillet 1962 »361 .

Le juge administratif a aussi recours à la contextualisation historique de la norme afin d’éclairer son interprétation. Ce procédé peut notamment se retrouver dans les conclusions des rapporteurs publics (anciennement commissaires du gouvernement) qui, quand elles sont suivies par le juge, permettent d’avoir une trace du raisonnement juridique suivi au delà du simple syllogisme présenté dans le texte de l’arrêt. La contextualisation historique est particulièrement présente dans l’interprétation de normes ayant trait aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale, notamment en matière de réparations. Ainsi, dans ses conclusions sur l’arrêt Pelletier 362

, où était analysée la légalité du décret du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites, le commissaire du gouvernement débuta son exposé par une contextualisation historique et juridique du décret attaqué. Dans son rappel historique, le commissaire insista sur le changement d’optique dans les travaux historiques relatifs à Vichy. Il compara alors l’historiographie développée au lendemain de la guerre, qui minorait la responsabilité de l’administration française dans les déportations massives vers les camps d’extermination, avec les développements à partir des années 1970 d’une historiographie qui, à partir de nouvelles sources, permit de faire évoluer le regard sur le régime de Vichy en mettant en évidence le rôle du Gouvernement français dans ces déportations. À la suite de ce changement dans les recherches historiques, les responsables politiques ont aussi modifié leur approche, passant d’une logique d’oubli à une logique de remémoration et de repentance. Le commissaire du gouvernement fit même référence à des « dispositions juridiques visant à traduire en droit positif cette nouvelle lecture de l’histoire de notre pays ». Le décret attaqué dans l’arrêt fut non seulement contextualisé, mais son origine fut insérée dans le cadre même d’une évolution de l’interprétation d’un événement historique par les historiens.

De même, le commissaire du gouvernement peut inviter le juge administratif à prendre en compte l’évolution du contexte historique depuis l’adoption de la disposition à appliquer

361 CC nº 2010-18 QPC du 23 juillet 2010, M. Lahcène A., Rec. p. 167, JO du 24 juillet 2010 p. 13729. 362 S. A

UTRY,« La réparation du préjudice subi par les orphelins de déportés juifs : aide ou responsabilité. Conclusions sur CE, Ass., 6 avril 2001, Pelletier», RFDA, 2001, p. 712.

au cas d’espèce, afin de justifier une interprétation évolutive se séparant du sens originaire de la disposition. C’est le cas, notamment, des dispositions qui obligeaient les militaires à demander une autorisation préalable pour pouvoir se marier avec un étranger. Confronté à l’examen des refus successifs de l’autorisation demandée par un lieutenant afin de pouvoir épouser une ressortissante éthiopienne, le commissaire du gouvernement invita le juge administratif à prendre en compte l’évolution du contexte historique et sociologique, notamment, celui du déclin accéléré depuis les années 1980 de « l’histoire du contrôle de l’Administration sur le mariage de ses agents »363.

Le juge administratif, en tant que juge de la conventionnalité, peut aussi recourir à la contextualisation historique de la norme comme outil d’interprétation d’un traité international. En effet, l’article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités prévoit l’appel aux « circonstances dans lesquelles le traité a été conclu » comme un moyen complémentaire d’interprétation. Face à une affaire concernant une demande d’asile pour une jeune fille dont les parents alléguaient le risque de mutilations sexuelles auxquelles elle serait exposée, dans le cas d’un retour dans son pays d’origine, le juge administratif devait analyser si le fait d’être exposée à des menaces d’excision pouvait caractériser l’appartenance à un groupe social au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. En effet, dans le cas d’espèce, la Cour nationale du droit d’asile avait considéré que la requérante était trop jeune pour être en état d’exprimer son opposition à la pratique de mutilations sexuelles, ainsi, elle ne pouvait pas être considérée comme faisant partie d’un groupe social déterminé. Cette interprétation, fondée sur le postulat qu’un groupe social, au sens de la Convention de Genève, n’a d’existence possible que pour autant que ses membres revendiquent y appartenir, est considérée comme erronée par le Conseil d’État. Le juge administratif a donc suivi les conclusions de son rapporteur public qui l’invitait à prendre en compte « le contexte historique d’où est directement issue la convention », contexte qui « illustre clairement qu’il n’est nul besoin, pour qu’un groupe soit regardé comme étant en marge de la société, traité comme tel et sujet à ce titre à des persécutions, que ses membres extériorisent, affichent, revendiquent, portent en étendard voire d’ailleurs ressentent simplement une appartenance à une communauté »364

. En particulier, le rapporteur public rappela l’exemple du port de l’étoile jaune qui fut imposé par le persécuteur durant l’Occupation. Le souvenir de cette pratique

363 C. B

ERGEAL,« Le contrôle de l’autorisation préalable du mariage d’un militaire avec le ressortissant d’un État étranger. Conclusions sur CE, 15 décembre 2000, Nerzic », RFDA, 2001, p. 725.

