• Aucun résultat trouvé

(A) Une compétence limitée par de courts délais

La nécessité d’assurer une certaine stabilité et prévisibilité des situations juridiques et, notamment, des décisions de l’administration, implique la mise en place d’un délai limite

594 V. D. C

ONNIL,L’office du juge administratif et le temps,Paris : Dalloz, Coll. Nouvelle Bibliothèque des thèses, 2012, p. 244 et ss.

pour introduire des recours qui mettraient en cause ces décisions. La loi du 7 juin 1956 relative aux délais de recours contentieux en matière administrative et le décret du 11 janvier 1965 ont unifié les conditions de délais établissant un délai de droit commun de 2 mois à partir du moment où la décision est portée à la connaissance des intéressés595

. Ce délai a été jugé suffisamment long pour respecter le droit au recours, mais aussi suffisamment court pour permettre la bonne marche de l’administration596

. Toutefois, dans certains contentieux, les délais peuvent être raccourcis597 ou prolongés598.

En plus de ce délai de recours, il faut prendre en compte le fait que les droits ou les créances objets d’un litige peuvent être soumis à des délais de prescription. Toutefois, l’étude de la prescription en droit administratif doit faire face à un double obstacle : la diversité de régimes et l’absence d’une conceptualisation. Le professeur B. PLESSIX souligne cette

problématique en considérant qu’il n’existe « nulle théorie générale, encore moins de tentatives conceptuelles, pas même un recensement informatif de toutes les prescriptions existantes en matière administrative »599.

La prescription, en droit administratif est surtout abordée sous l’angle de la règle de comptabilité publique de la prescription quadriennale 600

. En effet, par rapport aux créances de l’État, le choix a été fait de consacrer une prescription courte. La loi nº 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les

communes et les établissements publics prévoit que « sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de

595 Codifié actuellement à l’article R. 421-1 du code de justice administrative. 596

M. GUYOMAR,B.SEILLER,Contentieux administratif, Paris : Dalloz, Coll. Hypercours, 3e éd., 2014, p. 301, § 685.

597 C’est notamment le cas du contentieux électoral où, par exemple, les requérants n’ont que dix jours pour

contester les élections des parlementaires européens (art. 25 de la loi nº 77-729 du juillet 1977) ou les élections régionales (L. 361 du code électoral).

598 Par exemple, le code de l’environnement prévoit un délai d’un an pour les recours relatifs aux installations

classées pour la protection de l’environnement (art. R. 514-3-1). De même le délai de deux mois ne s’applique pas en matière de travaux publics, matière qui n’est soumise qu’aux règles de la prescription quadriennale (V. sur ce point CE, 6 octobre 2013, Commune d’Étampes, nº 344062, Leb., à paraître, AJDA 2013 p. 2462, obs. Pastor ; Ibid. 2014 p. 993, note Froger).

599 B. P

LESSIX,« La prescription extinctive en droit administratif. Note sous CE, Ass., 8 juillet 2005, Société

Alusuisse-Lonza-France », RFDA, 2006, p. 375. De même, dans une des rares études consacrées à la matière, R. ROUQUETTE souligne « qu’il y a beaucoup à faire en matière de prescription en droit administratif » (R. ROUQUETTE,« Les prescriptions en droit administratif », Dr. adm., nº 8, 2002, chron. 15, p. 6).

600 En effet, cette prescription trouve un fondement budgétaire et comptable, ce qui se traduit notamment par le

fait qu’elle se décompte par années budgétaires dont le point de départ est le 1er janvier de l’année qui suit la

laquelle les droits ont été acquis ». La prescription quadriennale empêche donc le juge de se pencher sur des obligations qui trouvent leur origine dans le passé, limitant alors la possibilité pour le juge de connaître des faits historiques.

Par exemple, le juge administratif a fait jouer la prescription quadriennale dans un série d’affaires ayant trait à la réparation du préjudice qu’une personne aurait subi comme conséquence du service du travail obligatoire (STO) effectué en territoire allemand pendant la période de l’Occupation. Le juge considéra que ces créances étaient nées, au plus tard, au retour des requérants en France et que, par conséquent, le délai quadriennal devait être appliqué. Il considéra donc que la prescription était acquise le 31 décembre 1948, sans que les différents motifs allégués par les requérants constituent des causes propres à considérer ce délai interrompu ou suspendu601

. Le jeu de la prescription empêcha donc le juge de se prononcer sur des faits qui pourraient être qualifiés d’historiques : telle l’obligation pour des Français durant l’Occupation de se soumettre au service du travail obligatoire en Allemagne et la responsabilité de l’administration pour ces faits. Face à une affaire similaire, la Cour administrative d’appel de Nantes a quand même examiné les faits car, dans ce cas particulier, les affirmations du requérant selon lesquelles sont père avait été astreint au service du travail obligatoire pour travailler au profit d’une firme allemande avaient été contredites par les pièces produites devant le tribunal administratif. En particulier, la Cour d’appel prit en compte le fait que le requérant alléguait que son père avait été astreint au travail obligatoire entre le 25 juin 1942 et le mois de décembre de 1942, alors que le service de travail obligatoire n'avait été institué que par un acte dit loi du 16 février 1943602

.

D’autres délais de prescription peuvent toutefois s’appliquer devant le juge administratif. Dans certaines matières, eu égard à leurs particularités, des délais plus longs peuvent être mis en place, ce qui implique pour le juge de s’intéresser « au temps long, au temps déjà incorporé au passé »603

. Par exemple, la loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades instaura une prescription décennale en matière de responsabilité médicale. La jurisprudence administrative a aussi déterminé qu’une prescription trentenaire s’applique pour les obligations de remise en état des sites ayant accueilli une exploitation

601 CAA Bordeaux, 4 décembre 2007, Pellegrino c. Ministère de la Défense, nº 05BX01615, cité par D. C

ONNIL,

L’office du juge administratif et le temps,op. cit., p. 245. Dans le même sens CAA Paris, 27 juin 2006, nº 05PA00152, 05PA00117 et 05PA00153, inédits et 21 décembre 2006, nº 06PA02112, 06PA01538, 05PA02516, 06PA02113 et 06P02092, inédits ; CAA Marseille, 6 mai 2008, nº 06MA01230, 06MA0125, 06MA01509 et 06MA01351 inédits.

602 CAA Nantes, 28 décembre 2006, nº 05NT01950, inédit. 603 B. P

classée pour la protection de l’environnement, obligation qui s’applique même pour les installations où l’exploitation a cessé604. Cette jurisprudence où « l’objectif imprescriptible de sauvegarde de l’environnement empêche les années passées d’être séparées du présent »605 peut ainsi conduire l’Administration à remonter dans le passé. Toutefois, les possibilités de connaître des faits liés à l’histoire nationale dans ce cadre est assez restreinte.

C’est avant tout dans le cadre des conséquences de la participation et de la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation de milliers de personnes vers le camps d’internement et de concentration que le juge administratif peut être amené à connaître des faits historiques. L’examen de cette période de l’histoire est au cœur d’une jurisprudence qui se développa à partir des années 2000 dans le contexte d’une réévaluation du rôle de l’État dans ces événements. Se pose alors la question de savoir si les caractéristiques de ces agissements, en lien avec la commission de crimes contre l’humanité, impliquent une extension de la règle de l’imprescriptibilité applicable en droit pénal pour les recours intentés contre l’État en matière de responsabilité administrative.

(B) La non application de la règle de l’imprescriptibilité

Outline

Documents relatifs