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Chapitre VIII. L’interculturel dans une perspective actionnelle : la classe hors les murs

3. Un rallye plein de joie

Tout étant prêt, le vendredi 14 octobre 2016, avec deux collègues de mon bureau, j’ai accompagné les élèves jusqu’à la rue Yandang où se déroulait la « Semaine Française de Shanghai ». Je les ai fait travailler en trinôme, soit 13 groupes de 3 élèves, pour qu’ils

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puissent collaborer de façon à réaliser leur tâche et trouver les réponses aux questions posées sur leur feuille de mission. Quant à Simon, je lui ai attribué, dans le cadre de cette sortie, le rôle de « dépanneur linguistique » en cas de la difficulté de communication entre les vendeurs francophones et ses pairs chinois. Je leur ai également demandé de prendre au moins une photo avec des Français croisés dans la rue Yandang car cela sollicite, de nouveau, une interaction verbale interculturelle et une prise d’initiative pour aller vers l’Autre, aller vers l’inconnu.

Figure 1 : Photo avec tous mes élèves et mes 2 collègues à l’entrée de la rue de cet événement

Avant de commencer la mission, je les ai dirigés vers le stand de mon amie francophone que j’ai mentionnée plus haut, l’amie de Grenoble. Comme promis, son père et elle nous ont fait goûter des biscuits français, et nous ont brièvement expliqué l’art de déguster du vin. C’était un bonheur visuel de regarder la démonstration de dégustation de vin sur place et un bonheur pour leur estomac aussi. Ensuite sur le terrain de pétanque, cette amie, en s’accompagnant de sa guitare, et son oncle, ont interprété une ancienne chanson française « Les Champs-Élysées », de Joe Dassin, devant tous mes élèves. Vu que je connaissais cette chanson, j’ai participé à l’interprétation de ce classique. Une grande joie au début de cette visite ! Comme montré dans la figure 2, les élèves étaient ensorcelés par la belle mélodie de ce morceau musical. Cela leur a donné envie de l’apprendre et a également été la raison pour laquelle nous avons décidé de l’interpréter conjointement avec la délégation du lycéen français lors du cours d’échange qui s’est déroulé deux semaines après cette sortie (cf. chapitre 6). De ce fait, de ce début de balade a germé la graine d’une collaboration avec les lycéens français pour une mise en scène de ce grand classique de Joe Dassin.

Figure 2 : Artiste chante, public admire : Spectacle de Sophie pour mes apprenants avec sa guitare.

D’ailleurs, tous les produits français exposés lors de cette « Semaine Française de Shanghai » ont attiré mes élèves, et ils ont répondu aux questions de leur feuille de mission, une par une,

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avec fougue, en se baladant, en observant et en échangeant avec les vendeurs francophones. Le fait d’avoir une feuille de mission sous la main les a vraiment motivés, car cela n’était plus une simple promenade dans la rue, mais une visite, avec des tâches à accomplir qui a donné du sens à ce qu’ils étaient en train de faire. À travers la figure 3, vous pouvez constater la belle ambiance de la réalisation de leur tâche. Vu que c’était un travail en trinôme, ils ont pu discuter, négocier et collaborer pour répondre aux questionnaires qu’ils tenaient en main. Tantôt, ils venaient solliciter mon aide, et celle de mes deux collègues, tantôt, ils s’adressaient à leur pair français Simon. Ils cherchaient des informations nécessaires en utilisant l’Internet de leur Smartphone, et discutaient avec les vendeurs francophones pour avoir des éclaircissements. Ils prenaient des photos et filmaient tout ce qui les intéressaient dans cette magnifique manifestation culturelle. Ils écrivaient sur leur feuille de mission et effaçaient, de temps en temps, leur réponse pour une éventuelle correction…

Figure 3 : En discutant, en observant, en négociant : les élèves sont en train de remplir leur feuille de missions. En tant que leur professeur, j’ai fait l’encadrement général et la discipline, car j’avais amené un groupe de 40 élèves. Le cas échéant, j’ai également fait, un travail d’interprète entre certains groupes d’élèves et les vendeurs français. Et pour tirer profit de ces échanges, j’ai

apporté certains éclaircissements linguistiques et culturels ; juste après ma traduction et je leur ai fait noter les points langagiers sur le champ. Les élèves ont été très contents de cette balade culturelle. À travers cette classe hors les murs, ils ont goûté, chanté, échangé, parlé, et appris une grande quantité de choses sur la France et la culture française. Certains élèves sont restés jusqu’à la fermeture (à 20 h) pour avoir suffisamment de temps pour savourer et observer méticuleusement les expositions. C’était donc une belle sortie en équipe, un beau rallye pédagogique dans les rues de Shanghai.

J’ai ainsi créé une expérience d’altérité avec la communauté française, ce qui n’est pas toujours facile dans un contexte d’apprentissage hétéroglotte : une belle promenade instructive de vendredi après-midi ! En vue de faire un bon enchaînement, j’ai fait une séance de mise en commun durant mon cours du lundi, c’est-à-dire, juste après le repos du week-end.