364 E. C

RÉPEY, « Menaces d’excision et qualité de réfugié. Conclusions sur CE, Ass., 21 décembre 2012, Mlle

était très présent au moment de la rédaction de la Convention (1951) et permet de justifier l’interprétation de ce critère.

L’interprétation de la règle applicable au cas d’espèce implique souvent l’examen des précédents jurisprudentiels qui consacrent cette règle. Le droit administratif français est, en effet, souvent caractérisé comme un droit jurisprudentiel. Si l’inflation législative et réglementaire ainsi que l’influence du droit de l’Union européenne obligent à nuancer cette affirmation, il est vrai que de nombreuses règles de droit administratif n’ont d’autre origine que la décision du Conseil d’État qui les a consacrées365. La contextualisation de ces précédents est donc parfois mobilisée, soit par les rapporteurs publics, soit par le juge lui- même, afin d’analyser la possibilité d’une évolution et même d’un revirement de jurisprudence.

Un exemple particulièrement parlant est celui de l’évolution de la responsabilité de l’État du fait de la Déportation. En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le juge administratif fut alors confronté aux conséquences des agissements de « l’autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” »366

. Dans un premier temps, le juge administratif accepta l’indemnisation des victimes des actes du gouvernement de Vichy367

appliquant les principes généraux de la responsabilité de la puissance publique aux fautes commises par les agents du régime de Vichy ou par ses auxiliaires368. Néanmoins, par une jurisprudence très critiquée à cette époque369, à partir des années 1950, le Conseil d’État fit un revirement pour considérer que la responsabilité de l’État ne pouvait pas être engagée, en absence d’une loi explicite, pour les faits commis par le régime de Vichy. En effet, prenant comme fondement la déclaration d’inexistence juridique mise en place par l’ordonnance du 9 août 1944, le Conseil d’État considéra, dès lors, que les actes accomplis par les agents de Vichy ou ses auxiliaires étaient des actes dépourvus de toute base juridique et que, par conséquent, en absence d’un texte législatif, ils ne pouvaient donner lieu à une indemnité ou réparation à la charge de l’État370

. Toutefois, cinquante ans après, par l’arrêt Papon, le Conseil d’État remit

365 J. W

ALINE,Droit administratif, Paris : Dalloz, Coll. Précis, 24e éd., 2012, p. 20, § 12.

366 Cette qualification du régime de Vichy fut celle accordée par l’article 7 de l’ordonnance du 9 août 1944

relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental.

367 CE, Ass., 30 janvier 1948, Toprower, Leb., p. 48 pour l’indemnisation des préjudices subis lors d’un

internement au camp de Gurs ou CE, 22 février 1950, Dame Duez, Leb., p. 118 pour l’indemnisation d’actes commis par des agents de la milice.

368 F. D

ONNAT,« Le Conseil d’État face aux crimes du régime de Vichy », AJDA, 2014, p. 115-116.

369 V. notamment M. W

ALINE,« Un cas inexplicable d’irresponsabilité de l’État », RDP, 1952, p. 187.

370 CE, Ass., 4 janvier 1952, Époux Giraud, Leb., p. 14 et CE, sect., 25 juillet 1952, Demoiselle Remise, Leb.,

en question la fiction de la continuité de la République et la remplaça par celle de la continuité de l’État371. Le juge administratif, renouant avec la jurisprudence de l’immédiat après-guerre, considéra :

« que si l'article 3 de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental constate expressément la nullité de tous les actes de l'autorité de fait se disant “gouvernement de l'État français” qui “établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif”, ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de créer un régime d'irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis par l'administration française dans l'application de ces actes, entre le 16 juin 1940 et le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ; que, tout au contraire, les dispositions précitées de l'ordonnance ont, en sanctionnant par la nullité l'illégalité manifeste des actes établissant ou appliquant cette discrimination, nécessairement admis que les agissements auxquels ces actes ont donné lieu pouvaient revêtir un caractère fautif »372

Ce revirement de jurisprudence s’explique, notamment, par un changement du contexte historique et politique et par un changement de « l’opinion politique dominante »373

. En effet, la doctrine souligne l’érosion de la fiction gaulliste de l’inexistence de « l’autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” », face aux développements historiographiques. Ce changement de paradigme se traduit politiquement par la reconnaissance de la responsabilité de l’État par le discours du président Jacques CHIRAC au

vélodrome d’Hiver le 16 juillet 1995.