Cette mise en commun est inspirée par la réflexion de Jean-Yves Petitgirard et Dominique Abry, dans leur article concernant les bienfaits des classes hors les murs, ils ont dit :

154 « Il est primordial de trouver un moyen efficace de communiquer les données rapportées à l’ensemble du groupe. Ces partages d’expériences intègrent une réflexion interculturelle riche et indispensable pour leur savoir-être…Les échanges d’informations entre apprenants dynamisent la classe et créent une cohésion dans le groupe » (Abry et Petitgirard 2016 : 43)

Au début de ce cours de mise en commun j’ai toutefois sensibilisé les élèves au recours des stéréotypes de cette manifestation commerciale en leur demandant : « Qu’est-ce que vous trouverez dans les boutiques de souvenirs destinés principalement aux étrangers, dans les sites touristiques de Shanghai ? Quelle est la similitude entre la Semaine française de Shanghai et ces boutiques de souvenir ? ». En tant que Shanghaiens, les élèves ont facilement listé un tas de choses « clichés » de leur ville, expliquant que c’étaient les choses les plus « connues », mais qui ne représentaient pas vraiment Shanghai. Cela a déclenché une discussion collective, pendant 10 minutes en mandarin, autour de ce sujet. Ils étaient très impliqués et j’ai constaté chez eux une prise de conscience de l’utilisation des stéréotypes dans le domaine du commerce. J’ai même projeté certains extraits d’une brochure d’un guide touristique de Shanghai pour les francophones, et ils ont bien rigolé en réalisant à quel point les stéréotypes étaient mis en valeur. C’était ma manière de dépasser les clichés avec les élèves. Pour ces adolescents, ce n’était sans doute pas évident avant cette sensibilisation.

Les points linguistiques questionnés dans leur feuille de mission ont été traités en détail dans ce cours. Comme les élèves avaient déjà travaillé en trinômes en observant l’exposition et en échangeant avec les vendeurs francophones, les questions lexicales mises en commun dans les cours, comme les noms des marques françaises (le Coq Sportif, Philippe le Bac, DS automobile, Versailles…), la terminologie concernant la nourriture quotidienne française (croissant, baguette de pain, pain au chocolat, chausson aux pommes…), les noms des endroits célèbres, où on produit le vin rouge, indiqués sur la carte du restaurant français (Bordeaux, Bourgogne, Languedoc…), ont en quelque sorte servi d’exercice de révision et de systématisation. Ils étaient assez fiers d’avoir trouvé les bonnes réponses. L’apprentissage lexical n’est plus ennuyeux, au contraire, c’est un exercice où ils puisent dans leurs souvenirs, leur vécu, leur goût. Le vocabulaire a ainsi été lié à leur vécu personnel, à leur expérience directe, devenant un sujet vivant, ne représentant plus une liste de mots inanimés et mornes à mémoriser.

L’éclaircissement culturel a ensuite été abordé. En effet, la question 1 et la question 3 de leur feuille étaient « Combien de couleurs ont été illustrées dans le logo de la « Semaine Française de Shanghai » ? Quel symbole national de la France ces couleurs représentent-elles ? ». « Comment traduire la marque de la tenue de sport 乐 卡 克 en français ? Quel animal symbolise cette marque ? »63 Ils ont quasiment tous trouvé les bonnes réponses à travers leur observation de la rue Yandang. Je les ai félicités pour leurs bonnes réponses et pour attirer encore plus leur attention, j’ai fait une explication d’ordre culturel autour des questions « Pourquoi le drapeau français est-il bleu, blanc, et rouge ? » et « Pourquoi le coq est-il un emblème de la France ? ». Ce genre d’explication socio-historique a toujours été très appréciée par les élèves.

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La réponse à la question 1 : trois couleurs, bleu, blanc, rouge ; le drapeau français. La réponse à la question 3 : le Coq Sportif ; coq. Les élèves ont facilement trouvé la réponse en observant les produits exposés dans la rue.

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À la fin de la séance, pour inscrire mon cours dans l’optique interculturelle, nous avons mené une discussion et une réflexion collectives vis-à-vis de la société française et des Français. J’ai principalement développé notre discussion autour de la proposition « ce que je croyais / ce que j’ai découvert », car la « Semaine Française de Shanghai » représente, pour les élèves, le premier véritable contact avec la société française et les francophones en nombre. En effet, c’est également le prolongement des deux dernières questions de leur feuille de mission qui a sollicité leur réflexion sur leur représentation.

Certains élèves ont témoigné qu’ils croyaient que les desserts chinois étaient les meilleurs du monde, mais après avoir goûté des desserts français, ils se sont rendu compte qu’ils étaient également délicieux. D’autres ont dit qu’ils croyaient que les Français étaient assez hautains, ou toujours très élégants, mais après avoir échangé avec eux dans le cadre de leur mission, ils se sont rendu compte qu’en fait ils étaient comme nous, pas très hautains, mais pas toujours élégants non plus. D’autres élèves encore ont affirmé que, dans leur esprit, la nourriture française se résumait à une baguette de pain et à du vin rouge, mais après avoir visité la rue Yandang, ils ont découvert une grande variété de produits français. Un élève a également déclaré qu’à force d’écouter tout le temps des chansons anglaises, il croyait que les chansons françaises étaient comme les chansons anglophones, mais après avoir écouté Les

Champs-Élysées, il a découvert que les airs français avaient quand même leur charme particulier64… Comme d’habitude, j’ai fait un travail de régulateur, de médiateur culturel, en intervenant, en temps voulu, pour l’efficacité de mon objectif interculturel.

Cette manifestation a quand même représenté une grande découverte sur les plans culturel et linguistique pour les apprenants. Malgré les stéréotypes ancrés dans cet événement, ils ont appris beaucoup de choses qu’ils ne connaissaient pas, car c’était le tout premier vrai contact avec la société française, car à cette époque, ils n’étaient pas encore allés en France.

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