Ce contexte historique et politique motiva le Conseil d’État à opérer « une relecture de l’ordonnance de 1944 qui ressemble fort à la réécriture de cette dernière »374

par les arrêts

Pelletier et Papon précités. L’influence du contexte historique et politique est aussi mentionnée par les commissaires de gouvernement dans leurs conclusions respectives. Ainsi, dans ses conclusions sur l’arrêt Pelletier, le commissaire du gouvernement S. AUSTRY, en

371

C’est l’argument développé par le professeur M. VERPEAUX dans son article « L’affaire Papon, la République et l’État », RFDC, 2003, nº 55, p. 513-526.

372 CE, Ass., 12 avril 2002, Papon, nº 238689, Leb., p. 139. 373 L’expression a été introduite par P. W

EIL dans son article « Le Conseil d’État statuant au contentieux : politique jurisprudentielle ou jurisprudence politique ? », Annales de la Faculté de Droit d’Aix, 1959, p. 281, puis elle a été dévelopée par le professeur D. LOCHAK dans sa thèse sur le rôle politique du Conseil d’État. En effet, elle considère que « la jurisprudence administrative reflète “l’opinion publique dominante”, à condition toutefois de préciser que cette dernière notion ne doit pas être nécessairement entendue comme l’opinion de la majorité, mais plutôt comme celle de la fraction de l’opinion qui, à un moment donné, en raison de son statut politique ou de son influence économique, détient des moyens d’influence effectifs sur la conduite des affaires publiques ». Elle souligne ainsi que, « fidèle à une tradition libérale et modérée, le juge administratif est donc également sensible au contexte politique du moment, et se montre attentif à l’état de l’opinion comme aux exigences gouvernementales ». (D. LOCHAK,Le Rôle politique du juge administratif français, Paris : LGDJ, 1972, p. 321-322 et p. 319, respectivement, v. aussi du même auteur « Le Conseil d’État en politique »,

Pouvoirs, nº 123, 2007, p. 19-32).

374 F. M

ELLERAY,« Après les arrêts Pelletier et Papon : brèves réflexions sur une repentance », AJDA, 2002, p. 842.

faisant référence à la jurisprudence antérieure du Conseil d’État en matière de responsabilité pour les actes accomplis par le gouvernement de Vichy, considéra que « la solution que vous aviez alors retenue nous paraît s’expliquer ainsi davantage par le contexte de l’époque que par la solidité du raisonnement juridique »375

. Par rapport à cette même jurisprudence, le commissaire du gouvernement S. BOISSARD, dans ses conclusions sur l’arrêt Papon, considéra

que « la jurisprudence Époux Girard et Mlle Remise est essentiellement une jurisprudence conjoncturelle, dictée par le souhait, près de huit ans après la Libération, de tourner la page sur une période douloureuse de notre histoire collective », et que « son maintien ne se justifie plus aujourd’hui et contribue au contraire à brouiller les responsabilités des uns et des autres dans les évènements tragiques qui ont eu lieu sous l’Occupation » 376

. La prise en compte du contexte et, en particulier, l’examen du changement de celui-ci est, par conséquent, la clé pour interpréter les précédents en la matière afin d’opérer un revirement de jurisprudence377. C’est donc un changement dans la lecture des mêmes faits historiques qui motive et justifie le changement de position de principe du Conseil d’État en matière de responsabilité pour la déportation.

Dans un cadre beaucoup moins tragique, le Conseil d’État par un arrêt de 1999,

Président de l’Assemblée nationale, est revenu sur un édifice jurisprudentiel, qualifié même de « temple » par le commissaire du gouvernement dans ses conclusions, par lequel le juge administratif se considérait incompétent pour connaître de n’importe quel acte des assemblées parlementaires, prenant en compte, pour la détermination de sa compétence, l’auteur de la décision litigieuse comme unique critère, quelle que soit la nature de ses activités. Malgré le « poids de l’histoire » de plus de cent-vingt-sept ans de jurisprudence constante en la matière, le commissaire du gouvernement invitait le Conseil d’État à dépasser cet édifice jurisprudentiel, considérant que le Conseil ne pouvait plus « maintenir aujourd’hui l’analyse selon laquelle ceux qui exercent les pouvoirs de gestion et d’administration des assemblées parlementaires ne peuvent jamais être considérés, dans l’exercice de ces pouvoirs, comme des autorités administratives. Une telle analyse repose sur une conception juridique obsolète de la

375 S. A

UTRY,« La réparation du préjudice subi par les orphelins de déportés juifs […] », op. cit., p. 712.

376 S. B

OISSARD,« Faute personnelle et faute de service : le partage des responsabilités entre l’État français et ses agents pour la déportation des Juifs sous l’Occupation. Conclusions sur Conseil d’État, Ass., 12 avril 2002, M.

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